On pense encore souvent à tort que l’investissement responsable désigne un type spécifique d’investissement de capital d’achat et de détention à long terme et à fort engagement. Bien qu’une telle approche puisse avoir un sens dans le monde indexé de l’achat uniquement, dans lequel la rotation des portefeuilles est faible et les gestionnaires d’investissement (« gestionnaires ») n’ont guère le choix en ce qui concerne les actifs qu’ils détiennent, elle est mal adaptée aux autres segments du secteur de la gestion de placements.
Cette vision a compliqué l’adoption de l’investissement responsable dans le secteur de la gestion des investissements non traditionnels. À la base, l’investissement responsable se réfère simplement à l’intégration formelle de facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la décision de placement. Cette intégration peut prendre de nombreuses formes et se faire pour de nombreuses raisons. Si elle peut bien sûr être motivée par des préoccupations éthiques, elle est aussi souvent motivée par la volonté d’atténuer les risques d’investissement indésirables, de générer des rendements d’investissement supérieurs, ou même de réorienter le flux de capitaux vers certaines industries et de créer ainsi un impact sur l’économie au sens large.
Si un gestionnaire pratiquant l’investissement responsable peut choisir d’atteindre ces objectifs par un financement et un engagement à long terme, il existe d’autres approches possibles. L’investissement responsable n’exige pas obligatoirement une longue période de détention.
La confusion autour de cette question a conduit certains à se demander si la vente à découvert est compatible avec l’investissement responsable. En effet, la vente à découvert diffère des stratégies traditionnelles d’achat et de détention. L’expression « vente à découvert » désigne la prise d’une position à découvert sur un instrument financier, que ce soit par la vente à découvert physique ou par l’obtention d’une exposition synthétique à découvert par le biais de produits dérivés ou d’autres instruments financiers.
Toutefois, si nous revenons sur certaines des raisons pour lesquelles les gestionnaires pratiquent l’investissement responsable, l’utilité de la vente à découvert devient évidente. Celle-ci peut être un excellent outil pour atteindre deux objectifs communs de l’investissement responsable actuel : atténuer les risques ESG indésirables et, pris globalement, créer un impact économique en influençant la nature des flux de capitaux par l’investissement « actif ». En effet, le réseau Principles for Responsible Investment a récemment reconnu l’utilité potentielle de la vente à découvert lors de la mise en œuvre de stratégies d’investissement responsable (référence : Principles for Responsible Investment, « Technical guide: ESG incorporation in hedge funds », mai 2020).
Les effets potentiels de la vente à découvert vont au-delà du simple gestionnaire. Ainsi, dans le cas des risques liés au carbone, il y a des raisons de penser que le recours à la vente à découvert pourrait contribuer à réduire les risques globaux liés au carbone sur les marchés plus internationaux. Au niveau des entreprises, la vente à découvert pourrait permettre à un gestionnaire de se couvrir contre les risques liés au carbone dans ses portefeuilles. Quant au marché, si elle est pratiquée par un nombre suffisant d’acteurs, la vente à découvert pourrait augmenter le coût du capital pour l’émetteur ciblé, ce qui l’inciterait à se protéger contre les risques liés au carbone en faisant évoluer son modèle économique vers un modèle moins consommateur de carbone.
Toutes choses étant égales par ailleurs, si la vente à découvert se produit à une échelle suffisante, elle peut augmenter le coût du capital pour l’émetteur du titre visé. Si le fait de prendre une position longue sur un actif – réduisant le coût du capital de l’émetteur – peut collectivement créer un impact ESG « négatif », il est logique que le fait de prendre une position courte sur le même actif – et donc d’augmenter le coût du capital de l’émetteur – puisse collectivement créer un impact ESG positif.
En prenant des positions courtes dans l’entreprise, les investisseurs pourraient collectivement augmenter le coût du capital et avoir un impact négatif sur la valeur des intérêts de la direction dans le cadre du plan d’incitation des cadres de l’entreprise, encourageant ainsi l’entreprise et sa direction à modifier leurs pratiques. Cela pourrait générer un impact ESG positif, car l’entreprise pourrait passer aux énergies propres et ainsi réduire les émissions globales de carbone sur le marché. Mais surtout, ces impacts peuvent souvent être l’effet secondaire positif de décisions d’investissement prises pour d’autres raisons. Ainsi, un gestionnaire peut choisir de vendre une entreprise à découvert afin de se couvrir contre les risques liés au carbone dans son portefeuille ; ce faisant, il peut contribuer à créer un impact ESG positif.
Ce processus serait encore plus marqué dans le cas des campagnes publiques de vente à découvert. Cette approche d’investissement cherche à générer des rendements à partir de recherches et de résultats concluants, qui peuvent ne pas être évalués correctement par le marché. Cette forme de vente à découvert est très exigeante en ressources et les gestionnaires qui la pratiquent découvrent souvent des informations qui étaient soit inconnues, soit négligées par les marchés en général. En effet, des campagnes publiques de vente à découvert ont déjà été provoquées par des préoccupations ESG telles que la gouvernance douteuse d’un émetteur, de mauvaises pratiques de sécurité des employés, des problèmes environnementaux et même des allégations de violation des droits de la personne.
Dans le cas des risques liés au carbone, il est facile d’imaginer un scénario dans lequel un gestionnaire pratiquant la vente à découvert active se rend compte que les émissions de carbone d’un émetteur ont été sous-estimées, et publie ses conclusions. Ces informations aideraient les autres acteurs du marché à se protéger contre les risques liés au carbone de cet émetteur. Bien entendu, cela augmenterait également le coût du capital de cet émetteur, ce qui l’inciterait fortement à limiter ses émissions de carbone (et à les déclarer de façon précise).
Alors que le financement durable et l’accent mis sur les questions ESG continuent de croître de manière générale, ils se poursuivront également dans le domaine des fonds d’investissement non traditionnel, notamment parce que les investisseurs et les gestionnaires travaillent ensemble pour avoir un impact positif sur le monde.