Il est régulièrement question du modèle de la « feuille d’érable » de l’investissement dans les régimes de retraite canadiens; ce modèle est essentiellement étayé par les équipes chevronnées de l’investissement mondial, par les différents modes de placement auxquels on fait massivement appel, par l’indépendance politique, ainsi que par l’exhaustivité de l’examen préalable et de la gestion des risques.
Les régimes de retraite canadiens offrent un cortège d’horizons et de défis nouveaux, dont la multiplication des risques géopolitiques, l’enrichissement des programmes des gestionnaires externes, l’accroissement de l’exposition aux marchés émergents, le rehaussement de la gestion des risques et la volonté d’investissement durable. Puisque ces investisseurs tant adulés se penchent sur ces thèmes nouveaux, nous entrevoyons des perspectives considérables pour les gestionnaires, qui pourront nouer des partenariats avec les régimes de retraite canadiens.
La multiplication des risques géopolitiques
Comme organisme investi à près de 85 % hors du Canada, « nous portons […] une attention toute particulière au contexte géopolitique. À l’exercice 2019, ce pan de notre stratégie a pris une importance encore plus grande, en raison de l’intensification du protectionnisme, de la persistance de l’incertitude entourant le commerce et de l’escalade des tensions commerciales, en particulier entre les États-Unis et la Chine ». (OIRPC, Rapport annuel de l’exercice 2019, page 5)
Les régimes de retraite canadiens sont les principaux bénéficiaires de la mondialisation, en misant sur leur capacité d’accès aux placements à l’échelle mondiale — surtout grâce à l’investissement direct dans les infrastructures et dans l’immobilier. Or, leurs vastes programmes d’investissements mondiaux, dont la plupart portent sur les actifs à long terme, ont aussi accru leur exposition au risque géopolitique. Ces risques, qui portent sur les marchés développés comme sur les marchés en développement, devraient constituer le plus grand défi pour les régimes de retraite canadiens.
La montée de l’instabilité politique, dont l’incertitude politique, a récemment pris le devant de la scène. Ont contribué à cette montée du risque géopolitique, entre autres, le conflit commercial sino‑américain, le Brexit, les sanctions internationales et l’augmentation de la dette souveraine. Bien que les régimes de retraite canadiens soient indépendants des gouvernements au Canada, leurs placements pourraient être considérablement fragilisés par la politique des gouvernements étrangers et du gouvernement de leur pays.
Pour maîtriser ce risque, il est essentiel que les régimes de retraite canadiens analysent les défis à relever dans chaque marché dans lequel ils investissent et leur onde de choc potentielle sur les rendements et les perspectives. Un moyen d’y arriver consiste à faire appel à des compétences sur le terrain, dont des gestionnaires de fonds externes. Les gestionnaires qui peuvent démontrer qu’ils sont compétents dans certains pays, en particulier dans les marchés émergents, sont davantage en mesure de nouer, avec les régimes de retraite canadiens, des relations d’investissement et de co-investissement à long terme.
L’expansion des programmes de gestionnaires externes
« Le RREO affecte le capital aux principaux gestionnaires externes, de façon sélective, afin d’accéder au talent spécialisé et aux occasions de placement dans les situations où il ne serait pas pratique ou efficace de maintenir l’équivalent à l’interne. » (Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, Rapport annuel 2018, page 23)
« [Le Healthcare of Ontario Pension Plan] fait progresser nos produits dérivés et notre service des titres à revenu fixe, et nous avons enrichi le groupe d’un programme de sélection des gestionnaires externes. Grâce à ce programme, l’HOOPP se dotera d’un profil attrayant et diversifiant de rendement par rapport au risque qui complétera notre programme de négoce interne. Cette mission consiste à faire des investissements directs à long terme et des placements sur une plateforme de comptes en gestion. » (Avis de concours de l’HOOPP – GP, programme de gestionnaires externes ME, produits dérivés et titres à revenu fixe)
L’un des piliers du modèle des régimes de retraite canadiens consiste à internaliser des équipes de placements afin de mettre au point des programmes perfectionnés d’investissement mondial. Ces équipes internes nous ont permis d’abaisser nos coûts, tout en nous dotant des meilleures compétences qui soient dans les placements. Pour compléter leurs équipes internes, la plupart des grands régimes de retraite canadiens ont aussi institué des programmes de gestionnaires externes. Ces programmes sont toujours à la recherche de gestionnaires externes générant de l’alpha et qui sont en mesure de compléter leur portefeuille géré en interne.
Quand les gestionnaires accordent leurs dialogues avec les régimes de retraite canadiens, ils doivent se rappeler qu’ils offrent une valeur ajoutée. Les régimes de retraite canadiens s’intéressent beaucoup aux gestionnaires et aux stratégies qui viennent étendre la couverture des grands marchés et qui leur apportent les compétences des experts « sur le terrain » dans les territoires géographiques dans lesquels les caisses de retraite n’ont pas de présence physique. Ils sont aussi attirés par les gestionnaires qui couvrent les créneaux dans lesquels les différents placements sont trop modestes individuellement pour être couverts en interne, mais qui, lorsqu’ils sont regroupés, sont assez importants pour positionner les portefeuilles. Enfin, les régimes de retraite canadiens sont à la recherche de gestionnaires qui couvrent les marchés spécialisés et qui ont des stratégies dans lesquelles il faut une vaste expérience.
Lorsqu’ils sélectionnent ces gestionnaires, les régimes de retraite canadiens mènent un vaste examen préalable des placements et des opérations. Selon notre expérience, ce processus peut être intensif et laborieux; or, le résultat final vise à nouer des partenariats à long terme offrant un fort potentiel d’investissement et de co‑investissement. Les gestionnaires doivent être prêts à y consacrer d’emblée beaucoup de temps, en plus de mener des examens préalables annuels sur les lieux et d’exercer une surveillance permanente des placements.
L’accroissement de l’exposition aux marchés émergents
« Les piliers de notre plan 2025 comprennent l’investissement d’un maximum du tiers de la caisse dans les marchés émergents, tels que la Chine, l’Inde et l’Amérique latine, afin d’accroître nos possibilités de placement et de générer les rendements les plus attrayants ajustés en fonction du risque. » (OIRPC, Rapport annuel de l’exercice 2019, page 9)
Les régimes de retraite canadiens sont eux aussi obligés de rechercher des rendements corrigés du risque attrayants dans le contexte actuel des taux d’intérêt faibles. Les marchés émergents ont une puissance économique croissante, susceptible de produire des perspectives de rendement et de croissance dans les valeurs mobilières cotées, les marchés hors cote, les infrastructures et les biens immobiliers.
L’une des plus vastes perspectives dans la progression et la modernisation des économies en développement est la nécessité d’investir considérablement dans les infrastructures et dans l’immobilier. Les régimes de retraite canadiens jugent ces placements attrayants en raison de leur caractère à long terme, de leur potentiel de risque et de rendement, de leur diversification et de l’absence de corrélation avec les marchés boursiers mondiaux. L’accroissement de la charge de l’endettement souverain explique aussi que ces partenariats privés‑publics soient aussi attrayants pour les gouvernements dans les projets pour lesquels ils n’ont pas envisagé de placements privés auparavant.
Les régimes de retraite canadiens font appel à des compétences internes et locales pour analyser le potentiel dans chaque marché émergent, ainsi que les risques qu’il faut encadrer, avant, pendant et après l’investissement. Nous croyons qu’il existe des perspectives considérables de partenariats avec des gestionnaires qui ont une forte présence locale ou de vastes compétences dans ces marchés.
Quand les gestionnaires cadrent leur dialogue avec les régimes de retraite canadiens, ils doivent se rappeler toute l’importance de la valeur ajoutée qu’ils apportent.
Rehaussement de la gestion des risques. «La Caisse accorde une importance capitale à la gestion des risques, qui fait partie intégrante de ses activités, autant dans la gestion des portefeuilles que dans ses processus d’affaires. […] Dans la gestion de ses risques, la Caisse prend en considération des facteurs comme le contexte économique mondial, l’évolution des marchés financiers, et les concentrations sectorielles et géographiques de son portefeuille. » (Caisse de dépôt et placement du Québec, Rapport annuel 2018, page 53)
Si les régimes de retraite canadiens ont évolué, leurs fonctions de gestion des risques ont changé elles aussi. L’importance et la qualité des données à analyser a considérablement augmenté puisque le perfectionnement des technologies et des logiciels permet d’établir des rapports en nombre quasi infini. Les équipes de gestion des risques travaillent en collaboration avec les gestionnaires de placements internes et externes pour recenser et suivre les risques au niveau des portefeuilles et des régimes. Les régimes de retraite canadiens réclament donc une plus grande transparence dans leurs placements.
Pour permettre de gérer le volume de données et d’extraire des rapports utiles, plusieurs régimes de retraite canadiens ont noué des partenariats avec un ou plusieurs fournisseurs de plateformes de comptes en gestion. Ces fournisseurs de services offrent l’agrégation complète des portefeuilles, ainsi que des solutions pour la gestion des risques et l’établissement des rapports. Nous avons donc assisté à un basculement des co-investissements regroupés dans les comptes en gestion distincte (CGD) et dans des fonds à investisseur unique. Ces structures offrent plus de transparence, une meilleure maîtrise des honoraires et la capacité de mener plus facilement les évaluations des risques dans l’agrégation des portefeuilles. Les gestionnaires doivent être prêts à tenir des dialogues sur les structures, la transparence et les risques en communiquant avec les régimes de retraite canadiens.
La volonté d’investir durablement
« À titre de signataire des Principes pour l’investissement responsable (PIR) depuis 2010, l’AIMCo s’engage à analyser les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans l’ensemble des processus de placement afin de promouvoir la croissance à long terme durable tout en captant les rendements corrigés des risques. » (AIMCo, Rapport annuel 2018, page 39)
Les grands régimes de retraite canadiens ont été les premiers à adopter les principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs processus de placement. À notre avis, plusieurs facteurs viennent l’expliquer. Premièrement, la durabilité est un facteur essentiel dans l’analyse des placements à long terme. Deuxièmement, les régimes de retraite harmonisent de plus en plus leur doctrine de placement avec les valeurs de leurs rentiers. Enfin, comme meneurs d’opinions de leur profession, nous croyons que les régimes de retraite canadiens aiment bien être à l’avant‑garde de l’analyse des placements, en intégrant directement les facteurs ESG dans l’analyse des placements, au lieu d’en faire une catégorie indépendante de placement.
Ce que l’avenir nous réserve
Les régimes de retraite canadiens ont prouvé qu’ils sont en mesure d’innover, dans les partenariats infrastructurels et immobiliers, les CGD, l’évaluation des risques ESG et les bureaux sur le terrain dans les économies émergentes. Puisqu’ils continuent de s’adapter aux horizons et aux défis de l’heure, nous croyons qu’il existe, pour les gestionnaires, des perspectives considérables qui leur permettent d’offrir leurs compétences et de nouer des partenariats à long terme et avantageux de part et d’autre.
Par : Alana Johnston Gould, Scotiabank Global Banking and Markets