Les secteurs des matériaux, des soins de la santé et des biens de consommation de base demeurent des zones favorables dans le fourmillement des activités mondiales de fusion et acquisition (F&A) qui pourtant accusent un ralentissement de 2,56 billions $ au cours des huit premiers mois de 2023 pour cumuler une somme de 1,84 billion $.
Sur l’ensemble des secteurs et industries, la hausse des prix influence les opérations et les décisions stratégiques des entreprises. Si la hausse des taux d’intérêt et d’inflation a lésé certaines ententes en raison de coûts de financement élevés, celle-ci s’est également avérée un élément catalyseur pour les activités de F&A. En effet, devant la flambée inflationniste, de nombreuses sociétés se sont tournées vers les fusions pour en arriver à une meilleure économie d’échelle et débloquer d’éventuelles synergies de coûts grâce à une meilleure efficience et un pouvoir de négociation accru.
Au cours de l’année, trois secteurs ont représenté la part du lion des activités de F&A :
- Le secteur des matériaux fait l’objet d’un mouvement de consolidation. Deux facteurs principaux sont à l’origine de ce constat : la demande de matériaux bruts pour opérer la transition énergétique et la mise en chantier de nouvelles mines en raison d’inquiétudes environnementales et réglementaires.
- Les activités de F&A foisonnent du côté du secteur des soins de la santé en raison d’un manque à combler en capital dans l’arène biotechnologique ainsi que des tendances démographiques et technologiques qui encouragent les équipes de direction et les conseils d’entreprise à se procurer de nouvelles capacités et de nouveaux réseaux de distribution.
- La consolidation au sein du secteur des biens de consommation de base est pour sa part alimentée par des intrants plus élevés et le besoin de solidifier les chaînes d’approvisionnement.
Le contexte réglementaire s’avère présentement un territoire hostile aux ententes entre sociétés à grande capitalisation. Par exemple, en février, Velan, Inc. (TSX : VLN), société québécoise et chef de file dans la conception et la production de robinetterie, a accepté l’offre d’achat de 13 $ CA l’action de Flowserve Corporation (NYSE : FLS), entreprise américaine de Dallas et fournisseur de premier plan de produits de réglage de débit. Avec un prix d’achat total de 245 millions $ (y compris sa dette nette), il s’agissait d’une petite acquisition par intégration sachant que les affaires de Velan allaient pouvoir s’insérer aux activités de la division du réglage des débits de Flowserve moyennant des coûts modestes et en prévision de synergies notables sur le plan des revenus. Comme l’entente profitait du soutien des actionnaires majoritaires, ne requérait aucune condition de financement et ne présentait aucune préoccupation antitrust ni ne soulevait d’inquiétudes pour les autorités canadiennes, cette fusion de grande qualité semblait couler de source.
Toutefois, à l’instar de l’incertitude qui règne sur l’échiquier géopolitique et réglementaire, les affaires de Velan en France (Velan SAS), qui représentent près de 25 % des revenus de l’entreprise, ont attiré l’attention des politiciens français; or ceux-ci cherchent à trouver des moyens d’empêcher des actifs considérés stratégiques de tomber entre les mains d’opérateurs américains. Ainsi, les activités les plus « sensibles » des exploitations françaises de Velan sur le plan de la sécurité – visant un fournisseur de sous-marins nucléaires – sont déjà exclues de l’entente et devraient être vendues à un acheteur national. Il reste que l’écart s’est prononcé en août tandis que la France a fait pression pour bloquer l’entente; les deux entreprises se sont entendues pour repousser la date prévue de la fusion pendant qu’elles cherchent une solution qui conviendrait à toutes les parties concernées.
Bien que 2023 ait été une année parsemée d’embûches pour l’arbitrage sur fusion, on constate la présence de signes encourageants, notamment l’accélération du nombre d’ententes, l’élargissement des écarts, l’appréciation plus adéquate des risques et une meilleure prévisibilité au sein du contexte réglementaire.
Au cours de l’été, les autorités ont perdu gains de cause à plusieurs reprises, ce qui pourrait créer un précédent et les dissuader d’interférer outre mesure. Les nouvelles lignes directrices proposées par la Federal Trade Commission (FTC) et le département de la Justice, qui sollicitent actuellement les commentaires du public, en plus des modifications apportées à la Loi canadienne sur la concurrence par le gouvernement libéral, pourraient éventuellement mener à de grands changements au sein des marchés de F&A et dans l’évaluation des risques.
Il reste néanmoins que ce sont la loi et les précédents historiques qui détermineront si une fusion est approuvée ou non. Le retour à un environnement réglementaire caractérisé par une meilleure prévisibilité et une plus grande transparence devrait cadrer avec un milieu plus propice aux ententes et à l’évaluation adéquate des risques inhérents à une fusion, et donc s’avérer plus favorable à la réalisation de bons rendements ajustés au risque.