1er volet : manuels et livres de référence
Jacinthe est médecin et vient de terminer sa résidence. Durant ces études, elle a pris soin de conserver les factures de chacun des livres et manuels de référence qu’elle a achetés.
Maintenant que ses revenus seront beaucoup plus élevés en raison de commencement de sa pratique médicale, elle a décidé de s’incorporer. Dans ce processus, Jacinthe transfèrera ses livres et manuels de références à sa nouvelle société médicale à leur juste valeur marchande.
L’Association médicale canadienne discute d’ailleurs de cette stratégie à la page 28 de leur guide intitulé « Conseils fiscaux à l’attention des médecins et médecins en formation », édition 2014 .
En procédant à ce transfert, Jacinthe obtiendra en contrepartie un billet (ou reconnaissance de dette) de la part de sa société. Ce billet pourra lui être remboursé, libre d’impôts, au fur et à mesure que la société aura des liquidités.
Pour ce qui est de sa société médicale, celle-ci pourra amortir, annuellement, les livres et manuels achetés de Jacinthe jusqu’à concurrence de 20% du solde dégressif (ou fraction non amortie du coût en capital). Plus particulièrement, ces biens feront partie de la catégorie 8.
2ième volet : oeuvres d’art
Jacinthe est également passionnée par les oeuvres d’art. Durant ces études, elle est venue en aide à un galeriste lors de l’organisation de quelques vernissages.
Maintenant qu’elle en a les moyens, Jacinthe aimerait faire l’acquisition de quelques toiles pour décorer son nouveau bureau.
Elle se demande si l’achat de ces toiles pourra être déduit ou amorti par sa société. Elle aimerait donc acheter ces oeuvres dans la mesure que cela ne constitue pas un avantage imposable pour elle.
En règle générale et tel que stipulé à l’alinéa 1102(1)e) du Règlement de l’impôt sur le revenu, seuls une estampe, une gravure, un dessin, un tableau, une sculpture ou une autre oeuvre d’art de nature semblable dont le coût est inférieur à 200 $ peut être amortie.
Heureusement, il existe une exception à cette règle pour les oeuvres mentionnées ci-dessus lorsqu’elles sont produites par un artiste qui était citoyen canadien ou résident permanent à la date à laquelle l’oeuvre a été créée. Ces oeuvres peuvent donc être incluses aux biens de la catégorie 8 et amorties, annuellement, jusqu’à concurrence de 20% du solde dégressif (ou fraction non amortie du coût en capital).
Cela veut aussi dire que la société de Jacinthe, si elle souhaite amortir le coût d’acquisition, devra s’assurer que toutes oeuvres ayant un coût supérieur à 200$ n’ont pas été réalisées par un artiste étranger.
Avant de pouvoir amortir les toiles qu’elle a acquises, la société de Jacinthe devra également s’assurer qu’il ne s’agit pas de « biens meubles déterminés ».
Selon les définitions prévues à l’article 54 de la Loi, les « biens meubles déterminés » sont des biens à usage personnel lorsqu’ils sont affectés principalement à l’usage ou l’agrément personnel du contribuable (la société) ou d’une personne liée au contribuable (l’actionnaire), conformément au paragraphe 251(2) de la Loi.
Dans l’interprétation technique 2010-0373311C6, l’Agence du revenu du Canada (ARC) s’est prononcée sur différentes situations où une société cotée en bourse tentait d’amortir des oeuvres d’artistes étrangers qu’elle utilisait pour décorer une salle de conférences ou le bureau d’un directeur.
Bien que les faits soient très spécifiques, nous pouvons probablement soutenir, à la lumière des réponses fournies par l’ARC, qu’une oeuvre d’art utilisée exclusivement pour décorer une salle de conférence n’est probablement pas un bien à usage personnel de cette société. La réponse serait probablement similaire dans le cas d’une oeuvre située dans le bureau d’un employé de la société, qu’il reçoive ou non des clients dans son bureau, dans la mesure où cet employé n’est pas lié à la société et que le tableau n’est pas affecté principalement à son usage ou à son agrément personnel.
Cependant, la position de l’ARC est plutôt nuancée lorsqu’il s’agit d’une situation semble à celle de Jacinthe. En effet, l’ARC pourrait prétendre qu’il s’agit d’une dépense déraisonnable et qu’elle constitue un avantage imposable conféré à l’actionnaire dirigeant en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi dans la mesure où la société a acquis l’œuvre à la demande expresse de l’actionnaire pour décorer son bureau ou sa salle de conférences.
Dans l’affaire Coen contre le Sous-ministre du Revenu de la Province de Québec, le juge a spécifié, au paragraphe 19 de la décision que :
« Le critère de raisonnabilité dans un tel cas doit être apprécié eu égard à la nature des biens dépréciés et du but recherché. Or, ici il ne s’agit pas de biens acquis dans le but d’obtenir un revenu, mais de biens acquis en vertu de mesures incitatives. Dans un tel cas, le Tribunal considère qu’il s’agit d’une dépense raisonnable compte tenu du fait que le législateur n’a posé aucune balise ni aucun montant maximum de dépenses à déduire des revenus ».
Dans cette cause, le juge fait référence à des mesures incitatives fixées par le gouvernement de l’époque afin de promouvoir l’achat d’œuvres d’art d’artistes canadiens.
Dans l’affaire Roger Dubois Inc. c. Reine, le juge reprend l’extrait des documents budgétaires de l’époque, à savoir :
« Le budget interdira de réclamer une déduction pour amortissement à l’égard des oeuvres d’art et des antiquités achetées par des entreprises et des professionnels après le 12 novembre 1981. À l’heure actuelle, les oeuvres d’art et les antiquités acquises par des entreprises et des cabinets professionnels peuvent être amorties au taux de 20 pour cent par an, comme le mobilier de bureau. Cependant, ces articles prennent généralement de la valeur avec le temps et constituent souvent des investissements personnels au lieu de servir aux opérations normales de l’entreprise. Il n’y a donc aucune raison de permettre la déduction de leur coût du revenu de l’entreprise. Cette mesure ne s’appliquera pas au premier acheteur d’œuvres d’art produites par un artiste canadien vivant ».
Par conséquent, il semble toujours possible pour Jacinthe d’acquérir une toile ou autres oeuvres d’art dans la mesure où elle prendra soin que l’utilisation ne soit pas affectée principalement à son usage ou à son agrément personnel.