La première cause porte sur la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire La Reine c. Golini, 2016 CCI 174 (« Golini »), et la seconde cause porte sur la décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans l’affaire ENMAX Energy Corp. c. Alberta, 2016 ABQB 334 (« ENMAX »).
L’affaire Golini
Cette cause porte sur une série d’opérations complexes qui ont eu lieu entre 2006 et 2008 concernant une police d’assurance vie et une rente ayant servi à garantir un prêt de 6 M$ octroyé à un actionnaire, Paul Golini, par une société canadienne (« Metropac »). Les contrats d’assurance et de rente, tous deux souscrits auprès d’assureurs extraterritoriaux, étaient détenus par la société de M. Golini (« Gesco »). La rente versait des arrérages de 400 000 $ par an à Gesco, somme correspondant au montant des primes d’assurance. Les arrérages étaient payables pendant 15 ans ou jusqu’au décès de M. Golini, s’il survenait avant la fin de cette période (M. Golini est toujours en vie). Contrairement aux rentes généralement offertes sur le marché, dans ce cas-ci le taux d’intérêt interne que le titulaire de la rente prévoyait toucher était négatif, puisque le total prévu des arrérages de rente à recevoir serait inférieur à la prime unique à payer.
Gesco était garante du prêt octroyé à M. Golini et a cédé la rente et la police d’assurance vie en garantie, selon une entente de financement sans recours. Autrement dit, le prêteur ne pourrait réclamer aucun autre actif en cas de défaut de paiement. En contrepartie de la garantie, M. Golini payait des frais annuels de 40 000 $ à Gesco.
M. Golini s’est servi des sommes empruntées pour acheter des actions d’une société fermée. Cela lui a permis de déduire les frais d’intérêt applicables de son revenu personnel.
L’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a présenté plusieurs arguments pour contester la déclaration de revenus de 2008 de M. Golini, dont l’un a été retenu par la Cour canadienne de l’impôt dans sa décision datée du 19 juillet 2016. La Cour a déterminé que M. Golini avait reçu un avantage imposable de 5,4 M$, soit le montant des primes d’assurance payées par Gesco sur la période de 15 ans susmentionnée, moins les frais de garantie payés par M. Golini sur cette même période.
À première vue, cette stratégie ressemble à d’autres formules faisant appel à une police d’assurance détenue par une société pour garantir un prêt octroyé à un actionnaire, même si dans ce cas-ci l’opération comprenait l’utilisation d’une rente. Toutefois, plusieurs éléments distinguent l’affaire Golini des structures plus conventionnelles :
• Selon les conditions du prêt octroyé à M. Golini, Metropac ne pouvait exercer de recours qu’à l’égard des contrats de rente et d’assurance détenus par Gesco et toutes les parties semblaient convenir que Gesco finirait par acquitter la dette à l’aide des sommes touchées au décès de M. Golini. L’emprunteur n’avait pas lui-même l’obligation légale de rembourser le prêt. Ce fait contraste avec la plupart des stratégies de financement par emprunt, dans le cadre desquelles le particulier emprunteur est assujetti à une vérification financière initiale suivie de vérifications périodiques (ouvrant la possibilité qu’il soit refusé); il a l’obligation de rembourser l’emprunt et sera redevable à la société si celle-ci rembourse le prêt en son nom aux termes de la garantie.
• Les contrats de rente et d’assurance ne semblent pas avoir été établis selon des conditions raisonnables sur le plan commercial. En fait, le juge a noté qu’aucun des documents déposés n’attestait la proposition de Gesco pour l’un ou l’autre des contrats. La rente n’aurait pas été souscrite si ce n’avait été des avantages fiscaux que M. Golini retirait des opérations. En outre, le montant des primes d’assurance (400 000 $ par an pendant 15 ans, soit 6 M$) était égal à celui du montant d’assurance. Donc, il n’y avait pas de montant d’assurance en excédent du montant du prêt, puisque le capital payable au décès de M. Golini devait toujours être égal au montant du prêt et des intérêts cumulés. Cela contraste de nouveau avec la plupart des stratégies de financement par emprunt, qui prévoient habituellement un montant d’assurance vie devant servir à d’autres fins, notamment pour la planification successorale.
• Un témoin n’avait aucun souvenir que la police d’assurance n’eût fait l’objet d’une proposition ni d’une tarification médicale. Aucun document attestant l’un ou l’autre de ces éléments n’a été présenté au tribunal.
• Avant qu’il ne soit versé à M. Golini, le montant du prêt a fait le tour de plusieurs institutions financières, la plupart à l’étranger, qui semblaient être apparentées ou servir de facilitateur sans volonté indépendante. Cela a renforcé, dans l’esprit du juge, l’impression que les opérations étaient prédestinées et qu’elles n’étaient pas assujetties à des modalités acceptables, ni au risque commercial normal, ni aux principes d’imputabilité.
Les faits de l’affaire Golini, résumés brièvement ci-dessus, étaient fortement défavorables au contribuable et contrastaient de plusieurs façons importantes avec la plupart des stratégies de financement par emprunt faisant appel à l’assurance détenue par une société pour garantir un prêt personnel à un actionnaire. Pour ce qui est des stratégies de financement par emprunt conventionnelles, nous nous reportons à la position énoncée par l’ARC lors de la table ronde de la Conference for Advanced Life Underwriting (CALU) en 2006, qui veut que lorsque l’actionnaire paie des frais raisonnables à la société en contrepartie de la garantie, celle-ci ne constitue pas en elle-même un avantage imposable.
En date du présent article, la décision rendue dans l’affaire Golini n’a pas été portée en appel par le contribuable.
L’affaire ENMAX
Cette affaire porte sur la décision rendue en faveur de deux sociétés, contre le ministère des Finances de l’Alberta (« Ministère »), qui estimait que le taux d’intérêt des prêts consentis entre sociétés liées était déraisonnablement élevé. La décision devrait être utile dans le contexte des différends avec l’ARC sur le caractère raisonnable des taux d’intérêt.
Enmax Corporation (« Enmax ») est une société de services publics en propriété exclusive de la Ville de Calgary qui exerce ses activités par l’intermédiaire de diverses filiales, dont deux (« filiales ») étaient les demandeurs en appel dans ce dossier. L’affaire portait sur le caractère raisonnable des intérêts payés par les filiales sur les prêts accordés par Enmax en 2004, 2006 et 2007. Les taux exigés par Enmax sur ces prêts allaient de 10 % à 11 % et les intérêts étaient déduits du revenu des filiales. Il faut noter qu’en qualité de sociétés publiques, Enmax et les filiales ne sont pas assujetties à l’impôt. Cependant, elles doivent effectuer des « paiements versés en remplacement d’impôt » dans un fonds d’équité (blancing pool) qui a pour but d’égaliser les conditions de concurrence entre les entités qui paient de l’impôt et celles qui n’en paient pas. Les déductions déclarées par les filiales sont l’équivalent des déductions fiscales, puisqu’elles réduisent le montant à verser dans le fonds d’équité. L’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui expose les principales règles sur la déductibilité des intérêts, s’appliquait dans ce cas-ci. Le Ministère affirmait qu’un taux raisonnable aurait été d’environ 5 % et que le droit de déduction des filiales devrait être limité en conséquence. La procédure était un appel de la décision du Ministère.
Enmax a présenté des documents attestant que chaque prêt avait fait l’objet de recherches et d’analyses du marché pour déterminer le taux d’intérêt approprié. Ces analyses comprenaient l’examen des pratiques d’autres sociétés qui émettent des titres de créance de qualité inférieure dans le marché privé, ainsi que du marché public des titres de créance de qualité équivalente. Un énoncé des prix détaillés avait été préparé à chacune des années en question. Les énoncés des années 2004, 2006 et 2007 arrivaient à la conclusion que le taux d’intérêt approprié était respectivement de 11,5 %, 10,3 % et 9,9 %.
Enmax soutenait que la Cour devrait s’en remettre au discernement de la direction pour ce qui est de l’établissement du taux d’intérêt, sauf si elle concluait que ce taux n’était pas raisonnable. La Couronne a fait valoir qu’elle devrait avoir le droit de s’interroger pour savoir si un montant est raisonnable et de substituer son propre taux lorsqu’elle estime que le taux original n’est pas raisonnable.
Au total, les filiales et la Couronne ont présenté six témoins experts pour appuyer leurs points de vue respectifs. La Cour a conclu que le montant à payer dans des conditions similaires peut « alimenter l’analyse », mais ne dicte pas nécessairement ce qui est raisonnable dans une autre situation. Autrement dit, il peut être raisonnable dans certains cas de payer davantage que ce que les autres sociétés non liées paient généralement.
Le dossier ENMAX est utile dans la mesure où il a permis de défaire l’argument voulant que la Couronne ait le droit de substituer sa propre définition de ce qui est « raisonnable » à celle dont les parties ont convenu entre elles. La Cour a fait plusieurs références à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 (« Shell »). La Cour a précisé que l’arrêt Shell n’a pas établi que le prix courant entre sociétés non liées détermine ce qui est raisonnable, mais plutôt qu’il n’est qu’un simple indicateur de ce qui est raisonnable. La décision dans l’arrêt Shell n’exige pas non plus qu’une opération soit tenue de respecter une norme de marché déterminée dans le cadre d’une opération entièrement différente. La position de la Cour a favorisé les filiales dans l’affaire ENMAX et serait aussi utile aux contribuables devant présenter des pièces attestant le caractère raisonnable du taux d’intérêt appliqué à un prêt. Les filiales ont été autorisées à contester la décision du Ministère. Toutefois, cette cause a été portée en appel par le Ministère.
En conclusion, les faits dans l’affaire Golini étaient fortement défavorables au contribuable et contrastaient de plusieurs façons avec la plupart des leviers financiers utilisant une police d’assurance vie détenue par une société pour garantir un prêt personnel à l’actionnaire.
La cause ENMAX est utile en ce sens qu’elle a permis de défaire l’argument selon lequel la Couronne peut substituer sa propre définition de ce qui est « raisonnable » à celle dont les parties ont convenu entre elles.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Jocelyne Gagnon, Vice-présidente, Services de planification – Québec.