Les faits présentés dans la note de service sont dépersonnalisés. Toutefois, la structure mise en place diffère très peu de celle adoptée par de nombreux professionnels ou entrepreneurs.

La Direction des décisions en impôt a publié cette note de service en question, le document 2013-0475501I7, en juillet dernier. La copie de cette note de service a été ajoutée en décembre 2013 aux bases de données des éditeurs fiscaux commerciaux.

Les faits

Père et Mère ont trois enfants, Fille, Fils 1 et Fils 2. Père est un comptable dont les revenus étaient auparavant élevés et composés d’un salaire, payé par une société de gestion, d’un revenu d’entreprise et d’un revenu de profession. Bien que le revenu total de Père ait subi une baisse marquée, ayant diminué de plus de la moitié, l’analyse des déclarations de revenus de la famille permet de conclure qu’au total, le revenu familial est sensiblement le même avant et après. Cependant, ce revenu est ensuite fractionné entre les membres majeurs de la famille.

Le fractionnement des revenus entre les membres majeurs de la famille a été rendu possible grâce à la création d’une fiducie entre vifs discrétionnaire tel qu’en fait foi un acte de fiducie et grâce à la mise en place d’une nouvelle structure de l’entreprise.

Constituante, qui est la belle-sœur de Père, a payé et transféré un bien dans le patrimoine de Fiducie. Selon l’acte, Fiducie est établie selon les lois en vigueur dans une province du Canada, que l’on peut présumer être le Québec puisque la note de service est rédigée en français et que l’acte de fiducie fait référence au revenu au sens civil.

Les bénéficiaires de Fiducie sont : Père et Mère, Fille, Fils 1 et Fils 2 ainsi que tous les autres enfants à naître de Père ou à adopter légalement par ce dernier, tous les enfants à naître d’un enfant de Père ou à adopter légalement par ces derniers, tout conjoint de Père et tout conjoint d’un enfant de Père, toute personne morale constituée ou à constituer dont la fiducie est actionnaire ou dont des actionnaires sont parmi les bénéficiaires et toute fiducie à créer dont un des bénéficiaires serait également un bénéficiaire de Fiducie. Tous les bénéficiaires désignés peuvent être à la fois bénéficiaires du revenu et/ou du capital de Fiducie, à l’exception de deux sociétés de gestion, qui sont bénéficiaires du revenu civil seulement.

Les fiduciaires actuels de Fiducie sont Père et Y, qui a remplacé X à titre de fiduciaire.

Dès l’année où la nouvelle structure a été mise en place, le revenu de Père diminue de plus de la moitié et des dividendes sont attribués par Fiducie à Mère et aux enfants à compter du moment où ils sont majeurs. Le choix du paragraphe 104 (19) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) est effectué afin que les dividendes reçus par Fiducie conservent leur nature lors de leurs attributions aux bénéficiaires. Une résolution écrite annuelle est préparée et signée par les fiduciaires à cet égard.

L’intervention de Constituante


L’intervention de Constituante

Jusqu’ici, plusieurs praticiens pourraient personnaliser la note de service à l’aide des prénoms d’un grand nombre de leurs clients. Ils ne souhaiteront plus faire partie de l’histoire lorsque commencent les démarches du représentant de l’ARC qui contacte Constituante et apprend lors d’une conversation téléphonique que cette dernière n’a aucun souvenir d’avoir constitué une fiducie, ni souvenir de X qui est l’un des fiduciaires initiaux de Fiducie. Plusieurs mois, voire quelques années, se sont probablement écoulés depuis la constitution de la fiducie. Constituante se souvient vaguement d’être passée chez le notaire à la date citée par le représentant de l’ARC, mais la date coïncide avec le décès de sa mère.

Elle croit donc s’y être rendue pour signer des papiers et régler la succession de sa mère, à la demande de Père qui est son comptable et qui l’a guidée puisqu’elle n’a aucune connaissance en comptabilité. Lors de cette première conversation téléphonique, Constituante n’est pas en mesure de nommer les bénéficiaires et les fiduciaires de Fiducie et ne se rappelle pas avoir transféré un bien quelconque à Fiducie.

Selon les faits rapportés, Constituante a contacté le représentant de l’ARC subséquemment et a affirmé avoir mélangé la création de la fiducie et le décès de sa mère. Lors de cette nouvelle conversation, elle a alors précisé que son rôle, en tant que constituante de Fiducie, était d’assister Père dans la création de la fiducie, que les bénéficiaires sont Mère, Père et leurs trois enfants et qu’elle a payé et transféré un bien à Fiducie. La note de service rapporte que le représentant de l’ARC croit qu’à la suite de la première conversation téléphonique, Constituante a contacté Père pour discuter des questions demandées et préparer des réponses puisqu’à son avis, Constituante n’avait aucune idée initialement de l’existence de Fiducie.

Est-ce là un signe que Fiducie n’a pas été validement constituée? On peut se permettre d’en douter. Il appert toutefois que la prudence est de mise lors du choix du constituant. Il importe de bien lui expliquer son rôle et l’importance qu’il revêt dans le cadre de la planification fiscale. Il n’en demeure pas moins que puisque l’intervention du constituant est très ponctuelle, pour bien des non-initiés lorsque plusieurs années se sont écoulées, répondre à de telles questions d’un représentant de l’ARC pourrait s’avérer une tâche ardue et une expérience éprouvante.

Le paiement des dividendes

Selon les faits rapportés dans la note de service, les dividendes qui ont été attribués par Fiducie aux enfants sont payés à ces derniers par un dépôt dans leur compte bancaire. Une partie de ce dépôt est retournée à Père, la même journée que le dépôt ou peu de temps après celui-ci. Aux dépôts s’ajoute une allocation qui est versée par Fiducie aux enfants et les enfants sont libres de l’utiliser à leur discrétion. À quelques reprises, le représentant de l’ARC a interrogé Père afin de connaître les raisons pour lesquelles des sommes lui sont retournées par ses enfants. Père affirme que tout au long de l’année, en tant que parent, il paie les diverses dépenses des enfants. Lorsque les enfants lui remettent des montants, ils le remboursent pour les dépenses effectuées à leur égard. Les enfants doivent contribuer aux dépenses familiales et ils sont au courant que des sommes sont déposées et retirées de leur compte bancaire. Père ne veut pas que les enfants aient de cartes de crédit. Les justifications de Père sont appuyées par un fichier dont une copie a été remise au représentant de l’ARC. Les dépenses sont divisées en deux parties. Il y a les dépenses spécifiques compilées pour chacun des membres de la famille ainsi que des dépenses générales réparties entre les trois enfants.

Paragraphes 104 (13) et 105 (1) de LIR

Paragraphes 104 (13) et 105 (1) de LIR

Les questions posées à la Direction des décisions en impôt par le représentant de l’ARC visaient toutes à imposer à Père les sommes attribuées par Fiducie aux enfants. On a d’abord cherché à savoir si les paragraphes 104 (13) et 105 (1) de la LIR. pourraient s’appliquer de façon à ajouter les montants au revenu de Père.

En vertu du paragraphe 104(13) LIR, les montants payables par une fiducie à un bénéficiaire doivent être inclus dans les revenus du bénéficiaire. Le paragraphe 104 (24) LIR précise par ailleurs qu’un montant est payable à un bénéficiaire s’il est effectivement payé ou que le bénéficiaire peut en exiger le paiement. Finalement, l’alinéa 104 (6) b) de LIR mentionne qu’une fiducie peut déduire de son revenu net de l’année la partie du revenu qui est devenue payable au sens du paragraphe 104 (24) LIR à un bénéficiaire.

Puisque l’acte de Fiducie le permet, les revenus de Fiducie peuvent être considérés comme étant payables aux bénéficiaires dès le moment de l’attribution par les fiduciaires aux bénéficiaires, selon leur discrétion. Selon les faits présentés, les montants attribués aux enfants correspondent aux montants que Fiducie a payés aux enfants par les dépôts au compte bancaire et les allocations. Les montants payés au cours de l’année par Fiducie doivent donc être inclus au revenu des bénéficiaires et pourront être déduits du revenu net de Fiducie.

Le représentant de l’ARC allègue toutefois que les sommes déboursées par Père représentent en grande partie des dépenses personnelles qui découlent de ses obligations alimentaires envers ses enfants et non pas un remboursement des dépenses faites à leur égard. Ainsi, Père se serait approprié une grande partie des revenus attribués aux enfants qui n’en seraient pas les réels bénéficiaires.

La Direction des décisions anticipées en impôt a soutenu que dans la situation examinée, les faits présentés semblent démontrer que les enfants n’avaient pas la discrétion d’utiliser à leur convenance la totalité des sommes reçues et ayant couvert des dépenses spécifiques ou générales directement payées par Père. Comme il est mentionné par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire La Reine c. Poynton, 72 D.T.C. 6329, affaire considérée par la Cour suprême du Canada dans le jugement Gagnon c. La Reine, 86 D.T.C. 6179, afin que les enfants puissent être considérés comme étant les véritables bénéficiaires des revenus attribués par Fiducie, il faut qu’ils puissent en disposer complètement à leur profit.

Parmi les circonstances dont il faut tenir compte, il y a la manière dont ces revenus ont été reçus, le contrôle sur ceux-ci, les obligations et les restrictions quant à la manière d’en disposer qui s’y rattachent, l’usage qu’en font les bénéficiaires et les personnes qui en retirent réellement les bénéfices.

La Direction des décisions anticipées en impôt conclut qu’en tenant compte de l’ensemble des faits soumis, il pourrait être argumenté que les enfants ont agi à titre de parties accommodantes, soit en tant que mandataires ou de prête-noms de Père. Ils auraient été en droit de réclamer de Fiducie les sommes payables en tant que mandataires de Père et lui auraient remis, à ce titre, une grande partie des sommes payées par Fiducie. Les revenus payables à Fille, Fils 1 et Fils 2 (ou du moins la partie des revenus qui a fait l’objet d’un remboursement par ces derniers à Père) devraient être imposés entre les mains de Père et non entre celles des enfants.

Quant à l’application possible du paragraphe 105(1) de LIR, ce dernier prévoit que la valeur des avantages conférés à un contribuable pendant une année d’imposition par une fiducie ou en vertu d’une fiducie doit être incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année, sauf dans la mesure où la valeur des avantages doit être incluse par ailleurs dans le calcul du revenu du contribuable pour une année d’imposition ou a été déduite dans le calcul du prix de base rajusté de la participation du contribuable dans la fiducie en vertu de l’alinéa 53(2)h) L.I.R. ou l’aurait été si cet alinéa s’était appliqué à cette participation compte non tenu de la division 53(2)h)(i.1)(B) de LIR.

Lorsque les enfants ont volontairement remboursé des sommes à Père, Fiducie ne s’est pas appauvrie et aucun avantage n’a été conféré à Père par une fiducie ou en vertu d’une fiducie. Et même si l’on devait démontrer qu’un tel avantage est conféré, la première exception du paragraphe 105(1) de LIR est respectée puisque les revenus payables aux enfants doivent être ajoutés à leurs revenus et les revenus payables aux enfants à titre de mandataires doivent être ajoutés aux revenus du mandant, soit Père. Le paragraphe 105(1) LIR ne trouve donc pas application dans la situation examinée.

Paragraphe 56(4) de LIR

Par ailleurs, le représentant de l’ARC avait envisagé l’application du paragraphe 56(4) de LIR de façon à ce que les revenus attribués aux enfants soient imposés dans les mains de Père étant donné le droit préexistant de ce dernier sur lesdits revenus. Constatant que le revenu de Père est diminué de plus de la moitié à partir de l’année où la nouvelle structure est mise en place, le représentant de l’ARC a soutenu que Père a transféré son droit à sa rémunération à ses enfants majeurs.

Puisque Père est à la fois bénéficiaire et fiduciaire, les revenus qui ont été attribués aux enfants auraient pu lui être attribués et payés à la discrétion des fiduciaires. Les faits rapportés mentionnent que l’une des clauses de l’acte de la fiducie prévoit que dans l’exercice de sa discrétion, le fiduciaire peut favoriser Père quant au revenu. Cependant, les fiduciaires n’ont pas exercé cette discrétion en faveur de Père et ce dernier n’avait donc qu’un droit potentiel sur les revenus de Fiducie. Par conséquent, la Direction des décisions anticipées en impôt a conclu que le paragraphe 56(4) de LIR ne s’applique pas.

Conclusion

Bien qu’il ait cherché à soulever des doutes quant aux événements entourant la création de Fiducie, le représentant de l’ARC n’a pas remis en question sa validité. De tels exemples, conjugués à l’augmentation prévue du nombre de vérifications des fiducies, devraient suffire à convaincre les praticiens de la nécessité de bien documenter leurs dossiers lors de la constitution d’une fiducie et d’expliquer adéquatement son rôle à chacun des intervenants.

Les questions posées à la Direction des décisions en impôt par le représentant de l’ARC visaient toutes à imposer au Père les sommes attribuées par Fiducie aux enfants. Aucune des dispositions techniques discutées n’aura pu à elle seule suffire à empêcher le fractionnement des revenus de Père avec ses enfants majeurs. Le représentant de l’ARC doit démontrer que les enfants ont agi à titre de parties accommodantes, soit en tant que mandataires ou prête-noms de Père.

Lorsqu’une documentation adéquate existe, que les enfants sont conscients que des sommes leur sont attribuées et qu’ils consentent au remboursement des dépenses payées par le parent, nous croyons que cette démonstration pourrait être difficile à effectuer devant les tribunaux. Quant à l’étendue de l’obligation alimentaire des parents envers un enfant majeur et à la capacité de ce dernier de subvenir à ses propres besoins, il s’agit là d’un tout autre débat!

* Article paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 19, numéro 1, du mois de février 2014.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Valérie Ménard.