De leur côté, les Québécois ont joué un rôle primordial auprès des organismes de bienfaisance locaux dans ce défi sans précédent par leur volonté de les soutenir en leur donnant du temps et des ressources.
Compte tenu de la grande valeur des sociétés privées, tant les organismes de bienfaisance que les donateurs devraient envisager de faire des dons par l’entremise de ces sociétés privées ou de donner des actions de ces sociétés privées.
Dons par une société privée
Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles le conseil d’administration d’une société fait des dons à des organismes de bienfaisance enregistrés à partir des actifs de la société. Il peut s’agir d’un désir d’avoir un impact positif dans la communauté, de soutenir une cause qui a touché des personnes associées à l’entreprise ou de développer une perception positive. Dans de nombreux cas, la société fait un don pour couvrir le coût d’une activité ou d’un événement caritatif et, en retour, l’organisme de bienfaisance fait de la publicité ou de la promotion pour la marque, les produits ou les services de l’entreprise. L’Agence du revenu du Canada (« ARC ») accepte que la société puisse inclure ces dons en tant que commandite dans ses dépenses de publicité, mais uniquement si cette commandite est considérée comme raisonnable et qu’elle a été donnée dans l’intention de générer des revenus.
Dans certains cas cependant, une société peut avoir un portefeuille d’investissement qui contient des titres, des titres de créance ou des droits cotés en Bourse, une action du capital social d’une société de fonds commun de placement, une unité d’une fiducie de fonds commun de placement, une participation dans une fiducie de fonds distinct connexe ou un titre de créance prescrit sur lesquels il existe un gain en capital non réalisé important. La société pourrait, au lieu de parrainer l’événement de l’organisme de bienfaisance, envisager de simplement faire un don à l’organisme de bienfaisance à partir de son portefeuille d’investissement. Dans les deux cas, la mission de l’organisme de bienfaisance est soutenue, mais les avantages fiscaux dont bénéficie la société en ce qui concerne le don de ses investissements peuvent être importants.
Premièrement, la société aura droit à un reçu pour don de bienfaisance égal à la juste valeur marchande (« JVM ») du don, en supposant que la société ne reçoive aucun avantage en échange du don, qui lui permettra de demander une déduction de ses revenus conformément à l’article 110.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »). L’ARC estime que si la société reçoit le même niveau de reconnaissance que tous les autres donateurs et que la reconnaissance est minimale, la société donatrice ne recevra aucun avantage en échange du don.
Deuxièmement, même si le don des titres est une disposition à des fins fiscales, le gain en capital résultant de la disposition des titres sera égal à zéro si les titres sont cotés sur une Bourse de valeurs désignée par l’application de l’alinéa 38a.1) L.I.R.
Troisièmement, en vertu de la définition de « compte de dividendes en capital » (« CDC ») prévue au paragraphe 89(1) L.I.R., le gain en capital total (partie imposable et non imposable) qui aurait autrement résulté d’une telle disposition sera inclus au CDC de la société en vertu de la division a)(i)(A) du paragraphe 89(1) L.I.R., alors qu’aucun montant à titre de gain en capital imposable ne serait visé par la division a)(i)(B) compte tenu du sous-alinéa 38a.1)(i) L.I.R. En effet, comme aucune partie de la plus-value n’est imposée, le montant total de la plus-value est inclus dans le CDC. Il s’agit évidemment d’un avantage fiscal supplémentaire considérable pour la société et ses actionnaires puisque le solde du CDC pourra être éventuellement versé sans incidence fiscale aux actionnaires.
Don d’actions d’une société privée
De nombreux organismes de bienfaisance ont adopté une politique interdisant d’accepter le don d’actions d’une société privée. Il est certain que les actions d’une société privée peuvent présenter des difficultés pour un organisme de bienfaisance si celui-ci devait conserver ces actions à long terme.
Premièrement, la valeur des actions n’est pas facile à déterminer, c’est pourquoi l’organisme de bienfaisance doit procéder régulièrement à une évaluation afin de calculer son contingent des versements. Le contingent des versements d’un organisme de bienfaisance est le montant minimum que cet organisme est tenu de dépenser chaque année sur ses propres activités de bienfaisance ou au moyen de dons versés à des donataires reconnus (par exemple, à d’autres organismes de bienfaisance enregistrés). Le calcul du contingent des versements est fondé sur la valeur des biens qu’un organisme de bienfaisance n’utilise pas pour la réalisation d’activités de bienfaisance ou pour son administration.
Deuxièmement, il est peu probable qu’il y ait un marché pour ces actions et l’organisme de bienfaisance pourrait donc ne pas être en mesure de les vendre facilement.
Troisièmement, l’organisme de bienfaisance pourrait devoir conclure une convention entre les actionnaires régissant les actions, dont les dispositions pourraient ne pas être conformes aux politiques d’investissement de l’organisme.
Quatrièmement, il peut être nécessaire de veiller à ce que les actions donnent droit à des dividendes suffisants pour permettre à l’organisme de bienfaisance de respecter ses obligations en matière de contingent annuel des versements et couvrir les frais administratifs liés au don.
Cinquièmement, une assurance sur la vie du donateur (si celui-ci est vital pour l’entreprise) peut également être nécessaire pour protéger la valeur des actions pour l’organisme de bienfaisance.
Enfin, les organismes de bienfaisance sont souvent préoccupés par les coûts liés à l’acceptation de dons d’actions de sociétés privées, y compris l’obtention de l’évaluation des actions aux fins de l’émission d’un reçu pour don de bienfaisance.
Pour ces raisons, les organismes de bienfaisance refusent souvent poliment de tels dons et invitent les donateurs à faire des dons en espèces à la place. Les dons en espèces provenant d’une société privée riche en liquidités ne sont pas aussi avantageux pour le donateur actionnaire que le don d’actions de la société privée à un organisme de bienfaisance. Un tel retrait d’argent de la société par le biais d’un dividende soumettrait l’actionnaire à un taux d’imposition pouvant aller jusqu’à 40,10 % pour les dividendes déterminés et jusqu’à 47,14 % pour les dividendes non déterminés. Si toutefois l’actionnaire pouvait faire un don d’actions de la société privée, la disposition des actions qui en résulterait serait traitée comme un gain en capital (en supposant qu’il y ait un gain en capital latent) et serait imposée à un taux inférieur (le taux marginal maximum pour les gains en capital est de 26,65 % pour 2020). De plus, l’actionnaire pourrait bénéficier de son exonération de gains en capital si les conditions pour le faire sont par ailleurs remplies.
Il existe une différence entre le traitement fiscal des dons d’actions de sociétés privées et des dons de titres cotés en Bourse. Comme il est indiqué ci-dessus, dans le cas des dons de titres cotés en Bourse, le taux d’inclusion des gains en capital est de zéro. À ce jour, cet avantage n’a pas été étendu aux dons d’actions de sociétés privées.
Un don d’actions d’une société privée à un organisme de bienfaisance entraînera une réalisation aux fins de l’impôt pour l’actionnaire donateur en vertu de l’alinéa 69(1)b) L.I.R., qui prévoit qu’un contribuable qui dispose d’un bien par voie de don est généralement réputé avoir reçu un produit de disposition égal à la JVM du bien à ce moment. Si la JVM du bien est supérieure à son prix de base rajusté, le donateur réalisera un gain en capital à la suite de cette disposition. Comme c’est le cas pour la plupart des dons de biens, les règles habituelles concernant la disposition de biens en capital s’appliqueront et 50 % de la plus-value sera incluse dans le revenu du donateur pour l’année et sera soumise à l’impôt. Par contre, le crédit d’impôt pour don découlant du don de bienfaisance compensera l’impact du gain en capital imposable pour le donateur.
Malgré tout, il pourrait, dans certains cas, exister un avantage fiscal supplémentaire au crédit pour don lorsque des actions d’une société privée sont données à un organisme de bienfaisance enregistré et que les actions sont rachetées par la société immédiatement après le don. En effet, une société qui gagne des revenus de placement pourrait recevoir un remboursement d’une partie de son solde d’impôt en main remboursable au titre de dividendes non déterminés (« IMRTDND ») ou de son solde d’impôt en main remboursable au titre de dividendes déterminés (« IMRTDD »), le cas échéant, suivant le rachat des actions de l’organisme de bienfaisance.
En effet, en vertu du paragraphe 129(1) L.I.R., un remboursement d’impôt au titre de dividendes (« RTD ») est disponible pour certaines sociétés qui ont versé des dividendes imposables au cours d’une année d’imposition. Le RTD est calculé en se référant au montant total de dividendes versés au cours de l’année et au solde des comptes théoriques de l’IMRTDND et de l’IMRTDD de la société. La société qui reçoit un RTD aura des liquidités excédentaires qui pourront être par la suite versées aux actionnaires.
Ainsi, un don d’actions de sociétés privées peut présenter un triple avantage. Tout d’abord, le donateur reçoit un crédit d’impôt pour activités de bienfaisance correspondant à la JVM des actions données. Ensuite, l’organisme de bienfaisance recevra la valeur des actions à titre de don. Troisièmement, lorsque les actions sont rachetées, l’organisme de bienfaisance reçoit un dividende imposable, mais comme il est une entité non imposable aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, la réception de ce dividende imposable n’aura aucune conséquence fiscale pour l’organisme de bienfaisance. La distribution de ce dividende à l’organisme de bienfaisance déclenchera, pour une société privée qui présente un solde d’IMRTDND ou d’IMRTDD, un remboursement d’une partie de son solde qui permettra ainsi à la société d’accéder à des liquidités supplémentaires à être versées ultérieurement aux actionnaires.
Pour ces raisons, les organismes de bienfaisance devraient envisager d’accepter des dons d’actions de sociétés privées, si les actions qui doivent être données sont rachetées immédiatement après le don. Un tel don peut être assez simple si les actions en question sont des actions privilégiées avec un prix de rachat fixe. Le don d’actions ordinaires peut présenter de plus grandes difficultés, mais peut toujours être envisagé.
Les coûts liés à une telle opération ne sont pas aussi élevés que le craignent de nombreux organismes de bienfaisance ou donateurs.
Les organismes de bienfaisance entreprennent généralement un processus de revue diligente raisonnable pour s’assurer qu’ils savent qui sont leurs principaux donateurs. Lorsqu’il envisage d’accepter le don d’actions de sociétés privées, l’organisme de bienfaisance doit, dans le cadre de son processus de revue diligente raisonnable, demander les derniers états financiers de la société et une confirmation écrite des dirigeants de la société selon laquelle la société dispose de ressources suffisantes pour racheter les actions immédiatement après le don. L’organisme de bienfaisance doit également obtenir une copie de toute convention d’actionnaires qui pourrait être en vigueur et un engagement des dirigeants garantissant que tous les consentements à la transaction seront exécutés avant le don.
Le rachat immédiat des actions privilégiées avec un prix de rachat fixe offre un avantage important. Pour l’organisme de bienfaisance, cela réduit considérablement le coût et la nécessité d’obtenir une évaluation formelle des actions puisque l’organisme recevra le prix de rachat fixe immédiatement après le don. Ainsi, le reçu pour don de bienfaisance émis pour la valeur des actions correspondra à la valeur de l’argent reçu qui, à son tour, correspond au prix de rachat.
En ce qui concerne le don d’actions ordinaires d’une société privée, il convient d’être plus prudent quant à la valeur du reçu pour don de bienfaisance. L’organisme de bienfaisance est tenu par la Loi de l’impôt sur le revenu de s’assurer que le montant indiqué sur le reçu correspond à la JVM des actions à la date du don. Étant donné que le donateur réalisera une disposition égale à la JVM des actions (al. 69(1)a) L.I.R., il sera dans son intérêt de veiller à ce que l’organisme de bienfaisance s’assure que le produit qu’il a reçu lors de l’achat pour annulation des actions est égal à la JVM afin que la valeur du reçu du don puisse compenser l’impact de la plus-value imposable.
Enfin, le rachat immédiat ou l’achat immédiat pour annulation des actions à la suite du don permettra de s’assurer que les règles régissant les « titres non admissibles » ne s’appliquent pas (par. 118.1(13) et 110.1(6) L.I.R.).
Finalement, accepter des dons en actions d’une société privée permettrait à l’organisme de bienfaisance d’offrir aux donateurs des possibilités accrues de faire des dons, ce qui est évidemment positif pour l’organisme de bienfaisance et sa mission. Bien que l’organisme de bienfaisance doive faire preuve de plus de diligence que pour les dons en espèces ou en titres cotés en Bourse, si la valeur des actions est importante, les avantages d’accepter de tels dons pour l’organisme et l’augmentation des coûts que cela pourrait engendrer seront plus que compensés par la valeur que l’organisme de bienfaisance reçoit et par la bonne perception qu’il développe avec ses donateurs.
Troy McEachren, Avocat, TEP, Associé, Miller Thomson s.e.n.c.r.l., tmceachren@millerthomson.com
Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Automne 2020), vol. 25, no 3.