En effet, en plus d’habiter un des logements de l’immeuble acquis, le particulier en profitera pour louer les autres logements de l’immeuble et ainsi en tirer un revenu de location.
L’immeuble acquis aura donc une double utilité : il servira en partie à des fins personnelles et en partie à gagner un revenu de location. Dans d’autres cas, des particuliers peuvent opter pour l’achat d’un immeuble à logements uniquement à des fins d’investissement.
Si le particulier en venait à prendre la décision de déménager (soit quitter le logement qu’il habite pour le louer, soit habiter un des logements qui était loué auparavant), cela pourrait mener, dans certaines situations, à des conséquences fiscales surprenantes et inattendues…
Imaginons la situation suivante : M. X a acquis, en 1995, un duplex à Montréal pour la somme de 150 000 $. En 2015, ce duplex avait une valeur marchande de 500 000 $. M. X a toujours loué les deux logements de ce duplex à des tiers. M. X décide d’aller habiter un des logements de son duplex, lequel représente 40 % de la superficie de l’immeuble.
Aux fins fiscales, cette décision de M. X entraîne un changement d’usage, puisque le logement qu’il habite sert désormais à des fins personnelles, alors qu’il servait auparavant à gagner du revenu. Quelles seront les implications fiscales de ce changement d’usage?
Les règles fiscales lors d’un changement d’usage
Le paragraphe 45(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (« L.I.R. ») prévoit qu’un contribuable est réputé avoir disposé d’un bien pour un produit égal à sa juste valeur marchande (« JVM ») lorsque l’usage du bien en question change à un moment donné. Lorsqu’il s’agit d’un changement d’usage partiel, c’est uniquement le pourcentage du bien dont l’usage a changé qui sera visé par la disposition réputée à la JVM. Par changement d’usage, on parle ici d’un bien qui servait initialement à gagner du revenu et qui sert désormais à une autre fin, ou l’inverse, c’est-à-dire un bien qui servait initialement à une autre fin et qui sert désormais à gagner du revenu.
La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit deux règles favorables lorsqu’un bien fait l’objet d’un changement d’usage. Celles-ci sont prévues aux paragraphes 45(2) et 45(3) L.I.R. Le choix prévu au paragraphe 45(3) L.I.R. vise précisément le cas de M. X.
Le paragraphe 45(3) L.I.R. précise ceci :
« Malgré le paragraphe (1), le contribuable qui cesse à un moment donné d’utiliser en vue de gagner un revenu un bien qu’il a acquis à cette fin n’est pas réputé en avoir disposé à ce moment et l’avoir acquis de nouveau aussitôt après si le bien devient la résidence principale du contribuable et si le contribuable en fait le choix par avis écrit au ministre au plus tard au premier en date des jours suivants:
a) le 90e jour suivant l’envoi au contribuable d’une demande formelle du ministre de produire ce choix;
b) la date d’échéance de production qui est applicable au contribuable pour l’année d’imposition où il a effectivement disposé du bien. »
La position de longue date connue de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») est que le choix prévu au paragraphe 45(3) L.I.R. ne peut pas être fait lorsqu’il y a un changement partiel d’usage d’un bien. Cela était prévu au numéro 30 de l’ancien Bulletin d’interprétation IT-120R6 et se retrouve aussi au numéro 2.57 du Folio de l’impôt sur le revenu S1-F3-C2 publié récemment par l’ARC.
De plus, le paragraphe 45(4) L.I.R. prévoit que le choix du paragraphe 45(3) L.I.R. ne peut pas être effectué si une déduction pour amortissement a déjà été réclamée après 1984 à l’égard de l’immeuble en question.
Ainsi, lorsqu’un particulier exerce le choix prévu au paragraphe 45(3) L.I.R., il n’est pas réputé avoir disposé du bien à sa JVM au moment du changement d’usage. De plus, il pourrait aussi désigner le bien comme étant sa résidence principale, aux fins de l’exemption prévue à l’alinéa 40(2)b) L.I.R., et ce, jusqu’à un maximum de quatre années durant lesquelles le bien était loué. En pratique, le choix du paragraphe 45(3) L.I.R. permet donc à un particulier, lorsque les conditions sont respectées, d’éviter notamment de déclencher un gain en capital sur la disposition réputée à la JVM (et les impôts à payer relativement à cette disposition réputée), alors que ce dernier n’a encaissé aucune somme à l’égard de cette disposition réputée.
Revenons à M. X. Comme il n’a jamais réclamé d’amortissement sur son duplex, peut-il se qualifier au choix du paragraphe 45(3) L.I.R. à l’égard de celui-ci?
Position de l’ARC sur les changements d’usage
Dans l’interprétation technique 2000-0047535 publiée en novembre 2000, l’ARC a mentionné qu’il fallait considérer les quatre logements d’un quadruplex comme étant quatre biens distincts pour l’application des règles sur les changements d’usage prévues aux alinéas 13(7)a), 13(7)b) et 45(1)a) L.I.R. L’ARC y a aussi précisé que cela était conforme à une position antérieure (EC1987) et que si l’on considérait l’immeuble comme un seul bien dans cette situation, l’application des alinéas 13(7)d) et 45(1)c) L.I.R. donnerait un résultat non représentatif de la situation réelle.
Ainsi, à la lumière de cette interprétation technique, il était donc possible pour M. X d’envisager de faire le choix du paragraphe 45(3) L.I.R., mais dans deux interprétations techniques publiées en 2012 (2011-0417471E5 datée du 21 février 2012 et 2011-0420171E5 datée du 27 juin 2012), l’ARC a indiqué qu’il n’était pas possible de faire le choix du paragraphe 45(3) L.I.R. sur un des logements d’un duplex que le particulier utilisera désormais comme résidence principale, car le duplex constituait un seul bien. Un changement de position administrative en date du 21 février 2012…
Aux fins des dispositions fiscales relatives à l’exemption pour résidence principale (prévues notamment à l’alinéa 40(2)b) L.I.R. et à la définition de « résidence principale » à l’article 54 L.I.R.), un duplex est composé de deux « logements » distincts. Malgré cela, un duplex (un triplex, un quadruplex, etc.) constituerait donc, selon la position de l’ARC énoncée dans les deux interprétations de 2012 susmentionnées, un seul bien aux fins des règles sur les changements d’usage. Or, comme le choix du paragraphe 45(3) L.I.R. (et aussi du paragraphe 45(2) L.I.R., que nous abordons un peu plus loin dans le présent texte) n’est pas possible pour un changement partiel d’usage sur un seul bien (il faut un changement complet d’usage), l’ARC en vient donc à la conclusion que ces choix ne sont pas possibles avec les duplex (triplex ou autres immeubles à logements multiples) lorsqu’il y a un changement d’usage pour seulement un des logements. Il ne serait alors pas possible de reporter la disposition réputée et de bénéficier de la règle des quatre années supplémentaires à l’égard de l’exemption pour résidence principale, deux avantages fiscaux rattachés au choix du paragraphe 45(3) L.I.R. (ou du paragraphe 45(2) L.I.R.).
Ainsi, M. X ne se qualifierait pas au choix du paragraphe 45(3) L.I.R., puisque le changement d’usage du logement constitue seulement, selon la position actuelle de l’ARC, un changement d’usage partiel du duplex.
Des précisions de l’ARC mettent fin à une incertitude qui planait depuis 2012
Entre 2000 et 2012, en se basant sur la position connue des autorités fiscales à ce moment (soit celle de l’interprétation technique 2000-0047535), plusieurs particuliers se sont dit qu’ils feraient le choix du paragraphe 45(3) L.I.R. Ainsi, dans des cas similaires à ceux de M. X, les contribuables ont opté pour cette avenue, puisque toutes les conditions semblaient satisfaites à ce moment. Or, comme nous l’avons cité précédemment, le paragraphe 45(3) L.I.R. prévoit que le choix ne doit généralement être signifié au ministre qu’à la date limite de production applicable à la déclaration de revenus pour l’année où le bien a effectivement été disposé (ou plus tôt si le ministre envoie une demande formelle de produire ce choix).
Qu’arrivera-t-il, en 2016, si un particulier décide de vendre son duplex dans lequel il y a eu un changement d’usage d’un des logements, mais en 2004? L’ARC acceptera-t-elle son choix en vertu du paragraphe 45(3) L.I.R. en 2016, alors que le particulier s’était fié à la position connue des autorités fiscales lors du changement d’usage en 2004, position qui, rappelons-le, n’est plus la même au moment de la disposition réelle de l’immeuble, à la suite de l’interprétation technique 2011-0417471E5 datée du 21 février 2012?
Dans le cadre de la Table ronde sur la fiscalité des stratégies financières et des instruments financiers du Congrès 2016 de l’Association de planification fiscale et financière (« APFF »), nous avions soumis cette situation aux autorités fiscales. Dans une question où la mise en contexte présentée précédemment a été reprise quasi textuellement, l’ARC a mentionné, en réponse à la question 4 de cette table ronde, qu’elle continue d’accepter, après le 21 février 2012, un choix prévu au paragraphe 45(3) L.I.R. pour un changement d’usage visé par la position prise le 21 février 2012 lorsque ce changement d’usage a été fait le ou avant le 21 février 2012 et qu’il se qualifiait par ailleurs pour ce choix avant cette prise de position. Une bonne nouvelle pour les contribuables visés qui vivaient dans l’incertitude depuis ce changement de position administrative. Toutefois, l’ARC confirme ainsi qu’elle maintient sa position actuelle (la présence d’un changement d’usage partiel) si le changement d’usage d’un logement d’un duplex a lieu après le 21 février 2012. Cela peut donc constituer un problème dans de telles situations.
Qu’en est-il des propriétaires-occupants qui décident de louer leur propre logement?
Comme nous l’avons mentionné précédemment, le choix du paragraphe 45(2) L.I.R. peut être effectué lui aussi, mais uniquement lorsqu’il y a un changement d’usage complet d’un bien. Ainsi, selon la position actuelle de l’ARC, le changement d’usage d’un seul logement dans un duplex ne permet pas de faire ce choix, puisqu’il s’agit d’un changement d’usage partiel.
Le choix du paragraphe 45(2) L.I.R. est en quelque sorte le miroir du choix prévu au paragraphe 45(3) L.I.R. Le choix du paragraphe 45(2) L.I.R. permet notamment à un particulier d’éviter la disposition du bien à la JVM lorsque le bien servait à des fins personnelles et qu’il servira désormais à gagner du revenu. Ce choix permet également au particulier de désigner le bien en question comme étant sa résidence principale aux fins de l’exemption pour résidence principale pour une période maximale de quatre ans, période durant laquelle le choix du paragraphe 45(2) L.I.R. doit être valide. Il convient de noter toutefois que contrairement au choix du paragraphe 45(3) L.I.R., le choix du paragraphe 45(2) L.I.R. doit être produit pour l’année d’imposition où le changement d’usage a eu lieu.
En matière de politique fiscale, il est surprenant que des particuliers ayant acquis un immeuble à logements multiples soient pénalisés, en ce qui concerne leur propre logement, par opposition à un particulier qui détient, par exemple, une unité en copropriété divise (et qui peut même détenir plusieurs unités dans un même immeuble) ou une maison unifamiliale. On prive ainsi les détenteurs d’immeubles locatifs de type propriétaire-occupant de certains avantages fiscaux prévus au paragraphe 45(2) L.I.R., tout en les forçant, dans certains cas, à désigner leur logement comme résidence principale au moment du changement d’usage, plutôt que de conserver les années ou certaines années de détention pour une autre résidence. Pourtant, aux fins du régime d’accession à la propriété (« RAP »), du crédit d’impôt à l’achat d’une première habitation (« CIAPH ») et du calcul de l’exemption pour résidence principale, le logement du propriétaire est traité de façon distincte de tout autre logement.
Le choix du 22 février 1994
Voyons un autre exemple, impliquant cette fois-ci le choix du 22 février 1994 relativement à l’abolition de l’exonération de 100 000 $ sur le gain en capital.
Des fonctionnaires de l’ARC ont répété à maintes reprises, à l’époque, qu’il fallait traiter un duplex comme deux biens distincts (la partie locative et la partie résidence personnelle). Bien des spécialistes qui ont effectué le choix du 22 février 1994 sur des duplex ou triplex n’auraient donc pas effectué le choix correctement, si on tient compte de la position actuelle de l’ARC. Comme il s’agissait d’un seul bien, ils auraient dû majorer le produit de disposition pour déclencher un gain suffisant pour utiliser la totalité de l’exonération de 100 000 $ (l’autre portion du gain étant potentiellement exonérée à titre de résidence principale).
Par contre, comme mentionné précédemment, dans l’ancienne interprétation technique 2000-0047535, l’ARC avait précisé qu’il fallait considérer les quatre logements d’un immeuble comme étant quatre biens distincts pour l’application des règles sur les changements d’usage.
Cette ancienne interprétation technique explique aussi, en grande partie, pourquoi tant de praticiens ont effectué le choix du 22 février 1994 à l’égard d’un seul logement lorsqu’un immeuble en comptait plus d’un, comme nous l’avons expliqué précédemment. Cette position explique aussi pourquoi le choix des paragraphes 45(2) ou 45(3) L.I.R. a été fait à plusieurs reprises à l’égard d’un changement d’usage pour un logement situé dans un duplex, et ce, jusqu’à la publication, en 2012, des interprétations techniques citées précédemment.
Tout comme elle l’a fait pour le choix du paragraphe 45(3) L.I.R., l’ARC a précisé lors du dernier congrès de l’APFF qu’elle considère toujours comme valide le formulaire produit par un contribuable à l’égard de ce choix, et ce, conformément aux instructions et informations disponibles au moment où ce choix a été effectué. Cela constitue donc une bonne nouvelle.
Une perte en capital admissible lors de la disposition d’un duplex?
Cette position de l’ARC, de considérer l’immeuble entier comme un seul bien, entraîne également d’autres conséquences fiscales surprenantes.
Comme le duplex de M. X constitue un seul bien, cela signifie que celui-ci n’est pas un « bien à usage personnel » pour M. X dans notre exemple. En effet, l’immeuble ne serait pas affecté principalement (cela signifie généralement plus de 50 %) à l’usage et à l’agrément personnels du contribuable ou de personnes liées au contribuable, puisque M. X l’habite à 40 % seulement et loue le reste à des tiers. Le sous-alinéa 40(2)g)(iii) L.I.R. n’aurait donc pas pour effet de refuser une éventuelle perte en capital sur la « portion admissible » découlant de la disposition du duplex, y compris sur les 40 % utilisés personnellement par M. X.
Cela a également été confirmé par l’ARC lors du dernier congrès de l’APFF. Il ne reste plus qu’à connaître la position exacte de l’ARC sur cette « portion admissible », laquelle sera obtenue par le biais d’une demande d’interprétation technique. Une histoire à suivre…
En conclusion, une solution qui serait si simple à adopter
Comme nous l’avons mentionné précédemment, les réponses fournies par l’ARC lors du dernier congrès de l’APFF permettent aux contribuables de mieux s’y retrouver dans certaines situations expliquées précédemment. Des précisions qui sont malgré tout très appréciées, puisqu’elles mettent fin à une incertitude qui régnait depuis quelques années déjà.
Par contre, une façon relativement simple de régulariser toute cette problématique serait de modifier la législation pour refléter le concept de « logement » aux fins des paragraphes 45(2) et 45(3) L.I.R. (et non uniquement le concept de « bien ») et ainsi harmoniser les règles fiscales sur de tels changements d’usage avec les autres mesures rattachées à la résidence principale mentionnées précédemment (comme le RAP, l’exemption pour résidence principale et le CIAPH). Le ministère des Finances du Canada est bien au courant de la situation, il ne reste plus qu’à voir s’il ira de l’avant avec une telle modification.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Yves Chartrand, M. Fisc..