Femme d’affaires ambitieuse restant confiante et forte dans la ville.
PKpix / iStock

En 2024, le gouvernement canadien a adopté une nouvelle législation visant à encourager les propriétaires à transférer leur entreprise à leurs employés. Le Budget fédéral du 16 avril 2024 a annoncé une mesure d’exonération d’impôt sur les 10 premiers millions de dollars en gains en capital réalisés sur la vente d’une entreprise à une fiducie collective des employés (« FCE »). Cette mesure est devenue une loi fédérale le 21 juin 2024.

L’histoire des FCE

Le Canada suit les traces de deux pays qui, depuis de nombreuses années, encouragent la participation des employés dans l’actionnariat par des mesures législatives et des incitations fiscales.

Bref historique du modèle américain :

  • Les Employee Share Ownership Plans (ESOP) ont été introduits en 1974 pour garantir aux salariés un revenu de retraite, dans le cadre de la loi sur les pensions (Pension Act);
  • Les salariés se voient attribuer des comptes de capital individuels (« CCI ») et bénéficient de gains en capital lorsqu’ils quittent leur emploi ou prennent leur retraite;
  • Environ 6 500 plans existent actuellement aux États-Unis et touchent 10 % de la main-d’œuvre;
  • Incitations fiscales : 1) Si le vendeur vend plus de 30 % de la société, il peut différer l’impôt des gains en capital et éventuellement l’éviter; 2) Les entreprises détenues par les salariés et structurées comme des sociétés de type S ne paient pas d’impôt sur les sociétés; 3) Les salariés ne paient des impôts que lorsqu’ils reçoivent un paiement pour leurs actions.

Bref historique du modèle britannique :

  • Les FCE ont été introduites en 2014 pour répondre à un problème de succession;
  • Administrés par l’intermédiaire d’une fiducie, les salariés participent aux bénéfices grâce à la propriété collective et ne profitent donc pas de gains en capital comme aux États-Unis;
  • Estimation : 1 400 fiducies existent en fin d’année 2023;
  • Incitations fiscales : 1) Les ventes aux FCE au Royaume-Uni sont exonérées d’impôt à 100 %; 2) Les distributions d’une FCE aux employés jusqu’à 3 600 £ par an sont également exonérées d’impôt pour l’employé.

Dans le modèle canadien, comme aux États-Unis et au Royaume-Uni, les actions ne sont pas détenues directement par les salariés, ce qui signifie qu’ils en sont bénéficiaires, mais qu’ils ne peuvent pas les échanger ou les vendre librement. Elles ne leur confèrent pas non plus de droits de vote directs, car la fiducie est généralement représentée par un employé au conseil d’administration.

La législation canadienne est plus souple que celle des États-Unis et du Royaume-Uni, puisqu’elle autorise à la fois les CCI au sein de la fiducie ainsi que la propriété collective. Cela dit, elle s’est efforcée d’être plus simple que la législation américaine, qui est un régime de retraite agréé, impliquant de nombreuses parties prenantes et assez coûteuses à mettre en place.

Comment identifier une entreprise candidate à vendre à une FCE?

L’entreprise candidate dispose d’un flux de trésorerie stable et ne prévoit pas d’investissements majeurs pour les cinq à sept prochaines années et devrait respecter les éléments suivants :

1)      La fiducie doit acquérir au moins 51 % des actions afin que la société soit contrôlée par celle-ci;

2)      Bien qu’une institution financière puisse financer une partie de la transaction, le vendeur devra probablement financer une bonne partie, voire la totalité, de la transaction, et donc attendre d’être payé au fil du temps.

Le transfert aux employés doit être effectué à la juste valeur marchande (« JVM »).

La nouvelle exonération des gains en capital de 10 M$ s’applique à la transaction. S’il y a plusieurs vendeurs, l’exonération sera répartie entre les vendeurs.

Il convient de noter que plusieurs institutions financières au Canada sont actuellement en train de confirmer les premiers financements de FCE.

FONCTIONNEMENT

D’une manière générale, la transaction sera financée en partie par le vendeur et en partie par une institution financière.

Tous* les employés sont bénéficiaires, mais ils ne doivent rien débourser pour y participer. Voici un exemple de comment cela pourrait fonctionner.

Première tranche (généralement de cinq à sept ans) – Prêt initial

Les bénéfices sont utilisés, jusqu’à ce que le prêt initial soit remboursé, dans cet ordre et seulement s’il en reste, pour :

1)      Rembourser le prêt mensuel à l’institution financière (généralement 50 % de la vente);

2)      Payer les intérêts au propriétaire;

3)      Payer la fiducie :

  1. a) rachat des titres en créance (employés partis ou retraités),
  2. b) participation aux bénéfices ou bénéfices non distribués.

Deuxième tranche – La deuxième partie est financée pour payer complètement le vendeur

Les bénéfices sont utilisés, dans cet ordre et seulement s’il en reste, pour :

1)      Rembourser le prêt mensuel à l’institution financière (généralement les 50 % restants);

2)      Payer la fiducie :

  1. a) rachat des titres en créance (employés partis ou retraités),
  2. b) participation aux bénéfices ou bénéfices non distribués.

Postfinancement de la banque ou du propriétaire

Les bénéfices sont utilisés, dans cet ordre et seulement s’il en reste, pour :

1)      Payer la fiducie :

  1. a) rachat des titres en créance (employés partis ou retraités),
  2. b) participation aux bénéfices ou bénéfices non distribués.

*   Tous les employés sont bénéficiaires après une période de probation et avec certaines exceptions pour les employés détenant déjà des parts avant la transaction. Voir le tableau « Définition d’une FCE ».

Pourquoi est-ce une bonne idée pour l’économie canadienne?

Des décennies de recherche montrent que les entreprises détenues par leurs salariés obtiennent constamment de meilleurs résultats que leurs homologues en matière de productivité et qu’elles se redressent plus rapidement en cas de ralentissement de l’activité. Ce phénomène est généralement attribué à la mentalité de propriétaire des employés et à leur désir de maintenir les emplois dans la communauté ainsi que faire perdurer l’entreprise.

Pourquoi est-ce important pour le Québec? Un problème d’envergure

En 2021, l’année la plus récente pour laquelle nous disposons de données, 8 600 organisations ont changé de mains au Québec. Selon Statistique Canada, 24 000 propriétaires de PME au Québec songent à vendre ou à transférer leur entreprise au cours de la prochaine année. Selon le rapport de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes de 2022 sur la relève, 15 % des propriétaires de PME prévoient de quitter leur entreprise au cours des 12 prochains mois. Nombre d’entre eux seront à la recherche d’une solution de succession viable.

L’acquisition par des sociétés de capital d’investissement entraîne souvent la vente des actifs de l’entreprise, son transfert dans un autre pays, ou les deux. Si l’entreprise est rachetée par un grand acteur étranger, ce n’est souvent qu’une question de temps avant que les initiatives de réduction des coûts centralisent les fonctions et suppriment les emplois locaux.

Faire participer les employés dans l’actionnariat peut être une solution que les propriétaires ont le droit de connaître et qui permettra de propager leur héritage, de maintenir les emplois au Canada et d’assurer la productivité continue de l’entreprise.

Au sujet d’Employé.e.s Propriétaires Canada

Employé.e.s Propriétaires Canada (EOC) est une association nationale à but non lucratif qui se consacre à faire croître le nombre d’entreprises détenues par les employés à travers le pays, en particulier par le biais de FCE et de plans d’achat d’actions par les employés.

Définition d’une FCE1

Critère 1 : Résidence

La fiducie doit résider au Canada.

Critère 2 : Employés-bénéficiaires

Chaque bénéficiaire est employé par une entreprise admissible contrôlée par la FCE et tous les employés sont bénéficiaires (exclusion possible d’un employé en période probatoire, maximum 12 mois).

Les anciens employés sont admissibles dans certains cas.

Exclusions : 1) Les personnes qui détiennent directement ou indirectement (autre qu’une participation dans la FCE) au moins 10 % de la JVM d’une catégorie d’actions d’une entreprise admissible contrôlée par la FCE; 2) Une personne détenant directement ou indirectement au moins 50 % de la JVM d’une catégorie (avec une personne ou une société de personnes liée ou affiliée) d’actions d’une entreprise admissible contrôlée par la FCE; 3) Une personne qui avant le transfert admissible détenant seul ou avec les personnes liées ou affiliées au moins 50 % au plus de la JVM des actions et de la dette de l’entreprise admissible.

Critère 3 : Règle de distribution

La règle de distribution de la participation au revenu et au capital de la FCE doit s’effectuer uniquement en fonction d’une combinaison des critères suivants :

1)      Total des heures travaillées;

2)      Rémunération;

3)      Période de service d’emploi.

La règle peut différer pour le revenu versus le capital et pour les employés versus les anciens employés.

Critère 4 : Règle d’impartialité 

Interdiction aux fiduciaires d’agir dans l’intérêt d’un autre bénéficiaire (ou un groupe de bénéficiaires).

Critère 5 : Fiduciaires admissibles 

Est un particulier (par exemple, pas une fiducie).

Société résidante au Canada autorisée en vertu des règles fédérales ou provinciales à exercer une entreprise de fiduciaire.

Critère 6 : Règle de gouvernance 

Chaque fiduciaire dispose du même droit de vote.

Minimum 1/3 des fiduciaires = bénéficiaires de la FCE en tant qu’employés d’une entreprise admissible contrôlée par la fiducie.

Minimum 3/5 des fiduciaires = indépendants (pas de lien de dépendance avec les personnes ayant vendu les actions d’une entreprise admissible à la FCE).

Critère 7 : Changements fondamentaux 

L’approbation d’une majorité des employés-bénéficiaires est requise afin d’approuver certains changements fondamentaux apportés à l’entreprise :

  • perte de 25 % ou plus du statut d’employés-bénéficiaires;
  • liquidation, vente ou fusion d’une entreprise admissible (sauf interne).

Critère 8 : Biens en fiducie

La totalité ou la presque totalité de la JVM des biens de la fiducie est attribuable aux actions d’une ou de plusieurs entreprises admissibles que la fiducie contrôle (test continuel).

1   La présente partie s’inspire d’une présentation de Jean-François Thuot (PwC) dans le cadre d’une activité conjointe de l’APFF et de l’Association des employé.e.s propriétaires du Canada qui a eu lieu le 15 mai 2024. Pour plus de détails, veuillez vous référer à la loi directement.

Texte par: Rachel Bachmann, Employé.e.s Propriétaires Canada, rachel@akiriconsultants.com

Ce texte a été publié initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 29, no 4 (Hiver 2024).