Cet arrêt de la Cour suprême a confirmé la possibilité de procéder à telles demandes de rectifications lorsqu’une erreur entache une planification fiscale, et plusieurs décisions postérieures ont eu à en définir le champ d’application. Les limites d’un tel recours en rectification ont été soulignées dans deux jugements de la Cour d’appel du Québec, rendus simultanément en mai 2015, dans lesquels le plus haut tribunal du Québec a refusé les demandes en rectification déposées par les contribuables.
Le présent texte se veut un résumé de ces deux arrêts récents, soit les affaires Mac’s Convenience Stores Inc. c. Procureur général du Canada et Agence du Revenu du Québec, 2015 QCCA 837 (« Mac’s Convenience Stores ») et Procureur général du Canada c. Le Groupe Jean Coutu (PJC) inc. et The Jean Coutu Group (PJC) USA Inc., 2015 QCCA 838 (« Groupe Jean Coutu »). Nous discuterons également d’une troisième décision rendue par la Cour supérieure du Québec en mars dernier, qui a été favorable au contribuable : Lemair c. Canada (Procureur général), 2015 QCCS 1142 (« Lemair »).
Nous compléterons ensuite l’analyse de ces décisions par un bref exposé général des situations dans lesquelles un contribuable peut revoir rétroactivement la documentation donnant effet à une opération entraînant des conséquences fiscales imprévues et déposer au tribunal une demande en rectification à cet effet.
Affaire Mac’s Convenience Stores
Dans cette affaire, Mac’s Convenience Stores Inc. (« Mac’s ») a contracté en 2005 un prêt de 185 M$ auprès d’une société américaine. Les intérêts payés par Mac’s ont été déduits dans le calcul de son revenu aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. En 2006, Mac’s a versé un dividende de 136 M$ à Couche-Tard Inc. En 2007, Mac’s a été avisé par un cabinet comptable que la déclaration de ce dividende entraînait l’application des règles de capitalisation restreinte et faisait en sorte que les intérêts payés aux termes du prêt contracté n’étaient pas déductibles dans le calcul de son revenu. Il est important de préciser que ces règles n’avaient jamais été abordées lors de la déclaration du dividende en 2006. Mac’s a dès lors avisé l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), qui a émis des cotisations refusant les déductions d’intérêts payés à la société américaine.
Mac’s demande au tribunal d’annuler la résolution déclarant le dividende de 136 M$ et de la remplacer par une résolution réduisant le capital versé des actions du même montant. Cette réduction de capital versé aurait pour effet de permettre à Mac’s de déduire de son revenu les intérêts payés à la société américaine. Mac’s prétend que son intention initiale lors de la mise en place des transactions était de maximiser les dépenses d’intérêts et de ne générer aucune incidence fiscale, et ce, peu importe si cela devait se faire par une déclaration de dividende ou de réduction de capital versé.
L’ARC et Revenu Québec prétendent de leur côté que Mac’s tente de réécrire l’histoire fiscale, que sa demande ne vise pas simplement une correction d’erreur puisque la rectification exigerait la rédaction de nouveaux actes. De plus, selon les arguments des autorités fiscales, l’erreur ne fut pas commise par la déclaration de dividende mais bien par l’impact de celle-ci sur la déductibilité des intérêts.
La requête en rectification a été rejetée aussi bien par le tribunal de première instance que par la Cour d’appel du Québec. La Cour d’appel du Québec distingue les faits dans la présente situation de celle dans l’affaire Services Environnementaux AES et dans l’affaire Riopel. On se rappellera que, dans ces dernières, la Cour suprême du Canada a approuvé une correction des documents pour permettre aux parties d’éviter une conséquence fiscale qu’elles avaient initialement traitée à éviter. Or, dans le présent cas, Macs a cherché à effectuer une transaction afin d’éviter l’impôt sur des revenus d’intérêts. Le versement de dividende survenu par la suite n’avait pas pour objectif de réduire le fardeau fiscal des parties et celles-ci n’ont jamais discuté initialement des conséquences fiscales qui en découleraient. La Cour d’appel du Québec précise que l’objet recherché dans la rectification ne peut pas être une simple intention de réduire les responsabilités fiscales.
Ainsi, la Cour d’appel du Québec conclut que corriger une transaction n’équivaut pas à la changer. Les parties se doivent de vivre avec les conséquences fiscales du contrat qu’elles ont choisi de conclure.
Affaire Groupe Jean Coutu
Groupe Jean Coutu PJC Inc. (« PJC ») est l’unique actionnaire de Jean Coutu Group (PJC) USA (« PJC USA »), qui acquiert 1 800 pharmacies situées aux États-Unis. Après avoir consulté ses experts-comptables afin d’éviter qu’une variation du taux de change ne soit reflétée dans ses états financiers, PJC a mis en place une série de transactions visant à neutraliser les effets de cette variation du taux de change. Dans le cadre de ces opérations, PJC USA a prêté à PJC la somme de 70 M$ US avec intérêts. Cela permettait de contrebalancer l’effet de la variation du taux de change dans les états financiers de PJC.
L’ARC a considéré les revenus d’intérêts payés comme un revenu étranger accumulé tiré de biens (« RÉATB ») avec pour conséquence des impôts imprévus de plus de 2 M$.
PJC a déposé une demande en rectification afin de corriger rétroactivement les transactions effectuées dans le but d’éviter les impôts payables. Elle prétend que les transactions effectuées visaient à répondre à des exigences comptables sans créer de conséquence fiscale négative. Selon elle, les transactions réalisées auraient dû être faites autrement afin de respecter son intention de n’avoir aucune conséquence fiscale négative. C’est d’ailleurs pourquoi la demande de rectification lui permettrait de corriger les documents afin que ceux-ci correspondent à son intention de neutraliser les effets du taux de change dans ses états financiers et de ne pas créer de conséquences fiscales négatives.
L’ARC prétend que PJC cherche plutôt à réécrire l’histoire fiscale des opérations effectuées afin d’éviter que des revenus d’intérêts ne soient imposés. L’ARC ajoute qu’il n’existe aucune divergence entre le negotium et l’instrumentum, car les transactions effectuées neutralisent l’effet du taux de change, soit l’intention spécifique de PJC. Les fiscalistes de PJC ont omis de considérer l’application des règles de RÉATB et un contribuable ne peut pas modifier des transactions afin d’obtenir un traitement fiscal plus avantageux.
Le juge de première instance a accueilli la requête de PJC. Il a conclu que l’intention de PJC était au début de régler un problème de taux de change sans considération fiscale et que PJC n’avait pas fait preuve de négligence ou manqué de diligence.
La Cour d’appel du Québec a donné par contre raison à l’ARC. Elle conclut que le juge de première instance a commis une erreur manifeste en concluant que PJC n’avait pas cherché à réécrire l’histoire fiscale des opérations intervenues. Certes, elle avait l’intention de neutraliser les effets de la variation du taux de change dans les états financiers, mais elle n’avait pas l’intention d’éviter, de reporter ou de réduire ses obligations fiscales.
PJC a demandé la permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada le 29 juin 2015. Il reste à voir si cette dernière accordera la permission d’interjeter appel des décisions de la Cour d’appel du Québec et, dans l’affirmative, si elle confirmera ou infirmera celles-ci.
Affaire Lemair
Le 25 mars dernier, la Cour supérieure a accueilli la requête en rectification des livres et documents, ainsi que des formulaires fiscaux de la société Fondrémy inc. présentée par cette dernière et par son actionnaire M. Gérard Lemair. En l’espèce, M. Gérard Lemair, actionnaire de la société Fondrémy inc., décide de procéder à un gel successoral en faveur d’une fiducie familiale sur l’avis de ses conseillers juridiques. Il a été établi que le gel présenté à M. Lemair, et auquel il a consenti, comportait un échange de ses actions ordinaires par des actions privilégiées seulement et qu’avant d’accepter de procéder à la transaction, M. Lemair s’est assuré à au moins deux reprises auprès de ses conseillers que le gel s’effectuerait sans aucune incidence fiscale.
Toutefois, les documents présentés à la séance de clôture prévoient notamment l’émission d’un billet à demande, une étape n’ayant auparavant fait l’objet d’aucune discussion avec M. Lemair et entraînant de surcroît un dividende réputé de plus de 1,3 M$. L’ARC effectue subséquemment une vérification et émet un avis de cotisation, ajoutant le dividende présumé au revenu de M. Lemair Ce dernier s’oppose à cette cotisation et, ainsi que sa compagnie, demande entre-temps la rectification des documents aux motifs que la transaction convenue ne comprenait pas l’émission du billet et qu’il y avait donc divergence entre l’intention des parties et la mise en place des transactions convenues. Il avait notamment été établi en preuve qu’il n’avait pas été question d’avoir accès à des liquidités dans le cadre de la planification fiscale.
Les autorités fiscales ont, dans un premier temps, refusé la prétention selon laquelle le billet avait été émis par erreur en alléguant qu’il n’y avait pas de divergence entre l’intention commune des parties et l’intention reflétée à travers les actes effectués et que, par conséquent, il n’était pas possible d’appliquer les critères de la jurisprudence dans la cause Services environnementaux AES à leur situation.
La Cour supérieure a tranché en faveur de M. Lemair et a accordé la rectification demandée. En effet, pour la Cour, il ne fait aucun doute que l’acte juridique auquel l’actionnaire a consenti ne devait entraîner aucune conséquence fiscale à court terme. Cette dernière reprend les termes de la Cour d’appel du Québec dans sa décision Services environnementaux AES :
« [17] Par ailleurs, lorsqu’il constate non pas une erreur mais un écart entre l’intention commune des parties (le negotium) et leur intention déclarée au contrat (l’instrumentum), le juge peut tenir compte de cet écart en donnant effet au contrat (article 1425 C.c.Q), à condition, bien évidemment, que la demande soit légitime et que la correction proposée n’affecte en rien les droits des tiers.
[18] En effet, la règle énoncée à l’article 1425 C.c.Q en matière d’interprétation du contrat fait primer l’intention véritable des parties sur celle déclarée au contrat.
[19] Le pouvoir accordé au juge de rendre l’instrumentum conforme au negotium est la conséquence implicite de cette règle puisqu’il permet de faire concorder le texte du contrat et l’intention véritable des parties; encore faut-il, cependant, que les droits des tiers ne soient pas affectés (une analogie est possible ici avec les règles de la simulation, aux articles 1451 et 1452 C.c.Q.). Un arrêt récent et unanime de la Cour reconnaît explicitement et, si l’on veut asseoir sur un principe ferme le jugement rendu en première instance, c’est sur ce principe qu’il repose. »
À la suite de cet exposé sur l’écart entre le negotium et l’instrumentum, la Cour relève trois points pour démontrer l’intention réelle des parties :
« [61] L’opération dite « Gel successoral » est bien connue et fort utilisée comme en fait foi la preuve administrée devant le Tribunal.
[62] Lorsque fait correctement, elle n’entraîne aucun impact fiscal immédiat pour le contribuable.
[63] Dans la présente affaire, et en dépit de l’existence d’un billet en sa faveur, Monsieur Lemair a agi comme si ce billet n’existait pas. »
Ainsi, dans cette cause, la demande de rectification a été accordée au contribuable.
Le message lancé par les tribunaux est clair. Bien que la demande en rectification soit possible, il faut toutefois agir avec prudence. La possibilité d’obtenir une permission de rectifier une planification fiscale ne doit pas encourager le contribuable à se lancer dans une planification fiscale « audacieuse » pour reprendre les termes utilisés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Services environnementaux AES, sous prétexte que toute incidence fiscale imprévue pourra être annulée par une requête en rectification. Tel que l’affirme le juge LeBel dans l’affaire Services environnementaux AES :
« L’intention d’un contribuable de réduire ses obligations fiscales ne saurait à elle seule constituer l’objet de l’obligation au sens de l’article 1373 C.c.Q., compte tenu de son caractère insuffisant déterminé ou déterminable, ni même l’objet du contrat au sens de l’article 1412 C.c.Q. »
Par conséquent, lors d’un écart entre l’intention commune des parties (intention véritable) et l’intention déclarée au contrat, sous réserve de l’affectation des droits des tiers, la rectification pourrait être accordée par le juge, mais encore faut-il que la rectification ne soit pas utilisée comme un outil de planification rétroactive. En d’autres termes, l’erreur alléguée qui ne serait en fait qu’une conséquence fiscale défavorable imprévue d’une convention, par ailleurs acceptée à l’origine par les parties en cause, ne saurait à elle seule donner lieu à une demande de rectification.
Ainsi, la lecture des trois décisions décrites plus haut semble indiquer que le recours en rectification au Québec serait limité aux situations mettant en cause des planifications fiscales relativement courantes et où il peut être démontré que l’erreur a été commise dans la mise en place de la planification et non dans sa structure même.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Sophie Rivest.