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Selon l’ancien régime, la mesure s’appliquait habituellement lorsqu’un dividende (autre qu’un dividende visé au paragraphe 84(3) L.I.R.) avait pour objet la conversion d’un gain en capital en un dividende libre d’impôt et qu’un événement avec un tiers faisait partie de la même série de transactions au cours de laquelle le dividende avait été payé. L’application de la règle a été élargie par l’ajout de deux nouveaux tests d’objet, prévus respectivement aux divisions 55(2.1)b)(ii)(A) et 55(2.1)b)(ii)(B) L.I.R., et par le resserrement de l’exception pour parties liées de l’alinéa 55(3)a) L.I.R. De plus, les modifications apportées à l’exception relativement au revenu protégé feront en sorte que certains dividendes auparavant « protégés » ne pourront plus éviter l’application du paragraphe 55(2) L.I.R.

Le présent texte résume les derniers développements relativement à l’article 55 L.I.R. depuis les Modifications et se veut plus particulièrement une réflexion sur la relation existant entre les tests d’objet, l’exception à l’alinéa 55(3)a) L.I.R. et l’importance toute nouvelle du revenu protégé. Ce dernier concept sera par ailleurs abordé à la lumière des nombreuses positions administratives émises par l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») durant la dernière année. (Pour des explications plus complètes sur les Modifications, le lecteur pourra se référer au texte suivant : Serge BILODEAU et Dominique DUPUIS, « Le nouveau visage de l’article 55 L.I.R. : faut-il être encore plus méfiant? », dans Congrès 2015, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 2016, p. 22:1-72.)

Les nouveaux tests d’objet

Alors que l’ancienne mouture du régime de l’article 55 L.I.R. ne prévoyait la recaractérisation d’un dividende en gain en capital que lorsque l’un des objets du paiement dudit dividende était la diminution d’un gain qui aurait par ailleurs été réalisé sur la vente d’une action, les Modifications ont ajouté deux tests : le test de diminution sensible de la juste valeur marchande (« JVM ») d’une action (div. 55(2.1)b)(ii)(A) L.I.R.) et le test d’augmentation du coût indiqué des biens du bénéficiaire de dividende (div. 55(2.1)b)(ii)(B) L.I.R.).

Les Modifications s’inscrivent dans la même lignée que l’ancienne version du paragraphe 55(2) L.I.R. : essentiellement, le législateur a adopté des règles contrant les transactions, quelle que soit leur forme, qui diminuent les gains en capital qui auraient autrement été réalisés. Ainsi, les deux nouveaux tests visent à limiter la possibilité de créer des attributs fiscaux permettant ultérieurement de diminuer un gain en capital, soit en créant une perte sur une action, soit en augmentant le coût indiqué des biens du bénéficiaire de dividende.

Au sujet des tests d’objet, l’ARC a mentionné, lors de la table ronde du Congrès 2015 de la Fondation canadienne de fiscalité (« Table Ronde FCF 2015 »), qu’il fallait examiner l’objectif du paiement du dividende, et non son effet. Autrement, le paragraphe 55(2) L.I.R. trouverait à tout coup application, puisqu’un dividende aurait pratiquement toujours pour résultat de diminuer la JVM d’une action ou d’augmenter le coût des biens du bénéficiaire de dividende. Par ailleurs, il a été précisé que la détermination de l’objet du paiement ou de la réception d’un dividende devait se faire à la fois de manière objective et subjective.

L’ARC signala toutefois que si la création d’une perte sur une action ou l’augmentation du coût causée par le dividende permettait de réduire un gain en capital quelconque, ce serait une indication que l’alinéa 55(2.1)b) L.I.R. s’applique. Cette observation suggère qu’une intention d’utiliser l’attribut fiscal ainsi créé par le paiement ou la réception du dividende à l’encontre d’un gain en capital doit exister afin que le paragraphe 55(2) L.I.R. s’applique. Par contre, cette seule intention suffirait à déclencher la mesure, peu importe le moment de réalisation du gain, que le gain ainsi « abrité » se réalise lors d’un événement avec un tiers ou non, ou que cet événement fasse partie de la même série d’opérations ou d’événements que le dividende ou non. Lors du séminaire technique de la Fondation canadienne de fiscalité tenu le 8 juin dernier, il a été précisé par l’ARC que les visées du paragraphe 55(2) L.I.R. ont évolué : la recaractérisation du dividende en gain en capital aura lieu dès que le contribuable « met la table » pour la diminution d’un gain par un quelconque moyen, que la diminution du gain ait lieu à court ou à long terme.

Depuis le Budget fédéral 2015, l’ARC concéda à quelques reprises qu’un dividende versé par une société qui possède une politique de longue date de versements réguliers de dividendes et dont le rendement sur les actions est raisonnable ne devrait pas être visé par les nouveaux tests d’objet (pensons notamment à des sociétés publiques dont les actions offrent un rendement mensuel ou annuel). En lien avec ces propos, il est régulièrement analysé si une société payant un dividende dans le cours normal de ses affaires (par exemple pour des motifs de mouvement de liquidités et pas nécessairement en vertu d’une politique établie de versement de dividende) peut éviter l’application du paragraphe 55(2) L.I.R. En principe, un tel dividende ne devrait pas être visé par ce paragraphe, mais aucune position administrative claire à cet effet n’a été prise par l’ARC. Cette dernière s’est toutefois dite prête à rendre des décisions favorables aux contribuables si les faits et les indications démontrent qu’aucun des tests d’objet du paragraphe 55(2.1) L.I.R. n’est satisfait (voir document 2015-0613821C6, 17 novembre 2015). Cette ouverture aidera certainement à atténuer les effets de l’article 55 L.I.R. sur les mouvements de liquidités au sein d’un groupe intersociétés, qui, en raison des modifications apportées à l’exception de l’alinéa 55(3)a) L.I.R., pourraient maintenant poser problème.

L’exception de l’alinéa 55(3)a) L.I.R.

Auparavant, en raison de l’exception prévue à l’alinéa 55(3)a) L.I.R., les dividendes payés entre parties liées n’étaient habituellement pas recaractérisés en gain en capital. Ainsi, le revenu protégé n’était calculé que dans la mesure où un événement impliquant un tiers survenait.

À la suite des Modifications, il ne sera dorénavant possible de bénéficier de l’exception de l’alinéa 55(3)a) L.I.R. que dans la mesure où des dividendes reçus lors du rachat, de l’acquisition ou de l’annulation d’une action par la société sont visés par l’un ou l’autre des paragraphes 84(2) et 84(3) L.I.R.

Essentiellement, des dividendes reçus au cours de réorganisations internes ne bénéficieront de cette exception que si des actions sont éliminées. Selon le nouveau régime de l’article 55 L.I.R., cette exception a pour but de faciliter les restructurations légitimes de sociétés effectuées entre parties liées.

Tel qu’il est indiqué dans une interprétation technique récente (voir document 2015-0604521E5, 13 janvier 2016), l’ARC se réserve le droit d’appliquer la règle générale antiévitement si l’exception de l’alinéa 55(3)a) L.I.R. est utilisée pour créer de la base fiscale ou multiplier cette dernière.

Par exemple, dans le scénario 2 de l’interprétation technique, un dividende libre d’impôt (en raison de l’application de l’alinéa 55(3)a) L.I.R.) découlant d’un rachat d’actions faisant partie d’une transaction de type spin-off a mené ultimement à une augmentation du prix de base rajusté (« PBR ») global des actions détenues par le contribuable. L’ARC a indiqué que le nouvel alinéa 55(3)a) L.I.R. ne permettait pas les réorganisations qui visent à manipuler la base fiscale et que la règle générale antiévitement serait donc considérée à l’égard de ce scénario.

L’exception pour revenu protégé

Les sociétés bénéficiaires d’un dividende pourront éviter l’application du paragraphe 55(2) L.I.R. dans la mesure où ce dernier n’excède pas le revenu protégé « qu’il serait raisonnable de considérer comme contribuant au gain en capital » de l’action sur laquelle le dividende est versé. Cette exception est maintenant très importante en raison du resserrement de l’alinéa 55(3)a) L.I.R. et de l’élargissement des tests d’objet. La détermination du revenu protégé n’est pas une science exacte et elle repose sur plusieurs positions administratives parfois contradictoires. Une fois calculé, le revenu protégé doit être alloué entre les différentes catégories d’actions en circulation de la société payeuse de dividende. Cette allocation a été visée par les Modifications.

Auparavant, l’action dont le gain était réduit (lequel gain devait être attribuable à du revenu protégé) ne devait pas nécessairement être celle sur laquelle le dividende était reçu pour bénéficier de l’exception du revenu protégé (voir document 2002-0158885, 4 novembre 2002). À la lumière même du texte de l’alinéa 55(2.1)c) L.I.R., ce principe de safe income borrowing est désormais éliminé puisque l’exception du revenu protégé ne s’applique que s’il est raisonnable de le considérer comme contribuant au gain en capital de l’action sur laquelle le dividende a été reçu. De plus, alors que le paragraphe 55(2) L.I.R. entraîne les conséquences que l’on connaît si la JVM d’une action est diminuée ou si le coût des biens du bénéficiaire de dividende augmente, et cela même s’il n’y a aucun gain accumulé sur l’action en question, l’exception pour revenu protégé n’est disponible que s’il y a un gain accumulé sur l’action sur laquelle le dividende a été reçu (interprétation confirmée par l’ARC, entre autres lors de la Table Ronde FCF 2015).

Tout récemment, une modification a aussi été apportée à l’alinéa 55(5)f) L.I.R., lequel s’applique afin qu’une partie d’un dividende soit « protégée » par l’exception du revenu protégé. L’application de l’alinéa 55(5)f) L.I.R. ne se fera plus par l’entremise d’une désignation, mais sera dorénavant automatique, de sorte qu’un dividende ne sera jamais recaractérisé en gain en capital jusqu’à concurrence du revenu protégé qu’il est raisonnable de considérer comme contribuant au gain en capital qui aurait été réalisé lors de la disposition à la JVM de l’action sur laquelle le dividende a été reçu. Cette modification limitera les planifications fiscales qui visent volontairement à convertir un dividende en gain en capital.

Durant la Table Ronde FCF 2015, l’ARC a concédé que dans la situation où un dividende reçu sur des actions non participatives était visé par le paragraphe 55(2) L.I.R. puisque le revenu protégé de la société ne contribuait pas à un gain sur les actions (un tel gain étant inexistant dans la situation donnée puisque les actions sont non participatives), elle accepterait que le revenu protégé des actions participatives de la société payeuse du dividende ne soit pas réduit en raison du versement dudit dividende (également confirmé dans l’interprétation technique 2015-0593941E5, 3 décembre 2015). Bien que cette position administrative soit très bien accueillie par les contribuables, nous sommes d’avis qu’elle aurait avantage à faire l’objet d’une modification législative, afin de lui donner une application allant au-delà des faits précis ayant donné lieu à cette position.

Qu’en est-il de la situation où une société verse un dividende à sa société mère (qui détient 100 % de ses actions) et dont la JVM est égale au PBR? Est-ce que le revenu protégé de la société sera réduit malgré l’application du paragraphe 55(2) L.I.R.? Pour clarifier la question, il aurait été souhaitable que le législateur prévoie directement une exception à l’application automatique de l’alinéa 55(5)f) L.I.R. dans les cas où ce dernier ne peut pas être utilisé puisqu’aucun gain n’est accumulé sur l’action en question.

Dans l’interprétation technique 2015-0593941E5, plusieurs trames factuelles portant sur l’allocation du revenu protégé dans un contexte d’actions à dividendes discrétionnaires ont été analysées par l’ARC. On y a introduit le concept de revenu protégé en main global, selon lequel il est permis, sous certaines conditions, de considérer le revenu protégé total d’une société lorsqu’un dividende est versé relativement à une catégorie d’actions. Dans le scénario 1, trois catégories d’actions distinctes, mais possédant les mêmes caractéristiques (participatives et droit à des dividendes discrétionnaires), se partagent une JVM de la société d’environ 120 000 $. Le revenu protégé en main global de la société s’élève à 90 000 $. Dans la mesure où un dividende de 35 000 $ est versé sur l’une des trois catégories d’actions, il pourrait être considéré que le dividende n’est pas supérieur au revenu protégé en main global qui contribuerait au gain en capital hypothétique sur les actions. Cependant, sur une base purement proportionnelle, il aurait pu être argumenté que le revenu protégé contribuant au gain en capital des actions sur lequel le dividende a été versé était de 30 000 $.

Il a été clarifié dans l’interprétation technique 2016-0633101E5 (27 avril 2016) qu’un actionnaire pourrait bénéficier du revenu protégé global de la société seulement si le dividende avait pour effet de réduire la JVM de l’ensemble des actions participatives du capital-actions de la société qui paye le dividende. En d’autres mots, cette dernière interprétation technique démontre bien que le concept de revenu protégé global ne permettrait pas de mettre en place des planifications fiscales qui canaliseraient le revenu protégé au profit d’un seul actionnaire dans, par exemple, un contexte de vente.

La notion de valeur, laquelle est pertinente afin de déterminer si l’exception pour revenu protégé est disponible, a également été analysée dans l’interprétation technique 2015-0593941E5. Dans le scénario 2, une société a trois actionnaires, lesquels détiennent chacun un nombre égal d’actions de catégories différentes (sans droit de vote, non participatives et donnant droit à un dividende discrétionnaire) ainsi qu’un nombre égal d’actions ordinaires. Dans la mesure où la JVM de la société est de 120 000 $ et que le revenu protégé en main global est de 90 000 $, il a été question des conséquences possibles d’un dividende de 35 000 $ versé sur une des catégories d’actions non participatives donnant droit à un dividende discrétionnaire.

Essentiellement, il doit aussi être tenu compte du revenu protégé en main global. Par contre, afin que le revenu protégé serve à soustraire le dividende à l’application du paragraphe 55(2) L.I.R., il devra contribuer au gain en capital qui aurait été réalisé lors d’une disposition à la JVM. Cette dernière devra être établie au moment immédiatement avant le paiement du dividende, en gardant à l’esprit que l’action aura droit au dividende déclaré. L’ARC, citant une question d’évaluation, ne s’est pas prononcée sur la présence ou non d’un gain dans cette situation. Par contre, nous en déduisons que les caractéristiques des actions devront être analysées afin de déterminer si les actions augmentent de valeur à la suite de la déclaration du dividende discrétionnaire, bien qu’elles soient non participatives.

En conclusion, bien que les positions administratives et commentaires de l’ARC par suite des Modifications contribuent certainement à une meilleure compréhension de leurs objectifs, il reste néanmoins que le contribuable se retrouve dans une situation nébuleuse à plusieurs égards. Pensons par exemple à la largesse des tests d’objet et à l’exception pour revenu protégé prévue à l’alinéa 55(2.1)c) L.I.R., qui ne vaut que si ce dernier contribue au gain hypothétique de l’action sur lequel le dividende a été reçu. Jusqu’à tout récemment, les contribuables agissaient selon le principe de base que les dividendes intersociétés sont généralement exonérés d’impôt. Par contre, dans le cadre des Modifications et à l’étonnement de certains, l’ARC est venue rappeler que l’objectif du paragraphe 112(1) L.I.R. n’est pas d’exempter tous les dividendes intersociétés, mais plutôt d’exonérer les montants qui ont déjà été imposés au niveau corporatif. Dans tous les cas, et devant la difficulté d’interprétation des divers tests d’objet de l’alinéa 55(2.1)b) L.I.R., les contribuables seront fortement encouragés à tenir un calcul de revenu protégé à jour!

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Félix Turcot, avocat, M. Fisc. Conseiller .