Ce texte est possiblement l’un des derniers qui seront publiés sur les placements présumés sûrs avant la réforme du Projet de loi 18 (2020, c. 11) qui a été sanctionné le 3 juin 2020 et qui devrait entrer en vigueur en juin 2022.

Ce projet de loi prévoit, entre autres, des modifications importantes quant à la gestion des patrimoines, y compris celui des mineurs (sans pour autant changer la définition des placements présumés sûrs).

Pour garder les choses simples, disons que le législateur, dans sa grande sagesse, a prévu que, dans certaines situations bien précises, une personne qui administre les biens d’une autre personne devra se soumettre à des règles restrictives et conservatoires en matière de placement. Voici donc les situations d’administration du bien d’autrui où les règles de placements présumés sûrs (qu’on retrouve aux articles 1339 à 1344 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »)) devront être suivies :

  • le mineur simplement émancipé non assisté;
  • le tuteur à l’enfant mineur;
  • l’administrateur désigné de biens d’un mineur si l’acte qui le désigne ne lui confie pas la pleine administration;
  • le liquidateur de succession, à moins qu’un testament ne lui octroie des pouvoirs de gestion différents;
  • le fiduciaire d’une fiducie, si et seulement si le document qui crée la fiducie restreint ses pouvoirs à la simple administration;
  • le curateur au majeur (il a la pleine administration, mais il doit respecter les règles de placements présumés sûrs);
  • le tuteur au majeur (on parle ici d’un majeur inapte partiellement ou temporairement);
  • le majeur pourvu d’un conseiller au majeur s’il désire faire des placements sans être accompagné de celui-ci;
  • le mandataire d’un mandat de protection si le mandat ne prévoit pas la pleine administration.

Quelles sont ces règles?

Article 1339 C.c.Q. : Cet article comporte une liste de placements présumés sûrs.

L’administrateur devra choisir dans cette liste. Notez que la présence ou l’absence d’un placement dans cette liste n’en fait pas nécessairement un placement sûr ou non. Cela n’en fait qu’un placement présumé ou non présumé sûr, aux fins des règles d’administration du bien d’autrui. Par exemple, une rente en service d’un assureur constitue un placement sûr, mais non un placement présumé sûr puisqu’elle n’apparaît pas dans la liste.

Article 1340 C.c.Q. : Ici, le législateur tente de guider l’administrateur en lui demandant de choisir les placements en fonction du rendement et de la plus-value espérée et autant que possible en diversifiant le portefeuille entre revenus fixes et revenus variables. Soulignons aussi que l’article 1301 C.c.Q. prévoit que l’administrateur chargé de la simple administration doit avoir pour objectif de conserver la valeur du bien et de maintenir l’usage auquel le bien est destiné.

Article 1341 C.c.Q. : De façon générale, l’administrateur peut faire des dépôts (au sens des articles 2280 C.c.Q. et suiv.) dans une institution financière si le dépôt est remboursable dans les 30 jours ou, si le dépôt est garanti par l’Autorité des marchés financiers, pour une période plus longue.

Article 1342 C.c.Q. : Grâce à cet article, l’administrateur n’est pas obligé de vendre les placements non présumés sûrs détenus au début de son administration ni ceux qu’il acquiert en remplacement de ceux qu’il détenait à la suite d’une réorganisation, d’une liquidation ou d’une fusion. À notre avis, une distribution régulière d’un fonds commun de placement (« FCP ») n’est pas visée par cet article.

Il faudra vérifier si le FCP dans lequel la distribution régulière est automatiquement réinvestie (sous forme de nouvelles parts) se qualifie au moment de chaque réinvestissement. Toutefois, il n’est pas impossible que certains remaniements de fonds communs fiduciaires ou en catégories de société répondent à cette définition.

Article 1343 C.c.Q. : De façon générale, l’administrateur qui suit ces règles est présumé prudent et est protégé, et celui qui ne les suit pas est responsable des pertes. Cela semble simple, mais qu’arrive-t-il si l’administrateur imprudent n’est pas suffisamment solvable pour assumer les pertes? C’est pour cette raison que des garanties peuvent être exigées de l’administrateur.

Article 1344 C.c.Q. : Cet article précise clairement que ces placements doivent être effectués au nom de l’administrateur agissant « ès qualités » ou au nom du bénéficiaire par l’administrateur agissant ès qualités. Conséquemment, le compte de placement auprès du cabinet de courtage devrait s’intituler, par exemple :

« Jacques, ès qualités de tuteur » ou « Marie, ès qualités d’administratrice pour Pierre ». Selon nous, le choix d’une appellation comme « Marie en fiducie pour Pierre » nous semble juridiquement hautement questionnable (sauf s’il y a effectivement une fiducie) pour les cas notamment de tuteurs et d’administrateurs.

Il nous a semblé intéressant de demander au Curateur public quels sont les pouvoirs dont il dispose pour s’assurer qu’un administrateur respecte les règles.

Il nous apparaît qu’il dispose principalement d’un pouvoir de recommandation et d’un pouvoir d’agir sur la sûreté exigée dans le cadre de la charge d’administrateur. Il pourrait aussi, dans certains cas, déposer une demande en cour.

Voici une partie de la réponse officielle du Curateur public (reproduite avec sa permission) reçue par courriel le 21 juillet 2020 :

« Q : Qu’arrive-t-il lorsque le Curateur public est avisé par un conseil de tutelle ou via signalement ou qu’il constate dans un rapport annuel qu’un tuteur au patrimoine du mineur a souscrit à un placement non présumé sûr comme la rente d’étalement à un mineur (art. 60l)(ii)(B) L.I.R.)?

R : Après analyse de la situation, l’agent d’aide ou le conseiller à la représentation privée du Curateur public avise les tuteurs et le conseil de tutelle de leur responsabilité de souscrire à des placements présumés sûrs. Il les informe également que, le cas échéant, toute perte leur serait imputable et que cela pourrait se traduire par un éventuel recours du mineur contre elles.

Q : De façon générale, quel est le rôle du Curateur public face aux tuteurs qui souscrivent à des placements non présumés sûrs?

R : Dans un premier temps, le Curateur public donne l’information pertinente aux tuteurs et veille à ce que la sûreté et les placements soient conformes aux principes établis. Toutefois, il ne revient pas à l’organisation de statuer si le placement en est un visé par l’article 1339 C.c.Q. Cette responsabilité revient au planificateur ou au conseiller financier. Le cas échéant, la sûreté pourrait être refusée par le conseil de tutelle ou le Curateur public. Le défaut de souscrire une sûreté adéquate pourrait entraîner une demande de remplacement du tuteur et du conseil de tutelle auprès du tribunal.

Q : Quelles sont les limites du rôle de supervision du Curateur public?

R : Comme mentionné précédemment, le rôle du Curateur public est d’aviser les tuteurs et le conseil de tutelle de leur responsabilité de souscrire à des placements présumés sûrs et que toute perte leur serait imputable. Dans les situations où le Curateur public reçoit un signalement ou un avis formel de la part du conseil de tutelle, ou que l’examen du rapport annuel d’administration entraîne des doutes sur les risques associés aux placements, il sera demandé aux tuteurs de transmettre au Curateur public une lettre du planificateur financier, du conseiller financier ou de l’institution financière attestant que les placements sont présumés sûrs. »

Puisqu’il est de la responsabilité du conseiller de statuer sur la qualification des placements, voici un résumé non exhaustif des placements permis à l’article 1339 C.c.Q. :

  • les titres de participation canadiens (ordinaires ou privilégiés) négociés sur un marché secondaire canadien reconnu;
  • les titres de propriété sur un immeuble;
  • les obligations et autres titres d’emprunt émis ou garantis par une municipalité, commission scolaire ou fabrique du Québec, une province canadienne, le Canada et les États-Unis ou un de leurs États;
  • les obligations de sociétés garanties de premier rang, soit qu’elles soient émises par une société canadienne ou qu’elles répondent à certains critères de garantie particuliers;
  • les FCP (structurés en fiducie ou en société) étant constitués à 60 % de placements présumés sûrs (c’est-à-dire, sauf exception de placements généralement canadiens).

À cette lecture, un premier enjeu très important apparaît : celui de devoir placer la grande majorité, voire la totalité du capital dans des valeurs mobilières canadiennes. Cela complique énormément l’essentiel exercice de diversification d’un portefeuille, nécessaire à l’atteinte du fragile équilibre entre le risque et le rendement. Cet enjeu entraîne diverses limitations quant à l’administration du bien d’autrui.

Tout d’abord, un portefeuille de placement respectant les critères de l’article 1339 C.c.Q. ne peut détenir directement d’actions étrangères. Cela fait en sorte qu’un gestionnaire qui a l’habitude de choisir des actions à la pièce en Bourse pour construire un portefeuille devra se limiter aux actions canadiennes. Qui plus est, il ne pourra sélectionner des fonds négociés en Bourse (« FNB ») pour tenter de « contourner » le problème puisque les FNB sont des fiducies de FCP ou des sociétés de placement à capital variable au sens juridique auxquelles la limite de 40 % de contenu étranger s’applique.

Le marché canadien étant reconnu pour son manque de diversification et sa forte concentration dans certains secteurs plus cycliques (par exemple, énergie, métaux, finance), le frein à la détention d’actions étrangères limite l’accès à de nombreuses multinationales de grande envergure se négociant sur d’autres Bourses (notamment américaines), certaines étant assorties de caractéristiques défensives plus difficiles à obtenir sur le parquet torontois.

De surcroît, notre monnaie est reconnue, elle aussi, pour être plus cyclique par rapport à des valeurs refuges comme le dollar américain, le yen ou le franc suisse.

En périodes de tumulte, ces monnaies contracycliques tendent à s’apprécier par rapport au huard, ce qui atténue la volatilité d’un portefeuille détenant des titres libellés dans ces monnaies.

À long terme, qu’il s’agisse des nombreuses études en matière de gestion du risque ou de simples observations que nous pouvons nous-mêmes faire en examinant nos propres placements, le constat est le même et depuis longtemps reconnu : tout portefeuille bien diversifié géographiquement sera assorti d’un rapport risque/rendement plus attrayant qu’un portefeuille investi en totalité (ou quasi-totalité) dans un seul pays. Considérant, de surcroît, la nette surpondération de notre marché boursier dans des secteurs cycliques, notre pays n’est pas idéal pour y être concentré par rapport à d’autres marchés.

Par ailleurs, les placements alternatifs, largement utilisés par les investisseurs institutionnels tels que les caisses de retraite depuis des décennies afin d’améliorer la gestion du risque de leur actif, ne font pas partie des candidats potentiels à l’élaboration d’un portefeuille de placements présumés sûrs. Pourtant, ces types d’investissement, par exemple en infrastructure, en immobilier ou en crédit privé, permettent de limiter de façon importante le risque global d’un portefeuille.

Il incombe toutefois de dire que du côté obligataire, les limitations sont moins lourdes. D’une part, divers titres à revenu fixe américains figurent au chapitre des placements présumés sûrs permis. D’autre part, notre marché obligataire dispose d’une liquidité et d’une diversification suffisantes pour que cette partie du portefeuille soit adéquatement couverte. Évidemment, la diversification internationale permet d’élargir les horizons et de gérer encore mieux les divers risques liés aux placements en obligations, mais cela ne crée pas d’ennuis aussi importants que pour les autres segments d’un portefeuille.

Afin de respecter la liste des placements présumés sûrs dans l’élaboration d’un portefeuille, il faut principalement s’attarder au contenu étranger, puisque le contenu canadien peut aisément être investi en titres, en FNB ou en FCP.

Par exemple, des FCP et des FNB diversifiés dont la limite de contenu étranger est fixée à 40 % ou moins sont des solutions pertinentes. La meilleure manière de s’assurer de respecter les critères est de consulter le prospectus d’un fonds pour connaître la composition légalement autorisée du portefeuille.

Bien qu’il faille vérifier pour s’en assurer, plusieurs fonds obligataires canadiens portant la mention « de base » ou « de base plus » respecteront ces règles. Plusieurs fonds de revenu mensuel portant la mention « Canada » ou « canadien » dans leur nom ont une limite préétablie de 30 % ou 40 % de contenu étranger et sont déjà bien diversifiés. En comparant diverses solutions les unes avec les autres, on peut trouver d’excellents produits respectant les critères de l’article 1339 C.c.Q. sans négliger le rendement, la qualité de gestion ni le niveau de diversification.

En outre, certains FNB canadiens contiennent non pas une multitude de titres, mais bien des dérivés de crédit, c’est-à-dire des swaps de rendement total, qui répliquent le rendement d’un portefeuille de titres. Ces FNB reproduisent des indices domestiques ou étrangers, au même titre que d’autres FNB qui détiennent directement les titres des indices sous-jacents. À première vue, comme ces FNB ne contiennent pas de valeurs mobilières étrangères, mais bien des dérivés de crédit canadiens, on pourrait croire qu’ils pourraient se qualifier.

Cependant, comme la liste de placements présumés sûrs permet des placements plutôt que de les interdire, nous doutons fortement que de tels FNB reproduisant le rendement d’un indice étranger fassent partie de la liste des titres présumés sûrs, puisque les dérivés de crédit le composant sont des contrats de gré à gré et non des valeurs mobilières négociées sur un marché secondaire organisé reconnu comme le veut l’article 1339 C.c.Q. Qui plus est, il ne s’agit pas de « titres d’emprunt » au sens de l’article 1339 C.c.Q. Bien sûr, il s’agit de notre interprétation toute personnelle et nous n’avons pas trouvé de décision confirmant ou infirmant celle-ci.

Un autre type de produit attire aussi notre attention. Nous voulons parler ici de certains FCP détenant des parts de plusieurs fonds sous-jacents, ce que l’on nomme des fonds de fonds. Nous pensons qu’ils permettraient un haut degré de diversification tout en respectant la liste des titres permis. Prenons un exemple où un fonds (que nous appellerons « fonds principal » aux fins de l’exercice) est composé de trois fonds sous-jacents :

  • un fonds composé de 40 % de contenu étranger et de 60 % de contenu canadien, constituant 30 % du fonds principal;
  • un fonds lié aussi composé de 40 % de contenu étranger et de 60 % de contenu canadien, constituant 30 % du fonds principal;
  • un fonds composé à 100 % de placements non présumés sûrs, par exemple des actions américaines.

Puisque les deux premiers fonds sous-jacents sont considérés comme des placements présumés sûrs et qu’ils constituent 60 % du fonds principal, nous croyons que ce dernier pourrait être considéré comme un placement présumé sûr, puisqu’il est constitué d’au moins 60 % de placements présumés sûrs. Ainsi, on pourrait, par l’intermédiaire d’un fonds de fonds, respecter les critères tout en diversifiant très adéquatement un portefeuille administré pour autrui. Dans notre exemple, le pourcentage de contenu étranger global serait d’environ 64 %. Une fois de plus, il s’agit de notre interprétation toute personnelle et nous n’avons pas trouvé de décision pour la confirmer ou l’infirmer.

Ces conclusions sont également vraies pour les placements alternatifs. De plus en plus de fonds de fonds intègrent désormais un certain pourcentage dans de tels placements, ce qui permet d’avoir accès à ces actifs pour limiter la volatilité si les critères discutés ci-dessus sont respectés.

Le réflexe naturel d’un conseiller administrant le bien d’autrui sera d’avoir une approche prudente. Malheureusement, les dispositions actuelles du Code civil du Québec ne protègent pas suffisamment les individus dont le bien est administré par autrui dans le respect de la liste des placements présumés sûrs.

L’expression « présumé sûr » laisse l’impression que les placements figurant à l’article 1339 C.c.Q. sont forcément sûrs, alors que ceux qui n’y figurent pas ne le sont pas. Or, c’est induire le public en erreur, car la majorité des titres cotés à la Bourse de Toronto sont de moindre taille, ont des revenus et des profits moins prévisibles et ont des cotes de crédit moins élevées en moyenne que ceux négociés sur plusieurs autres marchés à l’échelle mondiale. Pour prendre un exemple clair, une société d’exploration pétrolière canadienne inscrite à la Bourse de Toronto est un placement présumé sûr alors que des actions de Microsoft ou un fonds commun constitué de plusieurs dizaines de sociétés mondiales de haute qualité n’en sont pas. De ce fait, la notion de « présumé sûr » ne veut pas dire grand-chose.

Il est important de noter que le présent article a été rédigé à titre informatif et qu’il ne constitue pas une opinion juridique, mais plutôt celle de ses auteurs. Tout client ou conseiller qui se retrouve dans une situation où il doit administrer le bien d’autrui, ou conseiller quant à l’administration du bien d’autrui, devrait s’assurer de bien comprendre les dispositions applicables à sa situation propre. Il devrait aussi obtenir des conseils juridiques d’un professionnel en cas d’incertitude.

Par Serge Lessard, avocat, Pl. Fin., FLMI, Manuvie

et

Vincent Grenier Cliche, CIM, Financière Banque Nationale

Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Printemps 2021), vol. 26, no 1.