Par contre, qui aurait cru que le 24 octobre 2016, faisant partie de l’Association des avocats et notaires de l’État québécois (« LANEQ »), ils allaient déclencher une grève, qui deviendra le plus long conflit de travail de la fonction publique québécoise à ce jour. Il ne fallait pas douter de leur détermination puisqu’on rapporte que LANEQ aurait emprunté 8 millions de dollars pour permettre à ses membres de poursuivre la grève générale illimitée. Et pour bien comprendre où les parties en sont, il faut savoir que les juristes de l’État ont déposé une demande en justice réclamant du gouvernement pour 36,75 millions de dollars en dommages
et intérêts, le 13 février 2017.
Dans un contexte d’autocotisation, où les avis de nouvelle cotisation sont présumés valides et qu’il incombe aux contribuables de porter en opposition et souvent de contester devant les tribunaux afin d’avoir gain de cause : comment cette paralysie du système judiciaire affecte-t-elle les contribuables québécois?
Le présent article a comme objectif de permettre au lecteur de connaître les raisons qui ont mené au conflit, mais également ses conséquences pendant et après la grève sur les dossiers des contribuables.
Les enjeux sous-tendant la grève
La convention collective des professionnels en droit du gouvernement prenant fin le 31 mars 2015, le syndicat des 1 100 avocats et notaires de l’État devait négocier avec le gouvernement afin d’en venir à une nouvelle convention collective.
LANEQ est représentée par son président, Me Jean Denis, et le gouvernement par Pierre Moreau, président du Conseil du trésor. Des dizaines de rencontres de négociation ont eu lieu, infructueuses, car les parties ne s’entendaient pas sur des points majeurs empêchant la signature d’une nouvelle convention collective, des « deals breakers » selon LANEQ. Les voici :
La parité entre les juristes employés par le gouvernement québécois
Il existe trois groupes de juristes employés par la fonction publique québécoise : les procureurs de la Couronne, les juristes de l’aide juridique et les avocats et notaires de l’État.
Selon LANEQ, il n’y a pas de raison qui ferait en sorte que les avocats et notaires de l’État aient de moins bonnes conditions salariales que les deux autres groupes, et la comparaison vise plus particulièrement les procureurs de la Couronne.
Les avocats et notaires de l’État ont, c’est le moins qu’on puisse dire, un rôle assez important au sein de notre appareil judiciaire. Ce sont notamment eux qui rédigent les projets de loi, les lois, les contrats impliquant le gouvernement, protègent le gouvernement, conseillent les ministères, représentent la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), la curatelle publique, et dans le cas
qui nous occupe, l’ARQ.
LANEQ demande la création d’un comité indépendant qui ferait des recommandations à l’Assemblée nationale quant à la rémunération des avocats et notaires de l’État afin d’en arriver à une parité dans les conditions d’emploi avec les autres juristes de l’État.
Le mode de négociation
LANEQ demande que le recours à la médiation dans l’ancienne convention collective soit plutôt remplacé par un recours à l’arbitrage dans la nouvelle convention.
Il existe des distinctions importantes entre les deux modes de règlement des différends.
La médiation est un processus par lequel les parties, assistées ou non par leurs procureurs, présentent leurs différends à un médiateur qui, fort de sa formation, essaiera de les aider à trouver un terrain d’entente. Le médiateur ne prend aucune décision, l’entente est le fruit d’un accord entre les parties.
L’arbitrage, toutefois, est un processus par lequel l’arbitre entend les parties, encore une fois directement ou par l’entremise de leurs procureurs, et l’arbitre, après avoir entendu les parties et leurs arguments, prononce une sentence qui liera les parties qui ont décidé conventionnellement de s’y plier et très généralement, ont également décidé de renoncer à quelque appel que ce soit.
Les impacts pendant la grève
Malgré les impacts que l’exercice de ce droit peut occasionner, il faut souligner que le droit à la grève et le droit à l’association sont des droits constitutionnels, protégés par les Chartes des droits et libertés.
Bien qu’ils puissent être en grève, les avocats de LANEQ doivent assurer les services essentiels, le tout comme il est indiqué par le Tribunal administratif du travail (« TAT ») dans une décision rendue le 23 octobre 2016 (faits rectifiés le 24 octobre 2016, dossier no CQ-2016-5931).
Dans la mesure où une intervention est qualifiée de service essentiel, le juriste de l’État devra, même s’il est en grève, traiter la question.
Les services essentiels
La définition de service essentiel était un point de discorde entre LANEQ et le gouvernement, et le TAT a rendu une décision tranchant la question, soit celle citée plus haut.
Les parties ne s’entendaient pas sur quelques points, dont les demandes de remise et la procédure nécessaire afin d’éviter la perte d’un droit pour l’État.
En ce qui a trait aux demandes de remise, le gouvernement était d’avis que le juriste doit se présenter au tribunal, demander la remise, et être prêt à procéder si la demande est rejetée par le juge.
Concernant la procédure nécessaire afin d’éviter la perte d’un droit, le gouvernement insiste notamment sur le fait que la notion de service essentiel implique de respecter les délais de prescription et que le dépôt des mémoires ou la production d’expertise doivent se faire dans les délais à moins d’avoir obtenu une prolongation.
Pour sa part, LANEQ est d’avis que le critère sous-tendant la qualification de service essentiel soit uniquement « la mise en péril pour la vie, la santé, la sécurité ou le souci environnemental dans tout ou
partie de la population ».
Le TAT a conclu en faveur du gouvernement à savoir si un élément est jugé un service essentiel, l’avocat de l’ARQ doit procéder dans un dossier.
Les demandes de remises et de prolongations de délai
Ainsi, quant aux remises et prolongations de délai, suffit-il de demander et le tout sera accordé par le tribunal?
Concrètement, on rapporte qu’environ 5 000 remises ont été accordées depuis le début de la grève, dont 1 500 pour des dossiers de l’ARQ.
Dans la cause Le c. Agence du revenu du Québec, 2016 QCCA 2109, une décision de la Cour d’appel du Québec rendue pendant la grève, soit le 15 décembre 2016, la juge Marie-France Bich a dû se pencher sur les impacts de la grève pour un contribuable. Dans cette situation, le contribuable avait interjeté appel, dans les délais, d’une décision rendue par la Cour du Québec maintenant dans son intégralité les avis de nouvelle cotisation en litige. Le contribuable a déposé son mémoire, dans les délais. Par contre, l’ARQ a demandé une première prolongation en raison de la grève, car l’avocat de l’ARQ aurait dû le déposer le 7 novembre 2016.
Le contribuable avait consenti à cette première demande de prolongation, mais refuse maintenant la deuxième demande de la part de l’ARQ en invoquant qu’il serait injuste d’accorder une telle demande alors qu’il paie les intérêts qui continuent de courir sur les montants en jeu. La juge Marie-France Bich a jugé en faveur de l’ARQ considérant le droit constitutionnel à la grève, en prévoyant une mesure dans l’éventualité où la grève se terminerait avant le 25 janvier 2017.
Force est donc de constater que pendant la grève, les demandes de remise et de prolongation s’empilent, et sont accordées, et ce, malgré les impacts négatifs concrets pour le contribuable, notamment le paiement des intérêts.
Toutefois, il pourrait être judicieux pour un contribuable d’ajouter une conclusion à son avis d’appel à savoir que les intérêts courus en raison de la grève soient annulés, dans l’éventualité où la cour maintient les avis de nouvelle cotisation en totalité ou en partie. Le tout pourrait également être demandé séance tenante.
Aussi, si la demande n’a pas été faite, ou non accordée par la cour, le contribuable pourrait faire une demande d’allègement afin de demander l’annulation des intérêts qui ont ainsi couru durant la grève. En effet, c’est en raison d’un évènement indépendant de la volonté du contribuable que ces frais ont été engendrés.
Les ententes à l’amiable
Et qu’en est-il de la négociation et des ententes hors cour?
En pratique, nous avons constaté que pendant la grève, l’ARQ a procédé, dans certains dossiers, à des analyses d’offres et a même formulé des contre-offres.
Par contre, ce sont les avocats des contribuables qui doivent préparer les documents d’entente et présenter le tout à la cour.
L’issue de la grève
Au moment où a commencé la rédaction du présent article, la grève était toujours en cours pour les avocats de l’ARQ.
Toutefois, le 28 février 2017, le gouvernement provincial a adopté une loi spéciale forçant les juristes de l’État à retourner au travail, mais le Projet de loi 127 n’inclut pas les juristes de l’ARQ.
Alors qu’il était questionné à savoir s’il s’agissait d’un oubli, Pierre Moreau, président du Conseil du trésor, a confirmé que cette omission est volontaire en raison du statut particulier de l’Agence du revenu du Québec, et que les négociations en étaient à un stade différent.
À la lumière des principes établis dans le nouveau Code de procédure civile, entré en vigueur depuis déjà plus d’un an, il est désolant de constater que les juristes de l’État et le gouvernement ne réussissent pas à s’entendre.
Nous sommes d’avis que ce sont ces parties qui devraient donner le ton à la communauté juridique, mener par l’exemple : réglons nos conflits à l’amiable, surtout lorsque les contribuables en vivent les conséquences.
* Article paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 22, numéro 1, du mois de mars 2017.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Chanel Alepin.