Plus particulièrement, dans les décisions Rosenberg v. MNR, 2016 FC 1376 (« Rosenberg »), et Sifto Canada Corp. v. The Queen, 2017 TCC 37 (« Sifto »), le ministre prétendait, entre autres, que ses pouvoirs de vérification et de cotisation ne pouvaient pas être restreints par une entente intervenue avec un contribuable. Dans ces deux dossiers, le ministre s’appuyait, notamment, sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Galway v. MNR, [1974] 1 F.C. 600 (« Galway »), qui confirme que le ministre ne peut pas conclure une entente de règlement relativement à un appel de cotisation si le traitement fiscal prévu à l’entente n’est conforme ni à la trame factuelle ni aux dispositions de la Loi. À ce sujet, la Cour d’appel fédérale avait confirmé au paragraphe 7 que :
« […] le Ministre a l’obligation, aux termes de la Loi, de fixer le montant de l’impôt exigible d’après les faits qu’il établit et en conformité de son interprétation de la loi. Il s’ensuit qu’il ne peut établir une cotisation pour un certain montant fixé afin de donner effet à un compromis et que, lorsque la Division de première instance ou la présente cour d’appel défère une cotisation au Ministre pour nouvelle cotisation, cela ne peut s’effectuer que d’après les faits et en conformité de la loi, et non pour donner effet à un compromis. »
Ainsi, étant donné l’obligation du ministre de cotiser en conformité avec la Loi, un règlement intervenu entre le ministre et un contribuable qui est fondé sur un compromis ne pouvant s’appuyer sur les faits et le droit applicable pourrait être invalidé par les tribunaux. Dans les décisions Rosenberg et Sifto, le ministre cherchait, d’une certaine façon, à élargir la portée de la décision Galway en prétendant que les ententes intervenues avec les contribuables faisaient en sorte de limiter ses pouvoirs de vérification et de cotisation, qui sont certes centraux, à son devoir de s’assurer de l’application et de l’exécution de la Loi. Nous traiterons plus en détail de ces deux décisions.
Décision Rosenberg
Dans la décision Rosenberg, le contribuable avait fait l’objet d’une vérification de la part du ministre pour les années d’imposition 2006 et 2007. Plus particulièrement, le ministre s’était penché sur différentes transactions communément appelées des « transactions chevauchantes » que le contribuable avait mises en œuvre durant ces années d’imposition. À la suite de sa vérification, le ministre proposa au contribuable une entente selon laquelle aucun rajustement ne serait apporté aux années d’imposition étant donné l’incertitude quant à l’application du droit à ce type de transactions. L’entente prévoyait qu’en échange, le contribuable éviterait de mettre en œuvre ce type de transactions à l’avenir. Il était prévu à l’entente que celle-ci serait nulle et sans effet dans la mesure où le contribuable continuait à mettre en œuvre ce type de transactions ou que la trame factuelle sur laquelle le ministre s’était fondé pour conclure l’entente venait éventuellement à changer. C’est ainsi que les parties ont signé une entente reflétant ces modalités le 19 février 2010.
Près de trois ans après la signature de l’entente, un vérificateur a transmis une demande d’information au contribuable visant les années d’imposition 2006 et 2007 pour obtenir des informations sur les mêmes transactions ayant fait l’objet de l’entente entre les parties le 19 février 2010, malgré le fait qu’il n’y ait eu aucune indication que le contribuable avait mis en œuvre des transactions chevauchantes dans des années subséquentes ou que le ministre ait eu vent d’un changement dans la trame factuelle de l’époque. Considérant qu’aucune des modalités permettant au ministre de déclarer l’entente nulle et sans effet n’avait été déclenchée, le contribuable refusa de transmettre les informations demandées en vertu de la Loi.
À la suite d’une demande en révision judiciaire devant la Cour fédérale, le ministre a prétendu, entre autres : i) que l’entente limitait seulement son pouvoir de cotiser au moment de la signature de l’entente, mais qu’il n’avait jamais renoncé à ce pouvoir pour les années subséquentes; ii) que l’entente ne pouvait pas limiter son pouvoir de vérification étant donné que c’était seulement par l’entremise de l’exercice de ce pouvoir qu’il pouvait s’assurer qu’il n’y avait pas de changement dans la trame factuelle de l’époque; et iii) qu’il ne pouvait pas par la voie d’une entente avec un contribuable renoncer à son obligation d’interpréter et d’appliquer la Loi ou de cotiser un contribuable en conformité avec les dispositions de la Loi.
La Cour fédérale a conclu que l’entente intervenue entre les parties était valide et que le contribuable avait pris l’engagement de ne plus mettre en œuvre de « transactions chevauchantes » à condition qu’aucun rajustement ne soit apporté aux années d’imposition 2006 et 2007. L’entente était claire quant aux événements susceptibles d’y mettre fin et que les pouvoirs de vérification et de cotisation du ministre pouvaient être déclenchés pour les années 2006 et 2007 seulement si le contribuable ne respectait pas son engagement de ne plus mettre en œuvre les transactions reprochées ou si la trame factuelle venait à changer, ce qui n’était pas le cas dans les circonstances. La Cour fédérale était aussi d’avis que la prétention du ministre selon laquelle son pouvoir de vérification était nécessaire pour déterminer si la trame factuelle avait changé n’avait aucun fondement à la lumière des modalités de l’entente et des règles d’interprétation. Par ailleurs, la Cour fédérale était d’avis que la prétention du ministre à ce sujet ferait en sorte qu’il pourrait vérifier à tout moment le contribuable pour déterminer l’existence d’une nouvelle trame factuelle alors qu’elle avait déjà fait l’objet d’une vérification qui n’avait mené à aucune cotisation et à la signature de l’entente.
Quant à la prétention du ministre qu’on ne peut par la voie d’une entente avec un contribuable limiter son pouvoir de cotiser, la Cour fédérale a conclu que le ministre avait cotisé le contribuable en conformité avec les faits et le droit applicable. L’entente prévoyait que si la trame factuelle venait à changer, le ministre pourrait cotiser. Par conséquent, l’entente intervenue entre les parties était conforme aux principes émanant de la décision Galway. Ainsi, la Cour fédérale a conclu que l’entente était valide et que les pouvoirs de vérification et de cotisation du ministre pouvaient être limités dans les circonstances et que le contribuable n’avait pas à répondre à la demande d’information du vérificateur.
Décision Sifto
En ce qui concerne la décision Sifto, la Cour canadienne de l’impôt devait déterminer si elle pouvait annuler des cotisations émises par le ministre sur la base que celles-ci n’étaient pas conformes à une entente intervenue entre le ministre et le contribuable. Dans cette affaire, le contribuable s’était prévalu du Programme des divulgations volontaires afin d’effectuer des rajustements de prix de transfert pour la vente de sel avec une société américaine ayant un lien de dépendance pour les années 2002 à 2006. Après que le ministre eut accepté la divulgation volontaire, il a procédé à l’émission de cotisations afin de refléter les rajustements. Afin d’éviter la double imposition liée aux rajustements de prix de transfert, le contribuable ainsi que la société américaine ont demandé l’assistance des autorités compétentes en conformité avec la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (« Convention fiscale »). À la suite de plusieurs échanges entre les autorités compétentes, celles-ci ont accepté les rajustements de prix de transfert proposés par le contribuable dans le cadre de la divulgation volontaire et ont conclu des accords à l’amiable en conformité avec la Convention fiscale pour les années en question. Dans le cadre de ses démarches avec l’autorité compétente américaine, le ministre avait obtenu le consentement du contribuable quant aux modalités des accords. Quelques mois après la signature des accords, le ministre a procédé à une vérification du contribuable concernant ses prix de transfert du sel, notamment, pour les années 2004 à 2006, ce qui a mené à l’émission de nouvelles cotisations qui ne reflétaient pas les rajustements prévus dans les accords à l’amiable portant sur la même question.
Devant la Cour canadienne de l’impôt, le contribuable prétendait, entre autres, qu’une entente de règlement liant le ministre était intervenue et que l’entente était exécutoire alors que le ministre prétendait le contraire. La Cour canadienne de l’impôt a conclu que les accords à l’amiable constituaient des ententes de règlement exécutoires qui fixaient les prix de transfert du sel pour les années d’imposition 2002 à 2006. Selon la Cour, les modalités prévues aux accords n’étaient pas ambiguës et étalaient clairement l’intention du ministre de même que celle de l’autorité compétente américaine d’être liée par les rajustements de prix de transfert, et cela, même si le ministre n’avait pas procédé à une vérification des prix de transfert du sel lorsque ceux-ci ont été proposés par le contribuable dans le cadre de la divulgation volontaire. La Cour canadienne de l’impôt a confirmé que les accords respectaient les principes émanant de la décision Galway étant donné que le règlement était conforme avec les faits et le droit applicable. Sur cette question, tant le ministre que l’autorité compétente américaine avaient convenu que les rajustements de prix de transfert étaient conformes au principe de pleine concurrence prévu à la Convention fiscale. Finalement, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que la position du ministre n’était pas conforme à ses obligations découlant de la Convention de Vienne sur le droit des traités étant donné que celle-ci prévoit qu’un conflit entre les dispositions de la Loi et les dispositions de la Convention fiscale doit être résolu en harmonie avec les dispositions de la Convention fiscale. Ainsi, le ministre ne pouvait apporter des rajustements de prix de transfert pour les années ayant fait l’objet des accords à l’amiable étant donné que ceux-ci liaient le ministre et qu’ils étaient exécutoires.
À cette époque où les tribunaux et le législateur insistent pour que les parties trouvent un terrain d’entente afin d’éviter des procès longs et coûteux, les contribuables canadiens sont en droit de s’attendre à ce que le ministre respecte ses engagements reflétés à même les ententes de règlement. Les décisions Rosenberg et Sifto nous rappellent qu’une entente de règlement reflétant les dispositions de la Loi est exécutoire entre les parties et peut prévoir des restrictions quant aux pouvoirs de vérification et de cotisation du ministre.
Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 22, numéro 4, du mois de décembre 2017.