L’interrogatoire au préalable en litige fiscal
L’interrogatoire au préalable est un outil indispensable à la pratique du litige fiscal et le procureur vigilant devrait toujours s’en servir pour s’assurer d’avoir un dossier complet. De la perspective du contribuable, l’interrogatoire au préalable permet d’interroger un représentant des autorités fiscales et de mettre en lumière de façon complète et définitive les fondements juridiques et factuels de la cotisation. Par l’entremise de son procureur, il peut, entre autres, interroger le vérificateur sur son processus de vérification et sur le rapport de vérification que ce dernier a produit. Il aura donc été judicieux d’en obtenir une copie avant la tenue de l’interrogatoire, soit de manière informelle (par simple demande), soit en formulant une demande d’accès à l’information.
En interrogeant le vérificateur, le contribuable sera à même de se former une opinion sur la validité et la fiabilité du processus ayant mené à l’établissement de la cotisation. Dans les cas où l’enjeu est relatif à l’interprétation ou à l’application de certaines dispositions des différentes lois fiscales, le contribuable préférera probablement interroger l’agent d’opposition ayant ratifié la cotisation ou encore la personne qui aura rédigé le rapport d’application de la règle générale antiévitement, si ce n’est pas protégé par le privilège avocat-client.
Pour les autorités fiscales, l’interrogatoire au préalable permet d’interroger le contribuable ou son représentant dans un contexte plus contraignant que lors d’une vérification. De plus, il permet aux parties de poser toutes les questions pertinentes (à l’intérieur d’un certain cadre) afin de « cristalliser » les réponses et, parfois, l’absence de réponses. De plus, l’un des grands avantages de l’interrogatoire au préalable est de poser toutes les questions auxquelles on ne connaît pas les réponses, et ainsi éviter de devoir le faire à l’interrogatoire en chef – et d’en subir les conséquences. Enfin, il permet à chacune des parties de vérifier et d’attester la crédibilité et la véracité des témoignages de leurs propres témoins potentiels et des témoins de la partie adverse.
L’interrogatoire au préalable permet également aux parties d’échanger les documents allégués dans les actes de procédure, de découvrir l’existence de nouveaux documents et de poser des questions sur ceux-ci. De plus, il permet aux procureurs d’engager la discussion et de solidifier leur dossier, notamment par le biais des engagements. Les parties peuvent également convenir de restreindre les questions en litige. Toutefois, si, à la lumière des interrogatoires et de la divulgation de la preuve, les parties constatent certaines faiblesses dans leur dossier, elles pourront être portées à vouloir favoriser un règlement : les objectifs avoués de la réforme du Code de procédure civile – utilisation des modes de prévention et règlement des différends, efficacité du processus et saine utilisation des ressources judiciaires – auront alors été atteints.
Les principaux changements
Le premier changement d’importance au régime de l’interrogatoire préalable à l’instruction est la disparition de la distinction entre l’interrogatoire avant et après défense. L’article 221 C.p.c. prévoit que l’interrogatoire préalable à l’instruction peut porter sur tous les faits pertinents se rapportant au litige. L’interrogatoire conserve donc son caractère exploratoire et favorise un plus grand accès aux renseignements et documents pertinents, car les questions seront basées sur leur pertinence et ne seront plus restreintes aux faits allégués dans les actes de procédure. Ce changement permet donc une plus grande flexibilité des interrogatoires, lesquels devront maintenant être prévus au protocole de l’instance.
Le protocole de l’instance, déposé par les parties au litige, doit d’emblée énoncer les personnes qui seront interrogées au préalable, sous peine de ne pas pouvoir les interroger selon l’article 221, alinéa 1 C.p.c. in fine. Dans le contexte du litige fiscal, il devrait généralement être facile pour les parties d’identifier la personne qu’elles souhaitent interroger. En effet, avant que le dossier ne se judiciarise, les parties auront généralement été en contact lors de la vérification et au stade de l’opposition, de sorte que les intervenants aux dossiers seront déjà connus des parties dans plusieurs cas.
Le deuxième changement d’importance vise les objections formulées par les procureurs. D’une part, l’article 228 C.p.c. suggère aux procureurs de soumettre à un juge, préalablement à l’interrogatoire, les objections qu’ils anticipent. Le juge aura alors la discrétion de trancher les objections ou de fournir des directives quant à la tenue de l’interrogatoire.
D’autre part, l’article 228 C.p.c. prévoit que le témoin interrogé sera tenu de répondre aux questions posées même si son procureur s’y oppose. Ce changement vise essentiellement les objections relatives à la pertinence, car le Code de procédure civile prévoit toujours que le témoin peut s’abstenir de répondre à une question portant sur les droits fondamentaux ou encore si l’objection a trait à une question soulevant un intérêt légitime important. Les parties devront alors faire trancher ces objections par le tribunal au plus tard cinq jours après l’interrogatoire.
Si les procureurs ont des objections sérieuses à faire valoir, ou s’ils anticipent que les questions posées aborderont des aspects sur lesquels ils ne souhaitent pas que leur témoin s’exprime, ils auront intérêt à faire trancher ses questions avant la tenue de l’interrogatoire. Autrement, leur témoin devra y répondre.
Le troisième changement d’importance a trait à la forme de l’interrogatoire. L’article 221 C.p.c. prévoit que l’interrogatoire peut être oral ou écrit. Selon l’article 227, alinéa 2 C.p.c., à l’instar de l’ancien code, la partie qui a procédé à l’interrogatoire oral détient toujours la prérogative de produire l’ensemble de la déposition ou des extraits seulement. Il lui est également toujours possible de ne rien produire.
Dans le cas de l’interrogatoire au préalable écrit, la situation n’est pas aussi claire. En effet, l’article 223, alinéa 3 C.p.c. prévoit que l’interrogatoire et la réponse sont versés au dossier du tribunal par l’une ou l’autre des parties.
Ainsi, la prérogative de la partie qui interroge n’existe pas dans ce contexte. De plus, le contenu de l’interrogatoire est automatiquement consigné au dossier pour en faire partie : le dépôt n’est plus volontaire, mais obligatoire. Les procureurs devront donc faire preuve d’une plus grande vigilance.
Selon les auteurs Ferland et Emery, cela peut être causé par le fait que les procureurs sont généralement impliqués dans la formulation des réponses aux interrogatoires écrits, et que l’objectif avoué de ces interrogatoires est d’obtenir des aveux (voir Denis FERLAND et Benoît EMERY, Précis de procédure civile du Québec, vol. 1, 5e éd., Éditions Yvon Blais, 2015, « L’interrogatoire préalable à l’instruction », 1-1712). De plus, dans le cadre d’un interrogatoire écrit, l’absence de réponse par un témoin sera généralement interprétée comme une reconnaissance des faits sur lesquels porte la question, ce qui constitue l’une des rares applications du principe « qui ne dit mot consent » (voir art. 223, al. 2 et art. 225, al. 1 C.p.c.).
Autres changements
Le Code de procédure civile prévoit également certains changements d’ordre procédural. Par exemple, selon l’article 229 C.p.c., l’interrogatoire ne sera pas permis dans une affaire dont la valeur est inférieure à 30 000 $. La pratique du litige fiscal n’est pas modifiée par ce changement, car l’article 93.1.19.4 de la Loi sur l’administration fiscale (RLRQ, c. A-6.002) prévoit qu’une partie peut procéder à un interrogatoire au préalable sans égard au montant en litige.
Toujours selon l’article 229 C.p.c., un interrogatoire ne pourra durer plus de trois heures, sauf dans la mesure où la valeur en litige est supérieure à 100 000 $. La durée ne pourra alors excéder cinq heures. Dans tous les cas, les parties pourront convenir de prolonger la durée de ceux-ci (jusqu’à sept heures et quatre heures respectivement), à moins que le tribunal n’autorise une prolongation plus longue.
En matière fiscale, l’établissement de la valeur en litige peut créer une incertitude. En effet, il peut être plus difficile de déterminer la valeur d’un litige selon la nature de la cotisation pour laquelle il y a appel. Par exemple, un crédit d’impôt d’une valeur de 25 000 $ n’équivaut pas à une déduction refusée de 25 000 $, et une inclusion au revenu de 25 000 $ aura un impact différent selon la nature du contribuable (particulier, fiducie ou société par actions). Il faudra alors trouver comment accorder le Code de procédure civile avec la Loi sur l’administration fiscale.
Conclusion
Le nouveau Code de procédure civile amène certains changements subtils, mais néanmoins importants qui pourraient créer des surprises lors des interrogatoires au préalable. Il est important de bien maîtriser ses nouvelles règles afin que cet outil précieux ne se transforme pas en arme à double tranchant.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Jonathan Lafrance.