Le 9 août 2022, des propositions législatives relatives à la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »), en lien avec les exigences de déclaration des fiducies, ont été publiées par le ministère des Finances du Canada. Ces propositions législatives entreront en vigueur à une date fixée par décret après le 31 mars 2023 et s’appliqueront aux années d’imposition terminées après le 30 décembre 2022. Le contenu de la proposition avait initialement été publié dans les Propositions législatives du 27 juillet 2018 et devait s’appliquer aux années d’imposition terminées après le 30 décembre 2021.
Ces nouvelles exigences ont pour but d’améliorer la collecte de renseignements sur la propriété effective en ce qui a trait aux fiducies. Elles visent aussi à aider l’Agence du revenu du Canada et Revenu Québec à évaluer la dette fiscale des fiducies et de leurs bénéficiaires.
Ces propositions législatives auront pour conséquence de restreindre l’exception à l’obligation de production de déclaration de renseignements et de revenus (« déclaration de revenus ») dont certaines fiducies bénéficiaient. De plus, toutes les fiducies visées par l’obligation de production d’une déclaration de revenus devront dorénavant fournir des renseignements additionnels sur leurs bénéficiaires, fiduciaires ou auteurs de la fiducie, au sens du paragraphe 17(15) L.I.R. Le gouvernement du Québec a également annoncé son intention de modifier les exigences provinciales de déclaration des fiducies pour s’harmoniser avec les nouvelles règles fédérales.
Règles actuellement en vigueur
En vertu de l’alinéa 150(1)c) L.I.R., une déclaration de revenus d’une fiducie doit être produite dans les 90 jours suivant la fin de l’année de l’entité. Pour la plupart des fiducies, le 31 décembre constitue la date de fin d’année de l’entité.
En vertu de l’alinéa 150(1.1)b) L.I.R., une fiducie n’a pas à produire de déclaration de revenus dans les circonstances suivantes :
- aucun impôt n’est payable dans l’année visée;
- aucune immobilisation n’est disposée dans l’année visée;
- pour une fiducie non résidente, il n’y a pas de disposition d’un bien canadien imposable dans l’année visée, comme il est défini au paragraphe 248(1) L.I.R.
Nouveau paragraphe 150(1.2) L.I.R.
Le nouveau paragraphe 150(1.2) L.I.R. prévoit une restriction aux exceptions du paragraphe 150(1.1) L.I.R. Dorénavant, une fiducie sans revenus pourra être exemptée de produire une déclaration, entre autres, dans les cas suivants :
- la fiducie existe depuis moins de trois mois à la fin de l’année;
- la fiducie détient des actifs dont la juste valeur marchande (« JVM ») est inférieure à 50 000 $ tout au long de l’année et les seuls actifs détenus par la fiducie au cours de l’année sont constitués :
- d’espèces,
- de titres de créance du gouvernement,
- d’actions cotées à une Bourse de valeurs désignée,
- de parts d’une fiducie de fonds commun de placement,
- de participations à titre de bénéficiaire d’une fiducie dont la totalité des unités est cotée à une Bourse de valeurs désignée (il s’agit d’une nouvelle exception qui n’était pas initialement prévue dans les propositions législatives de 2018);
- la fiducie est tenue de détenir des fonds en vertu des règles pertinentes de conduite professionnelle, comme c’est le cas pour les comptes de fiducie généraux d’un avocat;
- la fiducie est un organisme de bienfaisance enregistré ou une organisation à but non lucratif;
- la fiducie est une fiducie de fonds commun de placement;
- la fiducie est une succession assujettie à l’imposition à taux progressifs;
- la fiducie est une fiducie admissible pour personne handicapée;
- la fiducie est instituée en vertu d’un régime de participation des employés aux bénéfices, d’un régime de pension agréé collectif, d’un régime enregistré d’épargne-études ou d’autres régimes semblables (il s’agit d’une nouvelle exception qui n’était pas initialement prévue dans les propositions législatives de 2018); et
- la fiducie sert de véhicule pour l’entretien d’un cimetière.
Les fiducies qui, notamment, détiennent uniquement des actions de sociétés privées seront dorénavant visées par une obligation de production d’une déclaration de revenus, bien qu’elles n’aient pas d’impôt payable pour une année donnée. Le meilleur exemple consiste en une fiducie de gel qui détient des actions d’une société privée sans recevoir de dividendes. Auparavant, cette fiducie aurait été exemptée de produire une déclaration de revenus. Cette fiducie pourrait maintenant être tenue de produire une déclaration de revenus annuellement en vertu du nouveau paragraphe 150(1.2) L.I.R.
Nouveaux paragraphes 150(1.3) et 150(1.4) L.I.R.
Le nouveau paragraphe 150(1.3) L.I.R. prévoit que l’article 150 L.I.R. s’appliquera aussi à une « simple fiducie » (ou Bare Trust en common law), c’est-à-dire un arrangement dans le cadre duquel il est raisonnable de considérer qu’une fiducie agit à titre de mandataire pour ses bénéficiaires relativement aux opérations portant sur ses biens. Cet ajout est surprenant dans la mesure où les simples fiducies sont exclues des dispositions de la loi normalement applicables aux fiducies en vertu du paragraphe 104(1) L.I.R.
Le nouveau paragraphe 150(1.4) L.I.R. prévoit que les paragraphes 150(1.1) à 150(1.3) L.I.R. n’auront pas pour effet d’exiger la communication d’informations assujetties au privilège des communications entre client et avocat. Les paragraphes 150(1.3) et 150(1.4) L.I.R. n’étaient pas initialement présents dans les propositions législatives de 2018.
Renseignements additionnels sur la propriété effective
Les renseignements additionnels qui seront à fournir sont détaillés à l’article 204.2 du Règlement de l’impôt sur le revenu (« R.I.R. »). En vertu des règles qui sont proposées, chaque fiducie qui doit produire une déclaration de revenus aura l’obligation de confirmer : le nom, l’adresse, la date de naissance (constitution), la juridiction de résidence et le numéro d’identification fiscale (« NIF ») pour chaque :
- fiduciaire;
- bénéficiaire;
- auteur; et
- personne qui a la capacité d’exercer un contrôle sur les décisions du fiduciaire.
Le NIF est, selon le cas, le numéro d’assurance sociale, le numéro d’entreprise, le numéro de compte de fiducie ou le NIF étranger.
Bénéficiaire
En vertu de l’alinéa 248(25)a) L.I.R., la notion de bénéficiaire englobe les bénéficiaires de second rang, car ce sont des personnes qui ont un droit conditionnel de recevoir ce titre en cas de décès des bénéficiaires de premier rang. Le paragraphe 204.2(2) R.I.R. établit les circonstances où les bénéficiaires ne sont pas identifiables et où un effort raisonnable serait suffisant pour satisfaire l’exigence du paragraphe 204.2(1) R.I.R. Le critère de l’effort raisonnable serait notamment atteint lorsque des informations suffisamment détaillées permettant d’identifier un bénéficiaire seraient fournies. Les notes explicatives mentionnent le cas où un acte de fiducie inclurait les enfants à naître d’un individu et qui ne seraient pas encore nés au moment de produire la déclaration de revenus. Dans ce cas, l’effort raisonnable serait atteint si les détails des modalités de l’acte de fiducie qui étendraient la catégorie de bénéficiaires aux futurs enfants de l’auteur étaient inclus dans la déclaration.
Revenu Québec a indiqué que le fait d’effectuer une dévolution irrévocable en faveur d’un bénéficiaire ne sera pas suffisant pour exclure les autres bénéficiaires des nouvelles obligations de divulgation.
Devant ces nouvelles exigences pour les bénéficiaires, certains pourraient être tentés de nommer peu de bénéficiaires dans les nouveaux actes de fiducie et de prévoir systématiquement la possibilité pour les fiduciaires de nommer de nouveaux bénéficiaires. Cette stratégie est à considérer avec prudence puisque l’ajout de nouveaux bénéficiaires par les fiduciaires pourrait entraîner une disposition de la participation des bénéficiaires discrétionnaires et un enjeu sur le plan de l’évaluation de cette participation.
Auteur
En vertu du paragraphe 17(15) L.I.R., la notion d’auteur est beaucoup plus large que la notion de constituant. L’auteur est une personne ou une société de personnes qui a consenti un prêt ou effectué un transfert de biens, directement ou indirectement de quelque manière que ce soit, à une fiducie ou pour son compte.
Cette définition exclut :
- un prêt consenti à un taux d’intérêt raisonnable sans lien de dépendance; et
- un bien transféré dans une fiducie à la JVM sans lien de dépendance.
Capacité d’exercer le contrôle
La personne qui a la capacité d’exercer un contrôle concernant l’affectation de revenu ou des capitaux de la fiducie peut exercer ce contrôle par les modalités de la fiducie ou d’un accord connexe. Dans les notes explicatives, l’exemple d’un protecteur est donné.
Conformité
Une nouvelle annexe 15 sera disponible afin de fournir les renseignements supplémentaires requis. De plus amples renseignements au sujet de cette nouvelle annexe seront publiés sur le site Canada.ca lorsqu’ils seront disponibles. Cette annexe devrait ressembler à la section 6 « Renseignements additionnels sur la fiducie » du Formulaire québécois TP-646, « Déclaration de revenus des fiducies ». La section 6 est actuellement disponible, mais les contribuables ne seront tenus de la remplir que lorsque les nouvelles mesures fédérales auront obtenu la sanction royale.
Pénalités pour faux énoncés, omissions et défaut de production
Les nouveaux paragraphes 163(5) et 163(6) L.I.R. instaurent un nouveau régime de pénalité pour les contribuables qui omettront de se conformer aux nouvelles exigences des articles 150 L.I.R. et 204.2 R.I.R.
En vertu du paragraphe 163(5) L.I.R., une personne qui fait un faux énoncé ou une omission dans des circonstances équivalant à une faute lourde est passible d’une pénalité. Une personne qui fait défaut de produire la déclaration dans les mêmes circonstances est également passible d’une pénalité. En vertu du paragraphe 163(6) L.I.R., la pénalité correspond au plus élevé de 2 500 $ ou de 5 % de la JVM maximale des biens détenus par la fiducie au cours de l’année concernée.
Il est important de noter que le libellé du paragraphe 163(5) L.I.R. fait référence à « toute personne ». Donc, le professionnel qui prépare une déclaration de revenus pour le compte d’un client et qui omet de se conformer aux nouvelles exigences des articles 150 L.I.R. et 204.2 R.I.R. pourrait aussi s’exposer à cette pénalité. Cela risque d’en faire sourciller plus d’un considérant que le montant de la pénalité risque de largement dépasser les honoraires facturés pour le service de conformité rendu.
Ces nouvelles pénalités s’ajoutent aux pénalités déjà existantes pour défaut de produire une déclaration de revenus. En vertu du paragraphe 162(7) L.I.R., la pénalité pour défaut de production est égale à 25 $ pour chaque jour de défaut, jusqu’à un maximum de 2 500 $.
Conclusion
En conclusion, un grand nombre de fiducies qui étaient exemptées de l’obligation de produire une déclaration de revenus cesseront prochainement de bénéficier de cette exemption. Toutes les fiducies qui seront dans l’obligation de produire une déclaration de revenus devront divulguer des renseignements additionnels relativement à leurs auteurs, fiduciaires et bénéficiaires.
En préparation à l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles, les professionnels s’occupant de la conformité des fiducies devraient solliciter leurs clients dès maintenant pour obtenir les renseignements visés par le nouvel article 204.2 R.I.R., d’autant plus qu’ils pourraient s’exposer à une pénalité en cas d’omission ou de défaut de production.
* Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 27, no 4 (Hiver 2022).
Par Adèle Gagnon-Leroux, avocate, M. Fisc., Première conseillère, Services fiscaux, PwC, adele.gagnon-leroux@pwc.com