Ces dépenses doivent être en lien avec la détention d’actions du capital-actions ou de dettes d’une personne morale liée. Aux fins de la Loi sur la taxe d’accise et sauf exception, une société de portefeuille (« Holdco ») qui détient des actions et des créances effectue une fourniture de service financier constituant une fourniture exonérée. Conséquemment, elle ne peut s’inscrire au registre de la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (« TPS/TVH ») et elle ne peut donc pas réclamer de CTI puisqu’elle n’effectue pas de fourniture taxable. Cependant, lorsque les conditions de l’article 186 L.T.A. sont remplies, cela crée une présomption voulant que Holdco engage des dépenses dans le cadre d’activités commerciales. L’alinéa 240(3)d) L.T.A. lui permet alors de s’inscrire volontairement au fichier de la TPS/TVH et ainsi réclamer des CTI relativement à certaines dépenses.
Règles actuelles et modifications législatives proposées
L’article 186 L.T.A. contient une présomption permettant à une Holdco inscrite au fichier de la TPS/TVH de réclamer un CTI sur ses dépenses en les réputant engagées dans le cadre d’activités commerciales lorsque certaines conditions sont remplies.
Les modifications proposées par le Ministre précisent les situations et circonstances où les dépenses effectuées par Holdco seront réputées avoir été engagées dans le cadre d’activités commerciales.
Paragraphe 186(1) L.T.A. actuel
Actuellement, les conditions prévues au paragraphe 186(1) L.T.A. sont les suivantes : 1) la présence d’une personne morale mère (« Holding ») résidant au Canada, 2) qui acquiert, importe ou transfère un bien ou un service et qu’il est raisonnable de considérer que cette acquisition, importation ou ce transfert est relatif à des actions du capital-actions ou des dettes d’une autre personne morale (« Filiale exploitante »), 3) la Filiale exploitante est liée à la personne morale mère au sens du paragraphe 126(2) L.T.A. et 4) la totalité ou presque totalité des biens importés ou acquis par la Filiale exploitante sont des biens pour consommation exclusive dans le cadre de ses activités commerciales. Les mentions « exclusive » et « la totalité ou presque » visent un seuil de plus de 90 %. La présomption du paragraphe 186(1) L.T.A. se matérialise lorsque toutes les conditions prévues à ces alinéas sont remplies.
Énoncé de politique, jurisprudence et Mémorandum
Dans l’Énoncé de politique P-096, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») interprétait quelque peu restrictivement les expressions « raisonnable de considérer » et « relativement à ». Puis, la Cour canadienne de l’impôt a donné une interprétation large à ces expressions dans l’affaire Stantec Inc. c. La Reine, [2008] G.S.T.C. 124 (C.C.I.) (« Stantec »). Stantec est une compagnie publique canadienne ayant plusieurs filiales au Canada et aux États‑Unis. Stantec est une société de portefeuille inscrite au fichier de la TPS. En 2005, dans le cadre d’une fusion d’une de ses filiales (détenues à 100 %) avec Keiths Companies, Stantec a dû s’inscrire à une Bourse américaine. Pour ce faire, Stantec a engagé des frais pour des services professionnels en vue de son inscription à la Bourse de New York (NYSE). Stantec a réclamé des CTI en lien avec la TPS payés sur ses services d’inscription. L’ARC a refusé la réclamation des CTI sur deux points. Premièrement, selon l’ARC, Stantec n’effectuait pas de fournitures taxables et n’exerçait pas d’activités commerciales conformément à l’article 169 L.T.A. Deuxièmement, toujours selon l’ARC, les paragraphes 186(1) et 186(2) L.T.A. ne s’appliquaient pas à une fusion. Au paragraphe 16 de la décision, le juge écrit ce qui suit :
« Les faits sont très clairs – les services d’inscription ont été acquis pour que Stantec puisse conclure le marché en vue de détenir toutes les actions de la société résultant de la fusion de Keith Compagnies et de Stantec California. Je conclus qu’il est facile et raisonnable de considérer que ces services ont été acquis relativement aux actions de Keith Companies ou de Stantec California ou aux actions de la société fusionnée, c’est-à-dire, l’investissement par Stantec dans sa nouvelle acquisition. »
Il semble donc clair pour le juge de première instance que les dépenses d’inscription engagées par Stantec sont admissibles à la réclamation de CTI. Cette décision a ensuite été confirmée par la Cour d’appel fédérale, [2009] G.S.T.C. 143 (C.A.F.). À la suite de l’affaire Stantec, l’ARC a publié en novembre 2011 le Mémorandum sur la TPS//TVH 8-6 dans lequel il y a une série d’exemples de ce qui constituerait des situations où, à son avis, il serait « raisonnable de considérer […] relativement à ». Les exemples présentés demeurent assez restrictifs et semblent ne pas tenir compte des décisions de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Stantec. En 2015, la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle) est venue réitérer l’interprétation large de l’application de l’article 186 L.T.A. dans le jugement Miedzi Copper Corp. c. La Reine, [2015] G.S.T.C. 15 (procédure informelle).
Première modification de l’alinéa 186(1)b) L.T.A.
La première modification au paragraphe 186(1) L.T.A. vise l’alinéa b) et ajoute les mots « fabriqués » et « produits » relativement à l’acquisition, l’importation ou au transfert de biens ou de services. Cet ajout des mots « fabriqués » et « produits » élargit le champ d’application des situations où le paragraphe 186(1) L.T.A. actuel peut s’appliquer. En effet, lors de l’analyse du critère des biens de l’autre personne morale liée à la personne morale mère, il faut non seulement prendre en compte les produits acquis et importés, mais aussi ceux fabriqués et produits. Cette modification s’applique au plus tard à la date de publication et a donc un effet rétroactif.
Deuxième modification du paragraphe : ajout du paragraphe 186(0.1) L.T.A. et de la modification du paragraphe 186(1) L.T.A.
La deuxième modification est une refonte du paragraphe 186(1) L.T.A. et s’applique aux biens et services acquis après la date de publication.
Tout d’abord, le Ministre a ajouté le paragraphe (0.1) qui introduit la notion de ce qu’est une « personne morale exploitante » aux fins de l’article 186 L.T.A., soit une personne morale exploitante liée à une personne morale mère et dont la totalité ou presque des biens sont des biens qu’elle a fabriqués, produits, acquis ou importés pour consommation exclusive dans le cadre de ses activités commerciales. Le libellé du paragraphe 186(1) L.T.A. proposé indique qu’une Holding doit être inscrite au fichier de la TPS et résider au Canada.
Dans les notes explicatives, on fait référence à la notion de résidence « au sens de de l’alinéa 132(1)a) de la Loi », c’est-à-dire que la personne morale soit constituée ou prorogée au Canada. Cette mention semble restreindre certaines personnes morales admissibles puisqu’au paragraphe 132(2) L.T.A., il y est prévu une présomption de résidence au Canada pour les personnes non résidentes y ayant un établissement stable. Il convient de noter que le libellé du paragraphe 186(1) L.T.A. proposé ne fait pas cette distinction quant au type de résidence.
Pour le calcul de son CTI, une Holdco est réputée avoir acquis, importé ou transféré un bien ou un service dans le cadre de ses activités commerciales dans la mesure où la dépense engagée est visée par l’alinéa a), b) ou c) du paragraphe 186(1) L.T.A. proposé.
- Alinéa a) : transactions reliées aux actions du capital-actions de sa Filiale exploitante
L’alinéa a) du paragraphe (1) vise les situations où une Holdco acquiert un bien ou un service se rapportant à une transaction relative à (i) l’actionnariat de Holdco dans la Filiale exploitante ou (ii) à une modification par la Filiale exploitante de son capital-actions ou de ses dettes.
- Alinéa b) : transactions reliées aux actions du capital-actions de Holdco (critère de l’objet)
L’alinéa b) du paragraphe (1) énonce trois conditions cumulatives sous forme de sous-alinéas lorsque Holdco acquiert un bien ou un service concernant son capital-actions : (i) l’émission ou la vente d’actions de son capital-actions ou de ses dettes; (ii) Holdco transfère à une Filiale exploitante les produits de la transaction décrite à (i); puis (iii) les produits doivent être utilisés par la Filiale exploitante exclusivement dans le cadre de ses activités commerciales.
Holdco n’est pas obligée de verser la totalité du produit de la transaction en (i) à la Filiale exploitante. Toutefois, le CTI sera calculé en prenant en considération le montant du produit utilisé exclusivement par la Filiale exploitante dans le cadre de ses activités commerciales.
Les notes explicatives fournissent l’exemple suivant : Holdco acquiert des services professionnels dans le but d’émettre des obligations et reçoit un produit de 1 M$. Holdco en transfère 800 k$ à sa Filiale exploitante. De ces 800 k$, la Filiale exploitante en utilise 750 k$ dans le cadre de ses activités commerciales et 50 k$ pour l’achat de titres sur le marché monétaire. L’alinéa b) s’applique puisque la Filiale exploitante utilise exclusivement, soit à plus de 90 %, le produit versé de Holdco. Cette dernière aura donc droit à un CTI de 75 % sur les dépenses de services professionnels, soit le pourcentage du produit qui a été utilisé dans le cadre des activités commerciales.
- Alinéa c) : transactions reliées aux biens de la Filiale exploitante
L’alinéa c) du paragraphe (1) permet de réclamer des CTI lorsque la totalité ou la presque totalité des biens de Holdco sont des actions du capital-actions ou des dettes de Filiales exploitantes. Cette mention de l’alinéa c) semble restreindre le nombre de Holdco pouvant bénéficier de cet alinéa puisque dans les cas où les actions du capital-actions ou les dettes d’une personne morale exploitante non liée dépasseraient 10 % des actifs de Holdco, alors celle-ci ne pourrait pas se prévaloir de l’alinéa c) et ainsi réclamer un CTI relativement aux transactions des sous-alinéas (i) et (ii).
Paragraphe 186(2) L.T.A. proposé
Les modifications proposées concernent l’alinéa 186(2)b) L.T.A. (soit les règles se rapportant aux frais relatifs à une prise de contrôle) et visent simplement l’harmonisation avec les paragraphes (0.1) et (1) proposés par l’ajout des mentions « fabriqué ou produit » aux biens acquis et importés puis l’ajout de « la dernière fois » au critère de l’utilisation/la consommation dans le cadre exclusif des activités commerciales de l’entreprise.
Première modification du paragraphe 186(3) L.T.A.
La première modification de ce paragraphe (réputant les actions de la Filiale exploitante comme étant des biens utilisés dans le cadre d’activités commerciales) vise encore une fois l’harmonisation avec les paragraphes (0.1) et (1) proposés par l’ajout des mentions « fabriqué ou produit » aux biens acquis et importés.
Ces modifications, rétroactives s’appliquent pour les biens acquis avant la date de la publication.
Deuxième modification du paragraphe 186(3) L.T.A.
Cette proposition incorpore la notion de « personne morale exploitante d’une personne morale » et cette modification s’applique à l’acquisition de services après la date de la publication.
Consultation
À la suite de la publication des propositions législatives, le Ministre a invité les divers intervenants à commenter les deux aspects suivants : 1) la possibilité de remplacer la condition de « personnes liées » par une condition voulant que ce soit « étroitement liées » et 2) l’élargissement de la règle de TPS/TVH visant les sociétés de portefeuille pour y inclure les fiducies et les sociétés de personnes.
Notion de personnes étroitement liées
Le Ministre envisage de remplacer le critère de « personnes liées » par « étroitement liées ». L’expression « personnes liées » est définie généralement comme une détention commune de plus de 50 % des actions avec droit de vote du capital-actions au paragraphe 126(2) L.T.A., qui se réfère aux paragraphes 250(1) à 250(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu, alors que l’expression « personnes étroitement liées », définie au paragraphe 128(1) L.T.A., fait référence à une propriété commune d’au moins 90 % entre deux personnes morales.
Sociétés de personnes et fiducies
Le Ministre considère l’application de la règle pour les sociétés de portefeuille aux sociétés de personnes et aux fiducies. Tel qu’il a été mentionné plus haut, les règles actuelles et les propositions législatives de l’article 186 L.T.A. ne s’appliquent qu’aux personnes morales. Ainsi, une société de personnes ou une fiducie ne peut bénéficier de cette présomption d’activités commerciales. Certains groupes ont souligné que cette restriction se trouvant dans les dispositions actuelles ne suit pas le principe de neutralité voulant que la finalité doive être la même que ce soit Holdco ou une Filiale exploitante qui engage la dépense et puisse réclamer un CTI. Cette limitation a un impact certain sur le choix d’un montage fiscal puisqu’une fiducie pourrait jouer un rôle semblable à celui d’une personne morale, mais la finalité ne serait pas la même dans le cadre de l’article 186 L.T.A. puisque l’utilisation de la fiducie imposerait un coût supplémentaire.
Conclusion
L’objectif du législateur dans les archives fédérales de 1990 à 1996 était de s’assurer que les dépenses justifiant la réclamation de CTI soient raisonnablement considérées comme relatives aux actions du capital-actions ou à des dettes de la Filiale exploitante. La jurisprudence a interprété largement l’application de l’ancien article 186 L.T.A. Malgré la tendance jurisprudentielle de l’interprétation large de l’article 186 L.T.A., l’ARC a maintenu une approche plus restrictive tel qu’il est réitéré dans le Mémorandum 8-6 publié en 2011. Les nouvelles règles précisent les circonstances où l’ARC considérera que les dépenses engagées par une Holdco sont réputées avoir été effectuées dans le cadre de ses activités commerciales et énoncent les conditions afin de bénéficier de cette présomption. Voyons voir si le changement du libellé aura comme effet de modifier à l’avenir la position des tribunaux lors de contestations judiciaires concernant l’application de l’article 186 L.T.A. proposé.
Note : le ministère des Finances du Québec a annoncé dans le Bulletin d’information 2018-8 (25 octobre 2018) son intention d’harmoniser la Loi sur la taxe de vente du Québec avec les propositions fédérales relatives aux règles de la TPS/TVH pour les sociétés de portefeuille.
Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 24, no 1, printemps 2019.
Carol-Ann Racine
Avocate, Conseillère taxes à la consommation
Richter s.e.n.c.r.l.
cracine@richter.ca