Dans un contexte de fédération, il est d’autant plus difficile d’atteindre cet objectif lorsqu’une même disposition au fédéral et au provincial entraîne des conséquences fiscales différentes. Il s’agit, entre autres, du cas de l’application du paragraphe 108(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») et de son équivalent au provincial, l’article 651.1 de la Loi sur les impôts (« L.I. ») qui, en réputant que le revenu attribué au bénéficiaire par une fiducie est un revenu provenant d’un bien, sous réserve de certaines exceptions, entraîne des conséquences fiscales différentes selon le palier d’imposition. Aux fins du présent texte, les références aux articles de la Loi de l’impôt sur le revenu doivent se lire en incluant la référence aux articles équivalents de la loi provinciale sauf indications contraires.

Calcul du revenu de la fiducie et du bénéficiaire

À titre de particulier, la fiducie doit calculer son revenu conformément à l’article 3 L.I.R. en considérant ses différentes sources de revenus. La fiducie offre par contre la possibilité d’attribuer ses revenus à ses bénéficiaires. Ce faisant, plutôt que d’être supportée par la fiducie, la charge fiscale se retrouvera entre les mains des bénéficiaires qui s’imposeront personnellement sur ces revenus. Pour que ce transfert de charge fiscale s’opère, la loi prévoit au paragraphe 104(6) L.I.R. une déduction dans le calcul du revenu imposable de la fiducie.

Afin d’être admissibles à la déduction, les revenus de la fiducie doivent être payés ou payables au bénéficiaire ayant droit au revenu ou se qualifier à titre d’impenses selon le paragraphe 105(2) L.I.R. Un choix est par ailleurs disponible permettant d’imposer les revenus dans la fiducie malgré l’attribution aux bénéficiaires. Cette option peut être avantageuse, entre autres, lorsque le taux d’imposition de la fiducie est inférieur au taux du bénéficiaire. Cependant, vu l’élimination des taux progressifs de certaines fiducies testamentaires proposée dans le Budget de 2014, les fiducies ayant un taux d’imposition inférieur aux particuliers se feront de plus en plus rares et le choix de laisser la fiducie s’imposer sera sans doute motivé par d’autres motifs qu’une économie d’impôts.

Le montant déduit par la fiducie au cours d’une année sera inclus dans le calcul du revenu du bénéficiaire en vertu du paragraphe 104(13) L.I.R. Ce montant inclut les montants payés ou payables, ainsi qu’une fraction raisonnable des impenses déduites au paragraphe 105(2) L.I.R. dans la mesure où la jouissance du bien est accordée au bénéficiaire en question. Un montant sera considéré comme payé ou payable par la fiducie lorsqu’il a été payé au bénéficiaire au cours de l’année ou lorsque le bénéficiaire est en droit d’en exiger le paiement.

Présomption de revenu de bien

La législation fiscale fait la distinction entre plusieurs sources de revenus. L’importance de cette qualification repose sur le traitement fiscal qui peut être différent selon la source du revenu. Le paragraphe 108(5) L.I.R. établit une présomption selon laquelle le revenu de la fiducie attribué et inclus dans le revenu du bénéficiaire perd sa nature et est réputé être du revenu de bien à moins d’une disposition expresse spécifiant le contraire. Si plusieurs types de revenus font l’objet de dispositions spécifiques afin de préserver leur nature malgré le fait que ceux-ci transitent par une fiducie, notamment les dividendes réputés, les dividendes non imposables, le gain en capital réputé et plusieurs autres, ni la loi fédérale ni la loi provinciale ne prévoient le maintien de la nature d’un revenu d’entreprise qui serait gagné par la fiducie et attribué à un bénéficiaire.

Conséquences de la présomption au fédéral

Au fédéral, lorsque le bénéficiaire est résident du Canada, le revenu attribué par une fiducie entrera dans ses revenus mondiaux, et sera donc assujetti en vertu du paragraphe 2(1) L.I.R. Le non-résident n’est imposable en vertu de la partie I L.I.R. que relativement à un emploi occupé au Canada, une entreprise exploitée au Canada ou encore lors de la disposition d’un bien canadien imposable. Par contre, le revenu qu’une fiducie canadienne attribuerait à un non-résident entrera dans le champ d’application de l’impôt de la partie XIII L.I.R. qui prévoit un impôt équivalent à 25 % du montant qu’un résident canadien paye ou porte au crédit d’un non-résident.

De plus, ce revenu attribué sera à titre de revenu de la fiducie, indépendamment de sa source pour la fiducie en vertu du paragraphe 212(11) L.I.R. Un impôt de la partie XII.2 L.I.R. sera également exigible lorsque la fiducie est résidente du Canada, que certains de ses bénéficiaires sont des non-résidents et finalement qu’un montant est payé ou payable aux bénéficiaires au cours de l’année. L’impôt à payer s’élèvera à 36 % du moindre de :

a) le revenu de distribution pour l’année;

b) le revenu de la fiducie pour l’année sans tenir compte de la déduction du paragraphe 104(6) L.I.R.;

c) 100/64 de la déduction du paragraphe 104(6) L.I.R.

Le revenu de distribution est défini au paragraphe 210.2(2) L.I.R. et comprend expressément le revenu d’une entreprise exploitée au Canada.

Conséquence de la présomption au provincial

Le revenu d’entreprise est assujetti en fonction du lieu de l’exploitation de l’entreprise. L’article 25 L.I. établit que le particulier ayant exercé une entreprise au Québec devra payer un impôt sur ses revenus provenant de cette entreprise, sans considérer la résidence du particulier en question. Une fiducie résidente du Québec et exploitant une entreprise sur ce territoire sera donc assujettie sur ce revenu, dans la mesure où le revenu demeure dans la fiducie. Lorsqu’elle attribue ce revenu à un bénéficiaire, la fiducie obtient une déduction dans son revenu imposable. L’assujettissement se fait dès lors au niveau du bénéficiaire. Le revenu ayant changé de nature, il est donc soumis aux règles du revenu de bien.

Lorsqu’un revenu provient d’un bien, en vertu de l’article 22 L.I., ce revenu sera l’objet d’une imposition en fonction du lieu de résidence fiscale du contribuable. Aucune définition du mot « résident » n’est prévue dans la loi, fédérale ou provinciale. La détermination de la résidence est une question de fait et plusieurs facteurs, dont la volonté du contribuable d’installer à un endroit son mode de vie, seront pris en considération par les autorités fiscales afin de la déterminer.

Puisque le revenu d’entreprise qui est gagné par une fiducie pour ensuite être attribué à son bénéficiaire sera réputé être du revenu de bien, la conséquence est qu’il sera imposé par la province de résidence du bénéficiaire, sans égard au lieu où l’entreprise a réellement été exploitée.

Le choix des bénéficiaires de la fiducie ou encore le choix d’une province de résidence pour un bénéficiaire permet indirectement de choisir la province d’imposition du revenu d’une entreprise exploitée par une fiducie, sans égard au lieu où l’activité économique est réellement exercée. D’aucuns peuvent ainsi prétendre que ces règles permettent une certaine forme de magasinage du taux d’imposition entre les provinces.

Distorsion

Du point de vue fédéral, l’assiette fiscale n’est pas touchée par une telle présomption. Les règles prévoient une imposition pour le résident sur ses revenus mondiaux alors que le non-résident est imposé selon le régime distinct de l’impôt des non-résidents. Ce régime prévoit non seulement que le revenu de bien est assujetti lorsque ces biens sont situés au Canada, mais aussi qu’une fiducie ayant des bénéficiaires non résidents sera également imposée sur son revenu. Ainsi, le gouvernement fédéral ne perd pas de recettes fiscales au profit d’autres États lorsqu’une fiducie canadienne exploite une entreprise sur son territoire. Il en est autrement pour les gouvernements provinciaux.

Effectivement, le droit d’imposer un revenu d’entreprise attribué par une fiducie reviendra à la province de résidence d’un bénéficiaire puisque ce revenu sera requalifié comme un revenu de bien. Il est donc possible que la province ayant hérité du droit d’imposition puisse avoir un lien beaucoup moins étroit avec l’entreprise exploitée par la fiducie que la province où l’activité économique est réellement exercée. Vu cette constatation, une question s’impose : existe-t-il une raison d’être de cette présomption?

Origine de la présomption

Avant même l’introduction du paragraphe 108(5) au sein de la Loi de l’impôt sur le revenu, les autorités fiscales appliquaient par position administrative une présomption faisant abstraction de la source du revenu lorsque ce dernier faisait l’objet d’une attribution par une fiducie. Cette présomption, malgré le fait qu’elle ait été totalement absente au sens strictement législatif, était admise au point que certaines exceptions prévoyant le maintien de la nature du revenu transitant par une fiducie étaient déjà introduites dans la Loi de l’impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les revenus de dividendes, le gain en capital imposable et les revenus de sources étrangères.

Les autorités fiscales se trouvaient à considérer la fiducie comme un intermédiaire autonome plutôt qu’un conduit. Cette position était soutenue par le fait qu’une fiducie est un particulier distinct qui doit calculer son revenu imposable et que son revenu est déjà débité de certaines déductions. En adhérant à ce point de vue, il est légitime d’affirmer que le revenu d’une fiducie est un revenu de bien puisqu’il s’agit d’un rendement obtenu sur une quote-part dans la participation dans la fiducie qui correspond à un bien détenu par un bénéficiaire. Si, en vertu du droit civil, ce raisonnement est cohérent, cette logique semble s’amenuiser lorsqu’elle est importée dans le domaine fiscal.

Le contexte d’adoption du paragraphe 108(5) L.I.R. s’explique donc principalement par un courant jurisprudentiel qui s’opposait à la position administrative et qui reconnaissait le maintien de la nature d’un revenu attribué à un bénéficiaire par une fiducie. Ce courant invoquait comme autorité la cause britannique Baker v. Archer Shee ([1927] A.C. 844 (H.L.)). Dans cette affaire, en plus de réaffirmer l’autonomie du patrimoine fiduciaire et l’absence de droit de propriété des bénéficiaires sur les biens de la fiducie, les Lords ont soutenu qu’une fiducie n’est pas une source de revenus autonome.

Après une revue de la jurisprudence britannique, Lord Atkinson s’est opposé fermement à la théorie du changement de source de revenus. Les tribunaux canadiens ont adhéré à cette thèse à maintes reprises, ce qui explique la nécessité pour le législateur d’avoir procédé à l’adoption d’une disposition expresse prévoyant la présomption que le revenu d’une fiducie est un revenu de bien.

Au fédéral, cette disposition faisait partie des changements apportés à la Loi de l’impôt sur le revenu par le Budget présenté le 12 novembre 1981 à la Chambre des communes. La Loi no 2 modifiant la législation relative à l’impôt sur le revenu sera sanctionnée un peu plus d’an plus tard, soit le 30 mars 1983. Les deux courts paragraphes consacrés à l’introduction du paragraphe 108(5) L.I.R. dans les notes explicatives publiées par le ministère des Finances ne nous permettent pas de jeter un nouvel éclairage sur les raisons qui expliquent la nécessité de cette présomption.
Au provincial, le ministre des Finances de l’époque, Jacques Parizeau, avait annoncé dans son Discours sur le budget du 25 mai 1982 que des changements à la législation québécoise allaient être apportés afin de s’harmoniser au fédéral. Une déclaration ministérielle en date du 17 décembre 1982 confirmait l’inclusion de la présomption dans la Loi sur les impôts en faisant directement référence à l’avis de motion de voies et moyens rédigé par le fédéral.

Bref, pour le fédéral, les motifs d’introduction législative de cette présomption étaient de codifier une position administrative, alors que pour le Québec il s’agissait de s’harmoniser aux règles fédérales.

Objectifs de la présomption

Selon les notes explicatives de David Sherman au paragraphe 108(5) de La Loi du praticien, le législateur aurait été motivé par l’éventualité d’une planification impliquant une fiducie ayant pour bénéficiaires des enfants mineurs qui achèterait des parts d’une société en commandite exploitant une entreprise de prêt hypothécaire. Puisque les tribunaux reconnaissaient le maintien de la nature du revenu, une telle planification aurait permis à la fiducie d’attribuer le revenu d’entreprise aux bénéficiaires mineurs sans que celui-ci soit réattribué au bailleur de fonds. Effectivement, le revenu d’entreprise n’entrait pas dans le champ d’application du paragraphe 75(2) L.I.R. de l’époque qui prévoyait une règle d’attribution lors du transfert d’un bien à des mineurs.

Pouvons-nous adhérer à cette hypothèse selon laquelle la présomption requalifiant le revenu d’entreprise en revenu de bien avait pour but de le faire entrer dans le champ d’application des règles d’attribution? Les règles d’attribution ne trouveront pas application lorsque le revenu généré est du revenu d’entreprise. L’hypothèse émise se vide de sens à la lecture même du paragraphe 108(5) L.I.R., qui prévoit que « cependant le présent paragraphe n’a pas pour effet de modifier l’application du paragraphe 56(4.1), des articles 74.1 à 75 […] de la présente loi ». Il est donc expressément prévu que la présomption ne produise pas ses effets en ce qui concerne les règles d’attribution, et il en est ainsi depuis l’introduction du paragraphe 108(5) L.I.R. Ceci étant dit, la neutralisation des effets de la présomption en regard des règles d’attribution rend peu probable cette hypothèse.

L’analyse de la jurisprudence nous permet par contre d’affirmer que le maintien de la nature du revenu provenant d’une fiducie pouvait être avantageux d’un point de vue fiscal pour certains contribuables. Il n’est pas rare de constater au cours de l’évolution de la politique fiscale qu’un changement législatif soit motivé par ce que les autorités fiscales considèrent comme représentant un avantage « trop considérable » au profit du contribuable ou lorsqu’elles constatent qu’une disposition est utilisée à mauvais escient. Adhérer à cette hypothèse ne dissipe pas le mystère qui entoure la multitude d’exceptions accompagnant la présomption. Effectivement, si l’objectif se voulait d’empêcher les contribuables de se prévaloir des avantages fiscaux spécifiques rattachés aux différents types de revenus lorsqu’ils utilisent le véhicule juridique de la fiducie, alors pourquoi dès le départ prévoir que certains revenus maintiendront leur source?

Conclusion

Le 1er juillet dernier, l’alinéa 8 de l’article 21 de la Loi sur la publicité légale des entreprises entrait en vigueur, exigeant ainsi des fiducies exploitant une entreprise à caractère commercial de s’immatriculer au Registraire des entreprises du Québec. Quoiqu’il n’y ait pas de définition de « fiducie exploitant une entreprise à caractère commercial », nous nous doutons qu’il s’agit d’une fiducie gagnant du revenu d’entreprise qui pourrait, entre autres, bénéficier de la distorsion faisant l’objet du présent texte. Cet intérêt soudain pour ces fiducies représente-t-il une étude de la part des autorités provinciales pour évaluer la rentabilité d’un changement législatif potentiel?

* Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 19, numéro 4, du mois de décembre 2014.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Émilie Dion Roy.