La délation désigne souvent une dénonciation méprisable et honteuse. Le présent texte utilise plutôt le terme « dénonciation » qui est le terme employé par les autorités fiscales dans les derniers développements. La dénonciation est plutôt un acte destiné à alerter des faits jugés comme répréhensibles, abusifs ou criminels. Cependant, tout comme le témoignage, la dénonciation est un acte qui est ambivalent et qui en appelle à la responsabilité du dénonciateur.
La dénonciation fiscale, souvent par intérêt ou par vengeance, fait en sorte que des personnes souvent bien informées et parfois très proches de la personne dénoncée signalent aux autorités fiscales des faits permettant à ces dernières de réclamer des sommes supplémentaires. La dénonciation fiscale n’est pas une nouveauté, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») recevrait environ 25 000 dénonciations de toute sorte par année.
Le présent texte, qui n’est pas un éditorial, traite des récentes politiques et des dernières directives émises par les autorités fiscales pour encadrer le processus de dénonciation fiscale.
Le Budget fédéral de 2013
Conformément à ce qui avait été annoncé dans le Budget fédéral de 2013, le programme appelé « Programme de dénonciateurs de l’inobservation fiscale à l’étranger » (« PDIFE ») fait partie de plusieurs mesures visant à renforcer la capacité de l’ARC à combattre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal abusif internationaux.
Ce programme prévoit offrir des récompenses financières aux particuliers pour avoir fourni des renseignements à l’ARC sur un cas d’inobservation fiscale internationale menant à l’établissement et au recouvrement d’une cotisation d’impôt fédéral supérieure à 100 000 $.
La récompense prévue se situe entre 5 % et 15 % de l’impôt fédéral perçu à l’exclusion des intérêts et pénalités. Le pourcentage est basé sur divers facteurs comme la qualité et la pertinence des renseignements et la coopération du dénonciateur.
L’inobservation fiscale internationale comprend des situations comme un revenu imposable canadien non déclaré qui a été transféré à l’extérieur du Canada, un revenu imposable à l’étranger non déclaré ou un stratagème d’évitement fiscal comprenant des opérations à l’étranger.
Pour être admissibles au PDIFE, les particuliers, peu importe où ils se trouvent dans le monde, devront fournir à l’ARC des détails précis et crédibles sur des cas d’inobservation fiscale internationale de grande ampleur. Les personnes exclues du programme de récompenses sont, entre autres :
• les particuliers qui ont été reconnus coupables d’évasion fiscale concernant la situation d’inobservation qu’ils dénoncent;
• celles légalement tenues de divulguer les renseignements à l’ARC;
• celles qui fournissent des renseignements de façon anonyme;
• les employés de l’ARC ou tout autre employé, fonctionnaire ou représentant fédéraux, provinciaux ou municipaux qui ont obtenu les renseignements dans le cadre de leur emploi.
Il est prévu qu’un responsable du PDIFE examinera les renseignements préliminaires fournis, évaluera le dossier et un contrat sera conclu et signé avec l’ARC. Un paiement pourrait être refusé ou un contrat résilié dans les situations où, par exemple :
• l’ARC a déjà reçu les renseignements d’une autre source;
• une vérification ou une enquête criminelle est effectuée, mais elle mène à l’établissement d’une cotisation de l’impôt fédéral relative à l’inobservation fiscale internationale inférieure à 100 000 $;
• une conclusion de dette fiscale est confirmée et soutenue, mais moins de 100 000 $ ont été perçus parce que le contribuable n’a pas de biens connus que l’ARC peut utiliser pour régler la dette fiscale en souffrance.
De plus, étant donné que le processus pourrait prendre plusieurs années après la date de signature du contrat avec l’ARC avant qu’une cotisation de l’impôt fédéral supplémentaire soit établie, que les droits d’appel du contribuable expirent et que le montant dû soit perçu, les dénonciateurs pourraient attendre longtemps avant de toucher la récompense.
Un programme semblable existe aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni. Chez nos voisins du Sud, la récompense est plutôt de 15 % à 30 % du montant récupéré.
Au Québec, qu’en est-il?
Au Québec, qu’en est-il?
Le 31 mars 2014, Revenu Québec a affiché sur son site Internet le processus de dénonciation en mettant à la disposition des témoins d’un non-respect d’obligations fiscales, une ligne sans frais et un formulaire pouvant être rempli et transmis. Les instructions précisent que ce formulaire s’adresse à « toute personne qui croit qu’une personne ou une entreprise ne respecte pas ses obligations fiscales et qui désire le signaler à Revenu Québec ».
La dénonciation peut être anonyme ou non. Les renseignements fournis sont confidentiels et protégés par la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Par conséquent, Revenu Québec assure que la personne ou l’entreprise dénoncée ignorera qui a fait la dénonciation. Aucune récompense n’est cependant prévue ni annoncée.
En 2013, le gouvernement du Québec avait indiqué qu’il approuvait l’initiative du gouvernement fédéral et qu’il suivrait l’évolution de ce programme avant d’annoncer, s’il y a lieu, la mise en place de mesures similaires dans la législation fiscale du Québec. Les représentants ont ajouté qu’il est déjà possible pour toute personne d’attirer leur attention sur une situation impliquant un contribuable qui ne respecte pas ses obligations fiscales.
Par le passé, Revenu Québec a déjà indiqué que les dénonciateurs n’ont jamais été payés ou récompensés. Toutefois, il est arrivé que leurs dénonciations, lorsqu’elles les incriminent par l’identification d’avantages imposables, ou par l’admission de leur participation à des infractions de nature fiscale, soient traitées comme des divulgations volontaires avec les avantages que cela comporte (aucune poursuite, aucune pénalité discrétionnaire, etc.).
La récompense obtenue du fédéral est-elle imposable? Eh oui!
Il ne faut pas s’étonner de la réponse. Au fédéral, la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») a été modifiée, au mois de juin 2014, pour prévoir d’une part, l’imposition de toute somme reçue aux termes d’un contrat pour la fourniture de renseignements concernant l’inobservation fiscale et d’autre part, qu’une retenue d’impôt soit effectuée sur cette somme versée.
Au Québec, depuis longtemps, Revenu Québec s’était prononcé pour indiquer que les paiements en échange d’informations sont imposables et qu’une retenue d’impôt s’applique depuis le 1er novembre 1997. Par ailleurs, dans le dernier Budget du Québec, le 4 juin 2014, le gouvernement du Québec est venu préciser que les législation et réglementation fiscales québécoises seront modifiées pour s’harmoniser aux modifications fédérales relativement à l’imposition des récompenses versées pour des renseignements et pour prévoir que la retenue d’impôt à la source pour le Québec sera égale à 20 % du montant versé.
Les renseignements obtenus d’un dénonciateur
Les informations obtenues d’un dénonciateur sont protégées par la Loi de l’impôt sur le revenu, laquelle loi a priorité sur la Loi sur l’accès à l’information. La protection de la divulgation ou de l’identité du dénonciateur est un privilège établi de la Couronne et une règle de droit commun.
L’ARC a affirmé qu’elle veut protéger l’identité des dénonciateurs dans toute la mesure du possible. Toutefois, elle indique que dans certaines circonstances, comme lorsque le dénonciateur est un témoin essentiel dans une poursuite judiciaire, l’identité du dénonciateur pourrait devoir être révélée.
Dans ce dernier cas, il existe un certain risque pour le dénonciateur lorsqu’une personne dénoncée est blanchie des accusations contre elle, cette dernière pourrait se retourner et poursuivre le dénonciateur devant les tribunaux.
Au Québec, la plupart des dénonciations sont acheminées dans les services de vérification pour être incorporées dans le processus de sélection des cas à vérifier. Revenu Québec a comme politique de ne pas identifier nommément ni d’indiquer les faits de la dénonciation qui seraient de nature à permettre l’identification du délateur, en ce qui concerne des documents établis en vue d’obtenir des mandats de perquisition. Il en est de même dans le processus de divulgation de la preuve.
En 2012, la Cour du Québec a indiqué, dans la cause Atelier de pneus Garo ltée c. SMRQ (2012 QCCQ 9736), que les informations obtenues dans le cadre d’une « délation », dans un contexte civil, constituent une preuve par ouï-dire inadmissible pour établir les faits allégués non autrement légalement établis. Le juge ajoute qu’à la limite :
« […] le fisc n’est pas obligé d’avoir des motifs spécifiques et précis pour vérifier la déclaration ou les affaires d’un contribuable, et il peut de façon aléatoire décider d’y procéder, cependant lorsqu’il y a un motif on doit le révéler lorsqu’on est questionné à ce sujet.
Cependant, si la vérification est motivée par une délation, la représentante a une obligation de la déclarer lorsque la question lui est posée, sans cependant devoir révéler les détails qui permettraient d’identifier l’informateur. »
Le fait que les autorités fiscales veuillent encadrer les dénonciations et même les encourager indique qu’elles jugent ces comportements populaires, appréciables et même nécessaires. Il reste cependant à éduquer les dénonciateurs sur ce qui constitue une évasion fiscale ou un évitement abusif des lois fiscales. Il ne s’agit pas simplement de soupçonner une fraude pour qu’elle soit qualifiée de fraude, au même titre que l’évitement fiscal peut être absolument acceptable et même, dans certains cas, encouragé par les autorités fiscales.
Le fait d’exposer les agissements d’une personne contient son lot de risques. Offrir une récompense pourrait peut-être enhardir ces signalements. Encore faut-il que la récompense soit assurée et vérifiable et non l’image d’une carotte au bout d’un fil qui ne soit jamais atteignable en échange d’informations précieuses.
Que la dénonciation devienne un devoir civique ou non pour alerter la collectivité des actes abusifs ou criminels d’individus ou de groupes d’individus, l’avenir, qui risque de prendre son temps, nous dira si ces démarches sont encourageantes ou non, si ces politiques et les révélations portent fruits ou non, et si ces délais ou ces contrats avec les autorités fiscales découragent les délateurs ou non. En attendant, voici une autre citation plutôt amusante : « Il est des choses qu’on ne se sert qu’en les salissant : les délateurs, par exemple, et les mouchoirs de poche. » (Jean Antoine Petit, 1792-1870)
Photo Bloomberg
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Benoît Malboeuf.