Le but est également de dresser un portrait de possibles activités d’infiltration du crime organisé dans l’industrie de la construction, d’examiner des pistes de solution et de faire des recommandations pour prévenir la collusion et la corruption dans l’octroi et la gestion des contrats publics.
Les commissions d’enquête sont formées pour établir des faits, découvrir la « vérité » relativement à des sujets de préoccupation. Elles doivent être indépendantes du gouvernement.
L’enquête n’est ni un procès criminel ni un procès civil. Elle ne mène ni à un verdict de culpabilité ni à une détermination de responsabilité ni à l’octroi de dommages. Les commissaires enquêtent sur les faits pertinents à leur mandat et tirent des conclusions factuelles de la preuve qui leur est présentée.
Les audiences sont publiques et les commissaires peuvent assigner des témoins à comparaître pour témoigner ou pour produire des documents.
La Loi attribuant certains pouvoirs d’inspection et de saisie à la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction permet aux procureurs de la Commission, sur autorisation de la Commissaire, d’exiger la production de documents ou renseignements, d’autoriser l’inspection de certains lieux et d’autoriser un procureur ou un agent de la paix à s’adresser à un juge de paix pour permettre la recherche et la saisie de tout objet ou document pertinent au mandat de la Commission.
Quiconque refuse ou néglige de produire un document ou un objet, ou entrave l’exécution d’une autorisation rendue par la Commissaire commet une infraction et est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 75 000 $. La Loi sur l’administration fiscale a d’ailleurs été modifiée dans le but d’autoriser la communication de renseignements contenus dans un dossier fiscal, sans que la personne concernée y consente.
Lorsqu’un témoin reçoit une assignation à comparaître, il ne s’agit pas d’une demande ou d’une suggestion, mais bien d’une obligation. Au moment des audiences, les témoins sont obligés de répondre, mais il est mentionné dans la Loi sur les commissions d’enquête que nulle réponse ne peut être invoquée contre eux dans une poursuite en vertu d’une loi, sauf le cas de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires. Tous les témoins doivent prêter serment.
Les commissaires peuvent cependant, pour des raisons d’ordre public comme la protection des parties, des enquêtes policières en cours, de renseignements confidentiels ou privilégiés, et pour protéger le droit à un procès juste et équitable concernant des litiges existants ou à venir, prononcer des ordonnances de non-publication, de non-diffusion, ou même le huis clos. Il sera intéressant de voir comment ces dispositions seront interprétées par les tribunaux si des accusations sont portées par la suite.
Ainsi, est-ce qu’un témoin qui avoue un crime ou une fraude devant la Commission Charbonneau peut être accusé de ce crime ou de cette fraude ? La réponse est oui !
Les enquêteurs, que ce soit au niveau de la police ou d’une vérification fiscale, ne pourront pas utiliser simplement un aveu devant la Commission comme preuve devant une cour. Cependant, la plupart des crimes ou des fraudes peuvent être prouvés autrement. Par exemple, d’autres individus pourraient fournir de l’information sur un témoin de la Commission. De plus, si un témoin a fait les mêmes aveux aux enquêteurs avant ou après son témoignage devant la Commission, la protection ne tient plus. À noter que la protection allouée à la personne qui témoigne n’est pas élargie à l’information concernant un tiers.
Il est donc clair que cette protection a ses limites et pour ces raisons, plusieurs témoins assignés ont fait des requêtes afin que leur témoignage soit non-publié, non-diffusé ou entendu à huis clos ou afin de leur éviter simplement de témoigner en vertu des règles de la Charte traitant du principe de non-incrimination (art.7).
Malgré une certaine protection des témoignages rendus devant la Commission, les autorités fiscales pourront s’y référer dans le cadre d’une enquête ou d’une vérification fiscale (ou du moins, s’en inspirer!) portant sur le témoin lui-même ou sur un contribuable mentionné dans le cadre du témoignage. Le contribuable qui est appelé à comparaître, et qu’il sait qu’il aura à révéler certains faits relatifs à ses revenus, aurait alors intérêt à demander à ce qu’il soit entendu à huis clos.
Si un témoignage est entendu devant la Commission, les autorités fiscales auront alors à déterminer le type de vérification fiscale qu’elles veulent entreprendre à l’encontre d’un contribuable puisqu’une vérification civile ne dispose pas des mêmes moyens que lorsque la vérification a pour « objet prédominant » une enquête criminelle visant une infraction d’évasion fiscale. (Arrêt Jarvis)
Lorsqu’un projet de cotisation est émis auprès du contribuable, il devient primordial d’avoir accès au dossier des autorités fiscales afin d’analyser l’ensemble de la preuve et ainsi s’assurer que le projet de cotisation n’est pas basé uniquement sur un aveu.
Qu’en est-il si la cotisation est basée sur des allégations ou des témoignages rendus par des tiers dans le cadre de la Commission? Il est clair que la question de l’immunité doit être écartée puisque la protection est offerte à celui qui témoigne et ne vise pas ceux qui sont « mentionnés » dans le cadre de la Commission. Ces seuls témoignages ne peuvent être considérés comme étant des faits. Ils doivent être validés avec d’autres éléments de preuve puisqu’ils constitueraient du ouï-dire. Au niveau de l’accès à l’information, il se peut que l’information soit difficilement accessible puisqu’il s’agit d’information provenant de tiers et les autorités fiscales pourraient en refuser la communication. Cet élément soulève une problématique pour contester un avis de cotisation, notamment au niveau des oppositions.
En ce qui a trait aux vérifications visant une possible infraction criminelle d’évasion fiscale, il est clair que le fisc devra mener une enquête beaucoup plus poussée et ne pas se fier uniquement à un témoignage fait dans le cadre de la Commission. La Cour suprême a déterminé que lorsqu’une vérification a pour « objet prédominant » d’établir une responsabilité pénale, les autorités fiscales doivent renoncer à leurs pouvoirs civils d’inspection (demande péremptoire par exemple) puisque le critère du simple soupçon qu’une infraction ait été commise n’est pas approprié dans ce cas. Le contribuable dispose d’une protection contre l’auto-incrimination et pour cette raison les moyens d’obtenir la preuve sont différents.
Le fisc pourrait cependant se rabattre sur une vérification administrative s’il n’a pas assez d’éléments dans son dossier.
Étant donné la nature des témoignages rendus à la Commission Charbonneau, les autorités fiscales seront sûrement attentives aux révélations des stratagèmes frauduleux en matière fiscale et verront à entamer les enquêtes nécessaires pour piéger les coupables. D’où l’importance pour les contribuables qui témoignent à la Commission de demander à celle-ci de leur octroyer une certaine protection. Pour ce qui est des enquêtes qui ne pourront être complétées avec une preuve suffisante, il est donc à prévoir que les autorités fiscales se rebattent sur des vérifications administratives. Le fisc devra cependant conjuguer avec un fardeau de preuve probablement plus élevé puisque les faits relatés réfèrent souvent à des périodes qui sont à l’extérieur des délais normaux de cotisation.
* Article paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 19, numéro 2, du mois d’avril 2014
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Julie Gaudreault-Martel.