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En décembre 2022, le nouveau paragraphe 150(1.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »), ayant pour effet d’assujettir une fiducie simple (bare trust) à l’obligation de produire une Déclaration T3, est entré en vigueur. Devant la levée de boucliers généralisée à la fois des contribuables et de la communauté fiscale engendrée par la portée démesurée de cette nouvelle disposition, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a choisi, par fiat administratif, d’exempter les fiducies simples de cette exigence. Il reste maintenant à voir si la ministre des Finances du Canada va emboîter le pas et transformer une dérogation administrative en exception statutaire.

Le contexte

En 2014, les pays membres du G20 ont formulé différents engagements visant à protéger l’intégrité et la transparence du système financier mondial. En 2016, le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (« GAFI ») a constaté que le Canada n’avait pas donné suite à ces engagements quant à la transparence et à la propriété réelles et ultimes des personnes morales juridiques.

En réaction aux constats du GAFI, le Canada a annoncé, dans son Budget de 2017, qu’il allait « mettre en œuvre de solides normes assurant la transparence de la propriété effective et des sociétés afin d’offrir des mesures de protection contre le recyclage des produits de la criminalité, le financement des activités terroristes, l’évasion fiscale et l’évitement fiscal, tout en continuant de faciliter les affaires au Canada ».

C’est ainsi qu’une première série de propositions législatives, publiées en 2018, prévoyait d’étendre l’obligation de produire une Déclaration T3 aux fiducies expresses et, aux fins du droit civil, aux fiducies autres « qu’une fiducie établie par la loi ou par jugement ». Les fiducies visées seraient ainsi tenues, sous peine de payer une pénalité, de déclarer l’identité de leurs bénéficiaires, de leurs constituants et de toute autre personne pouvant les contrôler. Ces propositions législatives n’ont toutefois jamais fait l’objet d’un projet de loi.

Des changements inattendus

Le 4 novembre 2022, le législateur y est en effet plutôt allé d’une nouvelle vague de modifications, cette fois-ci beaucoup plus ambitieuses, qui ont étendu l’obligation de déclaration à toutes les fiducies, y compris à un « arrangement dans le cadre duquel il est raisonnable de considérer qu’une fiducie agit en qualité de mandataire de l’ensemble de ses bénéficiaires pour ce qui est des opérations portant sur ses biens ». Les filets étaient ainsi lancés pour attraper toute la gamme d’arrangements masquant le propriétaire réel de biens.

Au passage, le législateur a toutefois créé une confusion évidente découlant du concept d’« arrangement » qui est une « fiducie ». En effet, il n’est pas clair, suivant ce libellé, s’il faut d’abord identifier une fiducie (qui est alors considérée comme un arrangement) ou s’il faut plutôt d’abord identifier un arrangement (qui est alors considéré comme une fiducie et, le cas échéant, suivant quelles conditions)?

L’ARC a cherché à mettre un terme à cette confusion en confirmant que le nouveau paragraphe 150(1.3) L.I.R. exige de déterminer, de prime abord, s’il existe une fiducie selon le droit privé applicable (AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2024-1006681E5, 27 février 2024). Ce faisant, une nouvelle difficulté a fait surface : puisqu’en droit civil la fiducie simple (ou le bare trust de common law) n’existe pas, au Québec ce type d’arrangement est donc exclu de la portée du nouveau paragraphe 150(1.3) L.I.R. Or, un tel résultat apparaît incompatible avec l’objectif du législateur, soit celui de viser les contrats de prête-nom, étant donné qu’en droit civil :

  • un prête-nom agit comme mandataire dans l’accomplissement d’actes juridiques avec des tiers pour le compte du propriétaire réel du bien, de sorte que par sa nature, le contrat ne crée pas de fiducie (Victuni Ministre du Revenu du Québec, [1980] 1 R.C.S. 580); et
  • à tout événement, en l’absence d’une clause spécifique à cet effet, le contrat de prête-nom ne transfère pas de biens entre les parties, s’agissant de la première condition nécessaire à l’établissement d’une fiducie selon l’article 1260 du Code civil du Québec (voir Banque de Nouvelle-Écosse Thibault, 2004 CSC 29, par. 31).

Autrement dit, suivant les principes applicables en droit civil, le contrat de prête-nom n’est pas un arrangement visé par le nouveau paragraphe 150(1.3) L.I.R. (bien qu’en common law il soit accepté qu’une même entité puisse à la fois être qualifiée de mandat et de fiducie simple : voir Canada c. Cheema, 2018 CAF 45, par. 59). En l’absence d’amendements législatifs, il incombera aux tribunaux de démêler cet imbroglio statutaire. En particulier, il sera intéressant de voir si, par un exercice d’interprétation bijuridique, l’application du droit civil sera influencée par la common law pour assurer l’uniformité fédérale dans l’application du nouveau paragraphe 150(1.3) L.I.R.

Le recul de la onzième heure

Au-delà de ces difficultés d’interprétation évidentes, un problème tout aussi important demeure : la vaste portée du nouveau paragraphe 150(1.3) L.I.R. fait peser sur les épaules des Canadiennes et des Canadiens un fardeau beaucoup trop important. En effet, la disposition a pour effet de soumettre à l’obligation de produire une Déclaration T3 une multitude d’arrangements simples et courants, souvent utilisés pour faciliter l’administration de biens au sein d’une famille, et qui sont complètement étrangers à l’objectif initial du législateur qui était de combattre l’évitement fiscal ainsi que l’évasion fiscale.

Le 28 mars 2024, l’ARC a finalement reconnu « que les nouvelles exigences de déclaration pour les simples fiducies ont eu des répercussions imprévues sur les Canadiennes et [les] Canadiens ». Quelques jours avant la date limite du dépôt de la déclaration pour les fiducies simples, l’ARC a publié un communiqué de presse confirmant qu’elle n’exigera pas que les fiducies simples produisent une Déclaration T3 pour l’année d’imposition 2023, à moins que l’ARC n’en fasse directement la demande.

Le communiqué de presse n’est qu’une esquive de la problématique engendrée par les nouvelles règles de déclaration des fiducies, qui demeurent en vigueur et qui ont force de loi. Il reste à espérer que le législateur apportera des changements dans les plus brefs délais pour éviter cette incertitude préjudiciable aux contribuables soucieux de se conformer aux lois. Dans l’état actuel des choses, quoique l’adoption de règles favorisant la transparence soit louable, elle ne peut s’imposer au coût d’une disposition qui ratisse beaucoup trop large et qui est accentuée par une nébulosité accrue des textes statutaires qui l’encadrent.

Par Cédric Primeau, avocat, Davies Ward Phillips & Vineberg s.e.n.c.r.l., s.r.l., CPrimeau@dwpv.com

Ce texte a été publié initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 29, no 2 (Été 2024).