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La création de fiducies est régulièrement utilisée dans un contexte de planification fiscale et successorale afin de bénéficier de certains avantages fiscaux et pour la protection de patrimoine. Depuis les changements législatifs apportés à l’imposition d’une fiducie testamentaire, ainsi que ceux relatifs à l’impôt sur le revenu fractionné, bien peu de fiducies peuvent encore se prévaloir d’une imposition à taux progressifs ou favoriser le fractionnement du revenu parmi ses bénéficiaires.

Malgré ces changements, certains choix fiscaux et certaines fiducies peuvent encore bénéficier du régime d’imposition à taux progressifs lorsqu’une personne ayant un handicap physique ou mental en est bénéficiaire, ce qui permet aux proches des familles visées d’avoir une planification fiscale et successorale assurant la sécurité financière de la personne handicapée, tout en permettant à cette dernière de conserver l’accès aux prestations sociales des divers paliers de gouvernement.

Le présent texte vise à faire un survol des caractéristiques du choix de « bénéficiaire privilégié » ainsi que de la fiducie de type « Henson ». Ces choix peuvent être utilisés pour différentes stratégies de planification fiscale et successorale de transfert de patrimoine en faveur d’une personne handicapée.

Choix conjoint du bénéficiaire privilégié

Le paragraphe 104(14) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») permet à une fiducie et à son bénéficiaire privilégié de faire un choix conjoint afin qu’une partie ou la totalité du revenu accumulé (par. 108(1) « revenu accumulé » L.I.R.) de la fiducie soit incluse dans le revenu du bénéficiaire privilégié sans que la fiducie ait à verser le revenu à ce dernier. Ce choix permet à la fiducie de se prévaloir d’une déduction dans le calcul de son revenu imposable (par. 104(12) et al. 104(6)b) L.I.R.) tout en conservant le revenu accumulé. Le montant déterminé de revenu accumulé (par. 104(15) « montant attribuable » L.I.R.) réputé attribué par la fiducie au bénéficiaire privilégié est imposé aux taux progressifs de ce dernier plutôt qu’au taux marginal maximum de 53,31 % de la fiducie. Toutefois, si ladite fiducie se qualifie de fiducie admissible pour personne handicapée (« FAPH ») (par. 122(3) L.I.R.), elle pourra également bénéficier des taux d’imposition progressifs.

Les termes « bénéficiaire privilégié », « auteur » et « disposant » sont définis au paragraphe 108(1) L.I.R. et sont interdépendants les uns des autres. Le terme « auteur » s’applique aussi bien à la création d’une fiducie testamentaire qu’à celle d’une fiducie entre vifs. L’auteur d’une fiducie testamentaire (par. 108(1) « auteur ou disposant » L.I.R.) renvoie au particulier décédé à l’origine de la fiducie, alors que l’auteur d’une fiducie entre vifs renvoie à un particulier unique (auteur unique) ou à un particulier et son conjoint (auteur commun).

L’auteur d’une fiducie entre vifs conserve son statut aussi longtemps que la juste valeur marchande (« JVM ») des biens transférés à la fiducie par ce dernier demeure plus élevée que la JVM des biens transférés à la fiducie par une autre personne que l’auteur. La JVM d’une contribution est déterminée au moment où elle est effectuée, ce qui implique un suivi rigoureux des contributions faites à la fiducie afin de s’assurer que l’auteur d’une fiducie entre vifs ne perde pas son statut, ce qui empêcherait de bénéficier du choix conjoint. Néanmoins, la perte du statut d’auteur peut être regagnée si l’auteur effectue des contributions supplémentaires à la fiducie qui excèdent la JVM des contributions faites par des tiers. Il est à noter que la JVM d’une contribution est calculée au moment où elle est réalisée, ce qui permet aux fiduciaires de faire un calcul cumulatif de la JVM des contributions d’une personne sans avoir à tenir compte d’une plus-value ou d’une moins-value du ou des biens transférés.

La notion de « bénéficiaire privilégié » d’une fiducie fait référence à un particulier résidant au Canada, bénéficiaire du revenu ou du capital d’une fiducie dont l’auteur est l’une des personnes suivantes :

  • le particulier lui-même dans le cas d’une fiducie entre vifs pour soi-même visée au sous-alinéa 73(1.01)b)(ii) L.I.R.;
  • le conjoint au sens fiscal ou l’ex-conjoint du particulier; ou
  • l’arrière-grand-parent, le grand-parent, le parent du particulier ou le conjoint d’une de ces personnes.

De plus, au moment du choix, le particulier bénéficiaire de la fiducie doit faire partie de l’une ou l’autre des deux catégories suivantes :

  • un particulier mineur ou majeur qui est admissible pour l’année du choix au crédit d’impôt pour personne handicapée (par. 118.3(1) L.I.R.); ou
  • un particulier majeur qui est une personne à charge au sens du paragraphe 118(6) L.I.R. à cause d’une déficience mentale ou physique et dont le revenu n’excède pas 15 705 $ (excluant le montant attribuable visé par le choix du paragraphe 104(14) L.I.R.) pour l’année du choix.

La « personne à charge » définie au paragraphe 118(6) L.I.R. est la personne pour laquelle un particulier subvient en tout temps aux besoins de cette personne. Une trame factuelle doit démontrer que la « personne à charge » est totalement dépendante financièrement du particulier pour combler une partie de ses besoins essentiels de la vie (interprétation technique 2012-0436431E5) (nourriture, logement et habillement) et que ses revenus d’aide provinciale ne sont pas suffisants (interprétation technique 2022-0947811I7). La « personne à charge » doit être, par rapport au particulier ou son conjoint (interprétation technique 2022-0947811I7), son enfant ou petit-enfant, son père ou sa mère, son grand-père ou sa grand-mère, son oncle ou sa tante, son frère ou sa sœur, son neveu ou sa nièce.

Le « revenu accumulé » d’une fiducie est défini au paragraphe 108(1) L.I.R. comme étant le revenu pour une année d’imposition avant toute déduction prévue au paragraphe 104(12) L.I.R. pour la fiducie. La notion de « revenu accumulé » ne tient pas compte de tout revenu résultant d’une disposition présumée (par. 104(4), 104(5), 104(5.2) et 107(4) L.I.R.) pour une fiducie exclusive en faveur du conjoint ou une fiducie pour soi-même, ce qui signifie que le gain en capital au moment du décès du bénéficiaire de ladite fiducie ne pourra pas être inclus dans le choix de bénéficiaire privilégié. De plus, le « revenu accumulé » est calculé en tenant pour acquis que la fiducie s’est prévalue du montant maximal déductible en vertu du paragraphe 104(6) L.I.R., ce qui permet aux fiduciaires d’une fiducie discrétionnaire de recaractériser une partie ou la totalité d’une somme devenue payable (par. 104(24) L.I.R.) en « revenu accumulé » conformément à la discrétion accordée par l’alinéa 104(6)b) L.I.R.

Il est à noter qu’un « montant attribuable » défini au paragraphe 104(15) L.I.R. et attribué lors du choix du paragraphe 104(14) L.I.R. n’est pas considéré être un revenu fractionné. Cependant, si une partie ou la totalité du montant attribuable est un dividende visé par la définition de « revenu fractionné » (par. 120.4(1) et s.-al. 120.4(1)a)(i) L.I.R.) et qu’il est également visé par le choix du paragraphe 104(19) L.I.R. (interprétation technique 2019-0798501C6), l’impôt sur le revenu fractionné s’appliquera au bénéficiaire privilégié. Toutefois, les autorités fiscales ont indiqué que l’impôt sur le revenu fractionné ne s’appliquerait pas à un bénéficiaire privilégié lorsque le montant de dividende attribué est inscrit à la case 26 « autres revenus » du Formulaire T3 pour une année d’imposition (interprétation technique 2019-0798511C6).

L’exercice du choix de bénéficiaire privilégié doit se faire annuellement par la présentation d’un écrit faisant état du montant attribuable au bénéficiaire privilégié. Il doit aussi porter la signature du fiduciaire autorisé à faire le choix, ainsi que du bénéficiaire privilégié (par. 2800(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu (« R.I.R. »)). Le délai de production de l’écrit est le même que le délai de production de la déclaration de revenus d’une fiducie (Formulaire T3), soit les 90 jours suivant la fin d’année d’imposition de la fiducie (par. 2800(2) R.I.R.).

Fiducie de type « Henson »

Personnes handicapées – Le soutien financier de l’État

Au Québec, différents programmes offrent un soutien économique aux personnes handicapées en vertu du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles (« Règlement ») adopté en vertu de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles (« Loi »). Par exemple, le programme de solidarité sociale accorde une aide financière de dernier recours aux personnes qui présentent des contraintes sévères à l’emploi (art. 67 de la Loi ).

Pour bénéficier du programme, la personne doit démontrer, par la production d’un rapport médical, que son état physique ou mental est, de façon significative, déficient ou altéré pour une durée vraisemblablement permanente ou indéfinie et que, pour cette raison et compte tenu de ses caractéristiques socioprofessionnelles, elle présente des contraintes sévères à lemploi (art. 70 de la Loi ).

La prestation prend la forme d’une allocation de solidarité. Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2024, les personnes qui ont des contraintes à l’emploi sévères et persistantes ont automatiquement accès au programme de revenu de base si elles reçoivent des prestations dans le cadre du programme de solidarité sociale et qu’elles présentent des contraintes sévères à l’emploi pendant au moins 66 mois au cours des 72 mois précédents.

Pour calculer le revenu de base, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec (« Ministère ») tient compte des revenus gagnés par le prestataire. Après une exclusion annuelle de base de 15 276 $ par année, chaque dollar gagné réduit la prestation de base de 0,55 $.

Par ailleurs, le Ministère tient compte des sommes d’argent (avoirs liquides) détenues par le prestataire. Après un seuil exempté de 20 000 $, chaque dollar d’avoir liquide diminue la prestation du mois suivant d’un dollar… C’est ici que le bât blesse. En effet, les montants versés par une fiducie au bénéfice d’une personne recevant des prestations dans le cadre du programme de solidarité sociale sont considérés comme un « avoir liquide » aux fins de la Loi (art. 128 du Règlement). Néanmoins, il existe certaines exemptions permettant d’éviter d’inclure des sommes à l’avoir liquide d’une personne, notamment en ce qui concerne les montants transmis par succession, et ce, jusqu’à un certain seuil prévu au Règlement (art. 164 et 164.1 du Règlement).

Comment améliorer le niveau vie d’une personne vivant des contraintes sévères à l’emploi sans lui faire perdre son droit aux prestations payées par l’État?

La fiducie de type « Henson »

Nos voisins ontariens ont trouvé une solution dans les années 1980 avec la fiducie de type « Henson ». La fiducie de type « Henson » tire son nom de l’affaire Director of Income Maintenance Branch of Ministry of Community and Social Services c. Henson, 1989 CarswellOnt 542 (C.A. Ont.). Selon le droit de l’Ontario, il s’agit d’une fiducie discrétionnaire, entre vifs ou testamentaire, dont l’objet est de voir au soutien d’une personne atteinte de déficience intellectuelle ou physique. Le versement du revenu et du capital doit dépendre entièrement de la volonté des fiduciaires.

Au Québec, les fiducies sont encadrées par le Code civil du Québec, où deux articles sont particulièrement pertinents :

« 1261. Le patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie, constitue un patrimoine d’affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d’entre eux n’a de droit réel.

1284. Pendant la durée de la fiducie, le bénéficiaire a le droit dexiger, suivant lacte constitutif, soit la prestation dun avantage qui lui est accordé, soit le paiement des fruits et revenus et du capital ou de lun deux seulement. » (Notre soulignement)

Pendant plusieurs années, les tribunaux ont systématiquement considéré que les sommes versées par une fiducie au bénéfice d’une personne handicapée devaient être incluses à titre d’« avoir liquide » pour cette dernière (voir la liste des décisions en fin de texte). En effet, dans l’affaire M.M. c. Québec (Solidarité sociale), 2003 CanLII 57838 (QC TAQ), le Tribunal, faisant siens les mots de la Commission des affaires sociales, indique :

« […] il est impensable en créant des fiducies testamentaires en vue de soustraire des sommes, autrement admissibles, et comptabilisables en vertu de la Loi sur la sécurité du revenu, au motif que les montants placés en fiducie appartiennent au fiduciaire et non au prestataire de la sécurité du revenu ».

C’est en 2014, grâce à l’affaire Québec (Curateur public) c. A.N. (Succession de), 2014 QCCS 616 (« A.N. (Succession de) »), qu’il a finalement été possible d’importer la fiducie de type « Henson » au Québec. Dans cette affaire, l’enfant handicapé est âgé de 55 ans et bénéficie de prestations d’aide sociale depuis l’âge de 22 ans, puisqu’il souffre d’une maladie grave s’apparentant à l’autisme. Sa mère décède en 2004 et le désigne comme bénéficiaire d’une fiducie discrétionnaire créée par son testament.

Le testament prévoit que le patrimoine de la testatrice sera transféré en fiducie :

« 4(b) To provide out of the revenue of my Estate and from the capital thereof should my said Executors and Trustees in their sole discretion deem it advisable, such sums as in their discretion they deem necessary, for any additional maintenance of my son, E… N…, during his lifetime, including additional provision for education, medical care, residence, companion and such other expenses as my Executor and Trustee shall deem reasonable. » (Notre soulignement)

Par ailleurs, le testament prévoit qu’au décès de l’enfant, le capital de la fiducie sera distribué à d’autres bénéficiaires.

Après avoir procédé à une intéressante analyse du testament et du droit applicable, le Tribunal conclut que l’article 4(b) du testament doit être interprété comme signifiant que le fiduciaire a une discrétion de verser à l’enfant, sa vie durant et pour son entretien, des montants additionnels à ceux qu’il est en droit de recevoir en vertu de la Loi.

Malgré ce courant jurisprudentiel québécois et les apprentissages qu’on a pu en tirer, une décision récente nous démontre qu’il faut porter une attention très particulière à la manière dont sont décrits les droits du bénéficiaire handicapé. Dans l’affaire Curateur Public, Tuteur A.B. c. Québec, 2023 QCTAQ 08364, rendue le 21 août 2023, le Tribunal a écarté l’affaire A.N. (Succession de) et a forcé les fiduciaires d’une fiducie à obtenir un soutien financier de cette dernière avant de solliciter l’aide financière de dernier recours.

En conclusion, la fiducie de type « Henson » fonctionne au Québec, mais de manière limitée. Il faudra porter une attention particulière à la rédaction du testament fiduciaire ou de la fiducie entre vifs et respecter le cadre suivant :

  • l’enfant handicapé ne doit avoir aucun « droit » au capital et au revenu au sens de l’article 1284 C.c.Q.;
  • le testament ne doit pas prévoir de remise fixe et déterminée à l’enfant;
  • la discrétion des fiduciaires doit être complète;
  • la fiducie ne peut servir qu’à apporter une aide financière additionnelle à l’enfant pour complémenter les sommes remises en vertu de la Loi;
  • le capital doit être remis à des tiers au décès de l’

Conclusion

Finalement, plusieurs pistes de solution peuvent être envisagées par les parents d’un enfant handicapé pour lui offrir un soutien financier par le biais d’une fiducie. La fiscalité permet d’optimiser le montant net d’impôts dont bénéficiera l’enfant. Une fiducie de type « Henson » est utile si le parent ne dispose pas de suffisamment de capital pour lui permettre de créer un patrimoine suffisant pour assurer un niveau de vie décent à son enfant handicapé. Il serait également possible d’envisager la mise en place d’une fiducie de prestation à vie. Cependant, il n’est pas certain qu’il soit possible de cumuler les avantages d’une fiducie de type « Henson » avec les avantages d’une FAPH ou un choix de « bénéficiaire privilégié ». La prudence est requise lors de l’analyse d’un choix afin de s’assurer que les caractéristiques de la fiducie de type « Henson » soient respectées.

Liste de décisions québécoises traitant de la fiducie de type « Henson », autres que celles déjà citées dans le texte :

  • L. et Ministre de la Solidarité Sociale, 1999 CanLII 29138 (QC TAQ);
  • D. c. Québec (Emploi et Solidarité sociale), 2006 CanLII 75771 (QC TAQ);
  • M. c. Québec (Emploi et Solidarité sociale), 2007 CanLII 26354 (QC TAQ);
  • M. c. Québec (Emploi et Solidarité sociale), 2012 CanLII 22730 (QC TAQ).

Thierry L. Martel, avocat, M. Fisc., TEP, Martel Cantin, Avocats, ThierryMartel@martelcantin.ca

et Marc Gendron, Adm.A., Pl. Fin., M. Fisc., Cain Lamarre s.e.n.c.r.l., marc.gendron@cainlamarre.ca

 

Ce texte a été publié initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 29, no 1 (Printemps 2024).