Homme japonais calculant des factures financières à la maison.
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En tant qu’entrepreneur, vous êtes conscient que le droit fiscal peut être à la fois un atout et un obstacle. Malheureusement, vous vous trouvez désormais dans une situation difficile, alors que vous traversez un divorce. Cette étape délicate peut avoir des implications fiscales importantes à prendre en compte.

Bien que nous ne puissions pas alléger émotionnellement le processus de séparation, il existe néanmoins des options de planification fiscale à considérer. Des solutions peuvent être envisagées pour optimiser cette transition sur le plan financier.

Pendant la vie conjugale, si votre conjoint(e) était actionnaire, mais qu’il ne participait pas activement dans l’entreprise, il n’était pas avantageux fiscalement de lui verser des dividendes. En effet, un régime complexe appelé l’impôt sur le revenu fractionné (« IRF ») vise précisément à empêcher un entrepreneur (actionnaire) de fractionner son revenu tiré d’une entreprise active (sa société par actions) afin de diminuer le fardeau fiscal total de sa famille en utilisant l’assiette fiscale d’un membre de la famille (ledit conjoint) non impliqué dans l’entreprise.

Si, pendant la vie conjugale, votre conjoint avait reçu un dividende, alors cet impôt aurait trouvé application. Dans un tel cas, ce conjoint aurait eu à payer l’impôt sur ce dividende au taux marginal d’imposition le plus élevé, soit 27,56 % au Canada (plus l’impôt provincial de 25,75 % au Québec). Vous l’aurez compris, verser un dividende en faveur d’un conjoint non impliqué peut être particulièrement préjudiciable dans une optique d’optimisation fiscale. Cela est-il vrai en contexte de divorce ou de séparation ? Eh bien non !

Il est vrai qu’en matière d’amour, certaines choses ne peuvent pas être arrangées, en revanche, la gestion d’un divorce offre plusieurs possibilités. Cupidon n’a pas son mot à dire dans nos lois fiscales et il existe des stratégies à envisager pour naviguer à travers cette période.

Sous réserve d’analyse fiscale des faits propres à chaque dossier, une planification envisageable est de transférer au conjoint bénéficiaire de la pension alimentaire des actions à dividendes discrétionnaires, sans droit de vote et sans participation au capital de l’entreprise, permettant ainsi le versement de dividendes pour couvrir le paiement de la pension alimentaire.

Plus précisément, il y a une exception à l’IRF visant les revenus tirés d’un bien transféré dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation. Sans cette exception et sous réserve d’une analyse fiscale approfondie voulant qu’aucune autre exception ne soit applicable, le conjoint bénéficiaire qui reçoit des dividendes à titre de paiement pour la pension alimentaire serait imposé au taux marginal le plus élevé dès le premier dollar reçu.

Pour éviter l’application de l’IRF, les trois conditions suivantes doivent être remplies :

  • Les actions à dividendes discrétionnaires doivent avoir été transférées entre époux ou conjoint ;
  • Le transfert a été effectué en vertu d’une ordonnance ou d’un jugement d’un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit de séparation ; et
  • Au moment du transfert, les époux ou conjoints vivaient séparément par suite de la rupture de leur mariage ou de l’union de fait.

Si un transfert ne satisfait pas à toutes ces conditions, aucune exclusion ne s’appliquera.

En plus des trois conditions précédemment mentionnées, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a récemment ajouté une nouvelle condition, à savoir que les actions émises ne doivent pas faire l’objet de transactions. Ainsi, la catégorie d’actions visée par le transfert entre conjoints ou par une nouvelle émission ne pourra pas être modifiée, sous peine de déclencher l’application de l’IRF. Cette nouvelle condition découle de l’interprétation technique 2024-1005811C6 de l’ARC.

Dans le cadre d’une séparation, l’époux A a transféré 20 % des actions ordinaires à l’époux B. À la suite d’une réorganisation, ces actions ordinaires ont été converties en actions privilégiées. L’ARC a conclu que, bien que les actions ordinaires n’aient pas été assujetties à l’IRF, les actions converties sont considérées comme des biens substitués qui n’ont pas fait l’objet d’un transfert effectué en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit de séparation. En conséquence, les revenus générés par les actions converties sont assujettis à l’IRF.

Cette interprétation présente un défi pratique pour les contribuables qui, pour des raisons valables, souhaiteraient procéder à une réorganisation d’entreprise.

Si la négociation échoue concernant le versement du dividende par la compagnie, d’autres stratégies fiscales peuvent être explorées pour faciliter le paiement de la pension alimentaire. Parmi ces options, l’utilisation d’une fiducie est une approche à envisager.

En créant une fiducie, le débiteur (souvent l’ex-conjoint) transfère une partie de ses actifs dans une structure qui sera administrée indépendamment. Cette fiducie peut être spécialement configurée pour générer des revenus destinés au paiement de la pension alimentaire, assurant ainsi une sécurité financière pour la partie qui en bénéficie. C’est par l’utilisation du paragraphe 73(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») que le transfert sera possible si les deux ex-conjoints sont résidents du Canada au moment du transfert et que le transfert constitue un transfert admissible. Le transfert devra être réalisé avant que le divorce ne soit prononcé.

Mécaniquement, l’impôt personnel suivra cette logique. Le conjoint payeur ne doit pas demander de déduction pour les montants de pension alimentaire versés. Le conjoint bénéficiaire est généralement tenu d’inclure les distributions annuelles du revenu de la fiducie dans son revenu imposable personnel. Enfin, la fiducie peut généralement bénéficier d’une déduction pour ces distributions de revenu.

De plus, une fiducie bien structurée peut également offrir certains avantages fiscaux, tout en minimisant les risques de non-paiement. À ce sujet, Laidlaw et Mah ont publié en 2010 un article intitulé « La fiducie après le mariage pour s’acquitter de ses obligations alimentaires », dans la Revue canadienne de fiscalité. L’idée principale du texte est d’actualité et sa lecture mérite le temps investi si vous souhaitez mettre en place ce type de planification dans le cadre d’un divorce. Nous nous permettons de vous réitérer l’une des mises en garde énoncées dans ce texte. L’auteur du transfert pourrait être assujetti à une forme d’attribution en vertu du paragraphe 75(2) L.I.R., évitable par un nombre suffisant de fiduciaires.

Le paiement de la pension alimentaire par le biais d’une société ou d’une fiducie ne sont que deux options parmi d’autres. L’essentiel est de se rappeler que même après la fin d’une relation, des opportunités fiscales peuvent se présenter. Comme le dit l’adage, dans la vie, il y a deux certitudes : la mort et les impôts. Et cette fois, ce sont les impôts qui pourraient bien offrir un petit coup de pouce pour naviguer à travers la fin de l’union. Finalement, ce mariage avec le fisc, c’est vraiment « pour le meilleur et pour le pire » !

Par Marjorie Bergeron, Avocate, LL.M. fisc., D. Adm. (3e cycle), Spiegel Ryan, MBergeron@spiegelryan.com

Cet article a initialement été publié sur le site Internet de Spiegel Sohmer (maintenant Spiegel Ryan) par Marjorie Bergeron et Samuel-Isaïsa Jobin-White.

Cet article a été publié initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 29, no 4 (Hiver 2024).