Le dépôt du projet de loi 141 a eu le mérite de permettre à ceux qui s’interrogeaient sur les rumeurs de réorganisation du secteur financier et notamment sur le sort réservé à la Chambre de la sécurité financière (CSF) et à la Chambre de l’assurance de dommages (CHAD), d’obtenir une réponse claire. Plusieurs commentaires, à juste titre, ont souligné l’ampleur de la réforme proposée qui crée un tout nouveau régime.
La lecture de ce projet de loi permet d’apprécier l’approche de vision globale et de cohérence recherchées et explique les délais entourant une pièce législative de grande qualité. Cela ne peut que favoriser les commentaires. J’aimerais me concentrer sur la question des organismes d’autoréglementation du secteur des valeurs mobilières.
Un peu d’histoire
La structure d’encadrement que constituent les organismes d’autoréglementation (OAR) a été pensée et créée par l’industrie elle-même : à titre d’exemple, l’Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières (IDA) en 1917. L’objectif est et a toujours été pour le secteur de se doter de hauts standards de fonctionnement au bénéfice des clients et pour sa propre crédibilité.
Les diverses lois sur les valeurs mobilières ont par la suite intégré cette structure en conférant un pouvoir de supervision sur elle aux « autorités » constituées par ces lois telle l’Autorité des marchés financiers (AMF), ce qui constitue une sorte de « check and balance » pour la prise en compte de l’intérêt public.
Pourquoi la structure des OAR est-elle bénéfique? Et pourquoi j’y crois encore
La réponse est paradoxale. D’une part, à cause de la nature de son mandat axé sur les opérations quotidiennes et de première ligne mais, d’autre part, à cause de ses structures de fonctionnement qui intègrent des représentants du secteur dans divers aspects de son fonctionnement.
Pour certains, cette proximité ne constitue qu’une source de conflits d’intérêts qu’il faut éviter. Pour moi, qui ai œuvré à la fois au niveau du « régulateur d’État » et d’un OAR, le principal avantage de cette proximité c’est la connaissance « terrain » des opérations dont celles qui touchent directement le client.
Autre avantage, la structure des OAR permet de bénéficier de l’expertise de représentants de l’industrie pour alimenter la réflexion de l’OAR dans les diverses étapes de cheminement d’un projet et d’y intégrer la réalité « terrain » ou d’apprécier où se situent les risques véritables pour bien cibler son action.
Cette structure d’OAR peut aussi appuyer l’Autorité de réglementation ou le législateur en contribuant à comprendre la nature d’un problème et à rechercher des solutions. Cela est souvent arrivé au cours des quinze dernières années.
Et l’intérêt du client?
Il est facile de dire que l’industrie ne se positionne qu’en fonction de son seul intérêt. La réalité est plus nuancée. Bien sûr, il y a une réalité d’affaires. Il y a également une constante recherche de qualité. La primauté de l’intérêt du client n’a pas toujours été réglementée comme maintenant mais elle n’en a pas moins été une réalité.
La protection des épargnants dans cette structure d’OAR est renforcée par le pouvoir d’approbation de leurs règles et le contrôle de leurs activités par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Le projet de loi 141 donne à l’AMF un appui supplémentaire avec le Comité des consommateurs.
L’appréciation des pairs
Ce point est également ressorti des commentaires. Les exemples qui reviennent le plus souvent sont dans l’application du processus disciplinaire et le projet de loi 141 leur donne une réponse qui a son mérite.
Selon mon expérience, par exemple, sur les questions de droit de pratique, les réalités amenées par les représentants de l’industrie dans la structure de comités de l’OAR, ont souvent ciblé des manières de protéger le client ou d’encadrer les représentants ou la firme elle-même avec des moyens concrets et contraignants parce que découlant de leur connaissance pointue du terrain et donc adaptés aux diverses réalités opérationnelles.
Une cohérence en même temps qu’une possible absence
L’un des principaux objectifs du projet de loi 141 est la création d’un guichet unique qui élimine la confusion chez l’épargnant.
L’intégration de la CSF et de la CHAD reprend également un objectif d’intégration de structures de 2002 avec la Loi sur la création de l’Agence nationale d’encadrement du secteur financier qui a résulté, pour elles, en un statut incomplet d’OAR qu’elles ont réclamé depuis.
Cette intégration (et il peut y avoir bien des façons de la faire) crée certes un guichet unique mais n’en amène pas moins un accroissent de mandats de l’AMF sans que ne soit posée la question de sa structure de gouvernance: l’actualité renforce cette question. (1).
(1) Yvan Allaire, Une crise de confiance dans les institutions québécoises?, La Presse plus, samedi 11 novembre 2017.