La diversification à l’échelle mondiale et la propension des investisseurs à afficher une préférence domestique sont des sujets qui sont rarement abordés du point de vue du pays d’origine de l’investisseur. Le présent document traite de la non-équivalence des devises et explique que tous les marchés financiers domestiques n’offrent pas un niveau équivalent de diversification. Aussi, la détermination du degré d’exposition aux autres devises et à d’autres marchés est, à l’instar de toute autre décision relative à la gestion des risques, influencée par la perspective de l’investisseur quant à la devise.
Une question de perspective et de structure économique
En octobre 2008, la valeur des titres de sociétés à forte capitalisation a diminué d’environ 17,5 % aux États-Unis et de 16,9 % au Canada. Au cours de cette même période, le dollar canadien a perdu 12,9 % de sa valeur par rapport au dollar américain, alors que le dollar américain s’est apprécié de 14,8 % par rapport au dollar canadien. Selon toute vraisemblance, un investisseur canadien qui a investi sur le marché américain des actions entièrement exposé au dollar américain a généré une perte de 5,3 % seulement [(1- 0,175)*(1+0,148)-1], alors qu’un investisseur américain qui a investi sur le marché canadien des actions a subi une perte de 27,6 % [(1- 0,169)*(1- 0,129)-1]. Bien que les marchés américain et canadien des actions aient obtenu des résultats similaires lorsqu’exprimés dans leur devise respective, l’écart de rendement calculé dans la devise propre à l’investisseur a atteint 22,3 % ! Bien sûr, l’investisseur américain aurait pu décider de couvrir 100 % du risque de change relatif au dollar canadien (ou d’acheter un produit offrant une telle couverture). Dans pareil cas, son rendement aurait avoisiné les -16,9 %. Quant à l’investisseur canadien, il aurait été préférable pour lui de ne pas couvrir le risque du tout. Mais, comment arriver à prendre une telle décision ?
La valeur des devises est manifestement difficile à prévoir. Plusieurs éléments influencent les taux de change. La demande relative de devises est influencée par la tendance à long terme vers la parité du pouvoir d’achat (le ratio du coût d’un panier de biens et services dans un pays par rapport au coût du même panier dans un autre pays), l’écart
du potentiel de croissance économique, les taux d’intérêt, l’inflation, et l’évolution du coût des matières premières (dans les pays où les matières premières constituent le principal moteur économique), le climat politique et social, etc. C’est compliqué ! Les devises peuvent cependant être classées en fonction de leur réaction, en moyenne et à long terme, aux changements de croissance mondiale, et à l’incertitude générale. Certaines devises sont nettement procycliques alors que d’autres sont considérées comme contracycliques.
• Les devises contracycliques ont tendance à s’apprécier en périodes difficiles et à se déprécier en périodes plus prospères. Les pays dont la devise est contracyclique possèdent de vastes infrastructures économiques, des systèmes financiers sécuritaires et diversifiés, une gestion financière raisonnablement saine et un climat social et politique relativement stable. Leurs devises servent d’avoirs de réserve et d’actifs sûrs. Le dollar américain est habituellement considéré comme la devise contracyclique dominante.
• Les devises procycliques ont tendance à se déprécier en périodes difficiles et à s’apprécier en périodes plus prospères. L’économie des pays dont la devise est procyclique repose habituellement sur quelques secteurs. Les devises de ces pays servent très peu d’avoirs de réserve. Les dollars canadien et australien sont des exemples de devises procycliques. Le syndrome du « mal hollandais » est une expression souvent utilisée pour décrire la situation d’un pays qui a une devise qui s’apprécie considérablement et un secteur manufacturier qui périclite pendant qu’un de ses secteurs de ressources (comme celui de l’énergie)
prospère. Une telle transformation pourrait mener à une économie moins diversifiée et davantage procyclique.
L’incidence du caractère procyclique et contracyclique d’une devise sur le risque de change
Il n’est pas toujours aisé de classer une devise en tant que devise contracyclique ou procyclique. Une telle caractéristique joue par contre un rôle dans la détermination du niveau approprié d’exposition aux actifs étrangers (plus particulièrement aux actions) et aux autres devises et, par conséquent, influe sur la décision de couvrir ou non le risque de change. Bien qu’il n’existe aucune réponse précise quant au degré d’exposition au risque de change ou au degré de couverture d’un tel risque pour un investisseur, certaines règles subsistent néanmoins.
L’équation suivante indique le degré de couverture du risque de change (h) relativement à un actif étranger donné (P) qui minimise la volatilité de cet actif exprimée selon la devise du pays de l’investisseur. L’équation semble complexe, certes, mais les conclusions mentionnées ci-dessous fournissent certains éclaircissements. Les unités sigma (P) et sigma (ER) représente respectivement la volatilité d’un actif (mesurée dans la devise locale de cet actif étranger) et celle du taux de change (unité de la devise du pays de l’investisseur divisée par l’unité de la devise étrangère), et l’unité p (P,ER) représente la corrélation entre les deux unités précédentes.
Il est possible de tirer les conclusions suivantes au moyen de cette équation :
• Lorsqu’aucune tendance claire ne se dégage du comportement de la devise par rapport à celui de l’actif financier (la corrélation entre la valeur de l’actif et celle de la devise est presque nulle), une couverture totale (ou l’acquisition d’un produit offrant un programme de couverture) est recommandée;
• Lorsque la devise étrangère a tendance à s’apprécier (c’est-à-dire que la devise du pays de l’investisseur se déprécie) pendant que les actifs obtiennent de mauvais résultats, signifiant ainsi que la corrélation est inférieure à zéro et que la devise de l’investisseur est procyclique, une couverture minimale, voire inexistante, est recommandée;
• Lorsque la devise étrangère a tendance à se déprécier (c’est-à-dire que la devise du pays de l’investisseur s’apprécie) pendant que les actifs obtiennent de mauvais résultats, signifiant ainsi que la corrélation est supérieure à zéro et que la devise de l’investisseur est contracyclique, un ratio de couverture élevé, voire supérieur à un, est recommandé bien qu’il soit difficile de mettre en oeuvre une politique en ce sens dans la plupart des organisations;
• Lorsque la volatilité du portefeuille est beaucoup plus grande que la volatilité du taux de change, l’incidence de la corrélation sur le ratio de couverture est amplifiée.
En somme, il est permis de conclure que l’exposition aux actions internationales des investisseurs dont la devise est procyclique ne requiert pas une couverture importante (l’investisseur pourrait même en être dispensé), alors que l’exposition aux actions internationales des investisseurs dont la devise est contracyclique requiert une couverture importante. La figure suivante illustre la relation entre la volatilité d’un portefeuille et le degré de couverture du risque de change du point de vue d’un investisseur américain ou d’un investisseur canadien, dans différents marchés. Les résultats reposent sur des données recueillies pendant la période allant de 1991 à 2014.
L’économie américaine est la plus diversifiée du monde. Les investisseurs américains ont accès à une économie ayant une exposition équilibrée à la plupart des secteurs et sous-secteurs et à un large éventail de sociétés dans chacun des secteurs, et ils savent que la devise américaine tend à s’apprécier en périodes difficiles. L’économie canadienne est, quant à elle, moins diversifiée, et le secteur financier, le secteur énergétique et le secteur des matériaux dominent. Les investisseurs canadiens savent que la devise canadienne tend, quant à elle, à se déprécier en périodes difficiles. Somme toute, les investisseurs canadiens ont davantage besoin d’une exposition aux marchés étrangers et aux devises étrangères que les investisseurs américains. La diversité des actifs offerts sur les marchés financiers d’un pays et le statut de sa devise influe sur le degré d’exposition aux marchés étrangers et aux devises étrangères. Il est donc tout à fait logique que l’investisseur américain moyen ait une exposition aux marchés étrangers plus faible que l’investisseur canadien. Il est donc logique que cet investisseur américain ait besoin d’une couverture importante de cette exposition, et que l’investisseur canadien moyen n’en ait pas besoin – en tout cas, il n’a pas besoin d’une couverture aussi importante.
Déterminer le moment idéal pour la mise en oeuvre une telle approche représente, certes, tout un défi. Bien que la parité du pouvoir d’achat soit un indicateur peu représentatif des tendances futures d’une devise, en raison du nombre important d’éléments à prendre en considération pour l’évaluation d’une devise, un investisseur dont la devise est procyclique ne devrait pas couvrir le risque de change de ses placements internationaux si sa devise paraît fortement surévaluée; en revanche, il est particulièrement recommandé à un investisseur dont la devise est contracyclique de couvrir le risque de ses placements internationaux si sa devise semble fortement sous-évaluée. À tout le moins, il faut retenir qu’une opération visant à couvrir 50 % des actifs libellés en devises étrangères ne mène pratiquement jamais à un niveau de couverture neutre, peu importe la devise d’exposition choisie par l’investisseur.