De nombreuses approches différentes pourraient être utilisées, mais il a été décidé de concevoir des portefeuilles qui intègrent de nombreuses classes d’actifs et qui procurent une diversification géographique de même que différents styles d’investissement (par exemple, en fonction de la valeur, de la croissance et de la taille des sociétés) sans utiliser de levier financier ou de positions vendeur.
L’absence de levier financier et de positions vendeur limite l’efficience des réalisations possibles, mais offre également un environnement plus réaliste à la vaste majorité des investisseurs. En outre, des portefeuilles simples, comportant un faible nombre de classes d’actifs, et plus complets, comportant un plus grand nombre de classes d’actifs seront comparés. Seront aussi évalués les portefeuilles d’investisseurs qui réagissent émotivement à la hausse ou à la baisse des marchés (soit les investisseurs qui achètent à prix fort et vendent à bas prix) ou qui craignent simplement d’investir afin d’évaluer le coût potentiel de la mauvaise prise de décisions et l’utilité des services-conseils.
Des portefeuilles seront élaborés à partir de différents points de vue. Premièrement, les investisseurs qui ont différents profils de risque différents pour illustrer les diminutions de valeur (les pires pertes cumulatives) susceptibles d’être observées dans chaque cas. Deuxièmement, les investisseurs qui vivent dans deux pays très différents :
- les investisseurs américains qui ont un marché boursier diversifié et une monnaie contracyclique;
- les investisseurs canadiens qui ont un marché boursier plus axé sur les ressources et une monnaie procyclique.
Il s’agit également de la dernière occasion de travailler avec des rendements historiques. Dans les prochains documents de cette série, il sera question de rendements prospectifs. Le passé aide à comprendre les marchés des capitaux, mais le passé est rarement garant de l’avenir.
Le rendement historique des catégories d’actifs
Les portefeuilles sont élaborés à partir de 10 actifs. La période d’analyse commence en août 1992, car les données ne sont pas toutes disponibles pour les périodes antérieures et elle prend fin en octobre 2015. L’analyse couvre donc une durée de 23 ans et 2 mois. Il aurait aussi été possible d’utiliser un éventail plus large de produits, comme les mandats d’actions structurés sur la base de facteurs de risque ou même d’autres catégories d’actifs, comme les matières premières. Cela suffit néanmoins aux fins de l’illustration des différentes notions de portefeuilles.
Toutefois, avant d’élaborer les portefeuilles, analysons les données de rendement de chaque actif du point de vue des investisseurs américains (en dollars américains) et du point de vue des investisseurs canadiens (en dollars canadiens).
Le tableau 1 présente les 10 actifs de même que le rendement annuel composé et la volatilité (écart type) de chaque élément dans les deux monnaies. Les frais sont ignorés pour que l’accent soit mis sur l’élaboration et la diversification du portefeuille.
Plusieurs observations ressortent de ces données :
- Les rendements sont légèrement supérieurs (en monnaie locale) du point de vue des investisseurs canadiens, ce qui s’explique par le fait que la valeur du dollar canadien a légèrement diminué par rapport à celle du dollar américain, soit en moyenne de 0,39 % par année pendant cette période.
- Les actions ont une volatilité moindre en dollars canadiens. Cela est compatible avec le fait que le dollar canadien est une monnaie procyclique. Les investisseurs américains qui veulent réduire la volatilité de leur exposition aux actions non américaines devraient couvrir à tout le moins en partie le risque de change.
- Le marché boursier américain a affiché l’une des plus faibles volatilités, que ce soit en dollars américains ou en dollars canadiens. L’économie américaine est plus diversifiée et intégrée, d’où un marché boursier plus diversifié que ceux des autres pays.
- Les Américains ont connu le marché boursier le plus rentable pendant cette période. Les investisseurs effectuent une diversification à l’échelle internationale partiellement en raison de leurs craintes que leur propre marché des capitaux produise des rendements décevants, mais, malheureusement, les marchés étrangers peuvent produire de temps à autres des rendements plus faibles même s’ils comportent des risques plus élevés que le marché canadien ou le marché américain.
- Les actions américaines de sociétés à petite capitalisation n’ont pas produit de rendement très supérieur à celui des actions américaines de sociétés à grande capitalisation malgré une volatilité plus élevée.
- Les titres à revenu fixe se sont bien comportés pendant cette période et ont même produit un rendement supérieur à celui des marchés boursiers mondiaux (le marché international et les marchés émergents).
Il y a trois autres choses à retenir de ces données. Premièrement, les investisseurs canadiens et américains n’ont probablement pas bénéficié des rendements dans les marchés internationaux auxquels ils s’attendaient puisque des risques plus élevés ont mené à des rendements plus faibles. Rappelons que le risque est toujours la possibilité que les attentes rationnelles ne soient pas atteintes. Autrement dit, on peut dire que les investisseurs ont reçu une moindre compensation (relativement) que celle prévue pour le risque qu’ils ont pris relativement aux actions mondiales ou qu’ils ont reçu une meilleure compensation (relativement) que celle prévue pour le risque qu’ils ont pris relativement aux titres à revenu fixe. Il s’agit probablement d’une combinaison des deux.
Deuxièmement, même si les titres à revenu fixe ont produit des rendements nominaux et réels élevés historiquement, ils ne peuvent pas maintenir des rendements nominaux aussi élevés lorsqu’ils se situent dans un contexte de faible taux de rendement. Par conséquent, si les titres à revenu fixe produisent des rendements supérieurs à ceux des actions au cours des 10 prochaines années, cela pourrait probablement s’expliquer par le fait que les actions se comportent mal. Espérons que tel ne soit pas le cas.
Troisièmement, il est difficile de prévoir si le risque que l’on prend aujourd’hui sera adéquatement compensé à l’avenir.
C’est pourquoi la diversification est logique lorsqu’on se tourne vers l’avenir. Lorsqu’on se tourne vers le passé, on peut être amené par erreur à trop diversifier ou à diversifier insuffisamment selon le rendement antérieur de certains actifs. Il faut faire preuve de discernement. L’investisseur se trouvant dans un pays dont la monnaie est contracyclique et dont l’économie est diversifiée peut s’attacher davantage aux titres de ce pays, mais l’investisseur qui se trouve dans un pays dont la monnaie est procyclique et dont l’économie est moins diversifiée devrait conserver une exposition plus grande aux marchés mondiaux.
L’élaboration de portefeuilles
Évaluons maintenant le rendement historique des portefeuilles tant du point de vue des États-Unis que du point de vue du Canada. Deux niveaux de risque sont utilisés selon une répartition en actions et en titres à revenu fixe de 70/30 et de 30/70. Pour chaque niveau de risque, deux structures de portefeuille seront utilisées, soit une structure de base comportant deux ou trois actifs et une structure plus complète comportant davantage d’éléments. Les portefeuilles américains seront davantage axés sur les États-Unis. Le portefeuille à moindre risque comportera aussi une plus grande proportion d’actions américaines. Il y a huit portefeuilles en tout. Les tableaux 2 et 3 résument ces données.
La performance du portefeuille complet ne sera sans doute pas impressionnante relativement au portefeuille simple. Comme il a été indiqué précédemment, les marchés mondiaux n’ont pas produit de rendement supérieur aux marchés locaux des investisseurs américains et canadiens.
Parfois, même lorsque nous diversifions, notre propre marché peut se trouver parmi les marchés qui produisent un meilleur rendement, ajusté en fonction du risque. Ainsi, il semble qu’il ne valait pas la peine de diversifier, mais nous obtenons ce résultat simplement parce que nous regardons dans le miroir. Par exemple, dans le cas du Canada, le rendement local favorable pendant cette période s’explique par le solide cycle des matières premières et par la résistance accrue du secteur financier canadien à la crise financière. Encore une fois, le passé n’est pas garant de l’avenir.
Le tableau 4 présente le rendement et certaines statistiques de risque pour les huit portefeuilles, dans l’hypothèse initiale d’un rééquilibrage mensuel. Certains des résultats sont déroutants, mais compréhensibles.
Premièrement, les portefeuilles canadiens ont produit un rendement supérieur à celui des portefeuilles américains. Cela pourrait s’expliquer en partie par une répartition différente du portefeuille, mais cela s’explique aussi partiellement par la perte de valeur annuelle moyenne de 0,39 % du dollar canadien pendant cette période.
- Comme on pouvait s’y attendre, les portefeuilles en dollars canadiens affichent aussi une volatilité et une pire perte du rendement plus faible en raison de la nature procyclique de la monnaie.
- Les portefeuilles plus risqués ont produit un rendement supérieur à celui des portefeuilles moins risqués. Comme il a été mentionné, il y aura toujours des exceptions (comme le Japon), mais, à long terme, cela est plus probable.
- Des risques beaucoup plus grands ont été nécessaires pour faire augmenter les rendements. Par exemple, pour faire augmenter les rendements de 1,2 % sur cette période sur un portefeuille américain 70/30 simple par rapport à un portefeuille américain 30/70 simple, il fallait supporter des niveaux de pires pertes beaucoup plus importants. Naturellement, l’ajout d’un rendement de 1,2 % sur plus de 23 ans améliore le rendement du patrimoine de celui qui économise régulièrement de plus de 15 %.
- La pire perte ne s’est pas nécessairement produite en même temps au Canada et aux États-Unis. Pour les portefeuilles plus risqués, la période de la crise financière représente souvent la pire période de cette histoire. Toutefois, dans le cas du Canada, les portefeuilles globaux ont subi leurs pires rendements pendant d’autres périodes. Cela s’explique en partie par le fait que les portefeuilles simples du point de vue canadien sont exposés uniquement au marché américain. Étant donné que la valeur du dollar canadien a diminué considérablement par rapport à celle du dollar américain pendant la crise financière, les pertes nominales au Canada ont été fortement atténuées par la baisse de la valeur du dollar canadien. En outre, 1994 fut une année particulièrement difficile pour ceux qui investissaient dans des titres à revenu fixe, ce qui a influé sur les portefeuilles à proportion élevée de titres à revenu fixe.
Ce qui est plus troublant, c’est le fait que les portefeuilles complets ont des niveaux de pires pertes plus importants, une volatilité plus grande et n’obtiennent pas nécessairement de meilleurs rendements dans le cas des portefeuilles plus risqués. Premièrement, il faut reconnaître que l’on examine cette question du point de vue des investisseurs se trouvant dans deux pays dont les marchés boursiers ont enregistré des rendements supérieurs à ceux des marchés mondiaux pendant cette période. Encore une fois, nul ne connaît son avenir. Deuxièmement, le risque, à long terme, n’est pas seulement affaire de volatilité. Il s’agit aussi de la possibilité que certains marchés produisent simplement des rendements fort inférieurs aux attentes. Cela devrait être une source de préoccupations, particulièrement pour les investisseurs qui exercent leurs activités dans une économie moins diversifiée comme le Canada.
L’exemple qui précède a été conçu dans l’hypothèse d’un rééquilibrage mensuel. Rappelons qu’un rééquilibrage moins fréquent pourrait en réalité être plus rentable. Le tableau 5 présente les mêmes données que celles mentionnées précédemment pour les investisseurs américains, mais la fréquence de rééquilibrage est passée de mensuelle à annuelle en fin d’année.
Le coût associé à la peur et à des décisions de placement incohérentes
Certains investisseurs veulent simplement éviter tous les risques. En vue de l’évaluation du coût d’un comportement extrêmement conservateur, un investissement dans les obligations du Trésor à 5 ans avec rééquilibrage mensuel a été appliqué. Un tel investissement aurait procuré un rendement de moins de 5 % sur la même période que l’analyse précédente. Le tableau 6 indique la valeur cumulative d’un investissement annuel de 1 000 $ depuis 1992 (24 000 $ au total) pour un investisseur américain dans les quatre scénarios d’investissement.
Bien que les frais ne soient pas intégrés à l’analyse, un conservatisme extrême entraîne un lourd prix à payer même dans le cas d’un portefeuille à faible risque 30/70. En outre, le rendement de près de 5 % sur les obligations du Trésor a été atteint seulement en raison des taux d’intérêt beaucoup plus élevés qui prévalaient dans les années 1990. À la fin de 2015, les taux se situaient sous les 2 %, de sorte qu’il est probablement impossible d’obtenir les mêmes rendements à l’avenir.
D’autres investisseurs n’ont pas nécessairement peur d’investir dans les actions, mais sont incohérents. Ils investissent ou retirent leurs fonds du marché au pire moment possible. L’une des façons de comprendre le coût de l’incohérence consiste à recalculer le rendement composé d’un portefeuille simplement en éliminant les meilleurs mois, un à la fois. Par exemple, utilisons l’exemple du portefeuille américain 70/30 simple qui est rééquilibré mensuellement.
Son rendement composé sur toute la période s’est établi à 8,63 %. Si on élimine les meilleurs mois, on soustrait d’environ 0,30 % à 0,33 % du rendement composé total sur cette période de 23 ans pour chacun de ces mois. Par exemple, les trois meilleurs mois depuis août 1992 comptent pour près de 1 % du rendement total de 8,63 %.
Prenons maintenant un cas plus précis. Un investisseur a paniqué pendant la crise financière et s’est retiré du marché à la fin de novembre 2008, pour recommencer à investir un an plus tard. Comparativement aux résultats présentés dans le tableau précédent, cet investisseur aurait renoncé à environ 19 % à 25 % des gains accumulés sur un portefeuille 30/70 et à 27 % à 34 % des gains accumulés sur un portefeuille 70/30. Une seule année peut effacer du cinquième au tiers de tous les gains produits sur plus de 22 ans.
Le risque est payant à long terme pour celui qui diversifie intelligemment, qui demeure cohérent et qui peut résister à la volatilité et aux diminutions de valeur associées à un portefeuille plus risqué. Cet exercice a confirmé certains de nos énoncés antérieurs. Les investisseurs qui vivent dans des pays ayant une monnaie procyclique bénéficient d’une couverture naturelle du risque international, à tout le moins en moyenne. En outre, un rééquilibrage plus efficient comporte des avantages sur les plans du rendement et du risque et il est possible de faire encore mieux en adoptant des méthodologies de rééquilibrage plus sophistiquées. On constate également qu’il faut prendre proportionnellement plus de risques pour faire augmenter les rendements. Le double de la volatilité n’entraîne pas le double des rendements. C’est pourquoi il est important d’avoir un plan d’investissement à long terme et de payer des frais raisonnables.