Bien que ce document se limite à mieux connaître les facteurs explicatifs de rendement des titres à revenu fixe et ceux des actions, il vise aussi à expliquer ce qui cause une corrélation de rendement faible ou élevée entre deux actifs et la manière d’améliorer l’efficacité de la diversification des portefeuilles.
Facteurs qui déterminent les rendements sur les titres à revenu fixe
Il convient, dans un premier temps, d’expliquer la composition du rendement d’une obligation détenue jusqu’à son échéance. Habituellement, l’émetteur d’une obligation traditionnelle paie à l’investisseur le taux d’intérêt nominal (ou coupon) fixe deux fois l’an, et le capital à l’échéance de l’obligation. À titre d’exemple, combien un investisseur marginal paierait-il pour une obligation corporative qui verse un coupon de 5 % (annuel, pour simplifier le calcul) et un remboursement de capital de 1 000 $ dans 10 ans? Demander quel prix l’investisseur marginal est prêt à payer pour détenir une obligation est la même question que de demander quel rendement cet investisseur exige pour détenir cette même obligation. Théoriquement, les investisseurs s’attendent à un rendement qui compensera ce qui suit :
• le taux d’inflation anticipé – de 2 % en moyenne sur 10 ans aux fins de l’exercice;
• la prime de risque (comme le risque de crédit, qui est lié à la possibilité que les intérêts et le capital ne soient pas pleinement versés en raison de difficultés financières de l’émetteur; le risque de liquidité, qui est lié à la difficulté de vendre l’obligation avant son échéance et au coût associé à la vente de celle-ci, en cas de besoin; le risque de durée, qui est lié à la sensibilité du prix d’un titre de longue échéance aux variations du rendement obligataire) – de 1 % aux fins de l’exercice;
• le taux de rendement réel (c’est-à-dire la compensation à laquelle l’investisseur s’attend en plus du taux d’inflation sur les titres sans risque, comme les obligations du Trésor) – de 1 % aux fins de l’exercice.
Aux fins de l’exercice, le taux de rendement exigé représente donc 4 %, soit la somme de 2 % (inflation), de 1 % (prime de risque) et de 1 % (taux réel), et, par le fait même, le taux d’actualisation de la totalité des flux de trésorerie de cette obligation. Il est alors possible de calculer le cours auquel cette obligation se transigera sur le marché.
Équation 1
Ce prix est plus élevé que le capital versé à l’échéance. Cela s’explique par le fait que le taux de rendement exigé par les investisseurs est inférieur au taux du coupon. Le rendement exigé (4 %) est aussi appelé rendement annuel effectif à l’échéance. En effet, un investisseur qui achète cette obligation à ce prix et qui la conserve jusqu’à l’échéance obtiendra un taux de rendement annuel effectif de 4 % si toutes les sommes (intérêts et capital) lui sont versées en totalité au moment prévu*.
Qu’en est-il, par ailleurs, de l’obligation non détenue jusqu’à l’échéance? Si l’investisseur conserve son obligation pendant un an, le rendement réalisé sera alors déterminé par le prix de vente.
Équation 2
Les facteurs qui influent sur le prix actuel de l’obligation déterminent aussi son prix dans un an, bien que dans un an :
• les anticipations inflationnistes peuvent changer;
• la perception du niveau de risque peut changer;
• le rendement réel peut changer
• l’échéance de l’obligation soit raccourcie d’un an et ait une incidence sur le prix.
Pour toutes ces raisons, le rendement réalisé par l’investisseur risque peu de correspondre au rendement à l’échéance prévu initialement.
Dans un an, le rendement à l’échéance risque d’être revu à la hausse ou à la baisse en raison des variations des anticipations inflationnistes, des primes de risque et du rendement réel.
Par conséquent, les rendements sur des périodes données sont dominés en grande partie par les modifications des attentes qui ont une incidence sur les prix. Dans l’éventualité où les anticipations inflationnistes varient à la hausse ou à la baisse de 1 % et que les autres facteurs demeurent constants, le rendement à l’échéance de cette obligation dans un an sera de 3 % ou de 5 %. Le prix de l’obligation s’élèvera ainsi à 1 155,72 $ s’il est de 3 %, et à 1 000,00 $ s’il est de 5 % (soit l’équivalent du taux du coupon). Dans l’éventualité où, après un an, l’investisseur vend l’obligation au taux effectif de 3 %, le rendement de son investissement sera de 11,53 %.
Par contre, l’investisseur essuiera une perte de 2,88 % si le taux effectif est de 5 %. Une anticipation erronée des facteurs ayant une incidence sur le rendement peut donc s’avérer coûteuse.
Ces exemples montrent qu’il est facile de prévoir le rendement d’une obligation si elle est détenue jusqu’à son échéance (en l’absence de défaillance, bien sûr), alors qu’il est difficile de prévoir son rendement si elle est vendue avant son échéance. Or, est-il possible de prévoir le rendement d’un fonds obligataire ou d’un indice obligataire? Cela est possible dans une certaine mesure. Prenons l’exemple d’un fonds obligataire qui investit dans des titres du Trésor dont l’échéance moyenne est de 10 ans. Chaque année, alors que l’échéance moyenne des titres raccourcit, le gestionnaire vend certains titres pour en acheter d’autres à échéance plus longue, de manière à maintenir une certaine constance de l’échéance moyenne du fonds au fil du temps.
Entre décembre 2004 et décembre 2014, il appert que le rendement à l’échéance des obligations du Trésor de 10 ans est passé de 4,25 % à 2,17 %. Si le gestionnaire avait suivi la stratégie décrite précédemment, le rendement composé annuel du fonds obligataire aurait été de 4,92 %,soit légèrement supérieur au rendement à l’échéance initial.
Si le rendement à l’échéance avait connu le parcours opposé pendant cette période (étant ainsi passé de 2,17 % à 4,25 %), le rendement composé annuel aurait été de 1,45 %, soit inférieur au rendement à l’échéance initial. La raison en est simple : si les taux d’intérêt baissent, les coupons des obligations sont investis à un taux moins élevé, alors que le prix des obligations détenues augmente. C’est l’inverse qui se produit si les taux d’intérêt augmentent.
Autrement dit, le rendement à l’échéance actuel d’un fonds obligataire ou d’un indice obligataire dont l’échéance moyenne est de « x » ans est un bon indicateur du rendement (avant les frais) qui sera obtenu sur cette période de « x » années. Une conjoncture de faibles taux d’intérêt constitue une indication de faibles rendements futurs sur un fonds obligataire,
Facteurs qui déterminent les rendements sur les actions
Les actions diffèrent des obligations en ce qui suit :
• elles n’ont pas d’échéance. Par exemple, un indice d’actions est virtuellement éternel;
• elles sont assorties (ou non) de dividendes, selon la rentabilité de la société et sa politique en la matière;
• les détenteurs d’actions ne touchent des dividendes qu’après le versement des sommes dues aux détenteurs d’obligations. Par conséquent, les actions sont plus risquées que les obligations émises par la même société.
Un investisseur rationnel qui souhaite acheter des actions s’attend aussi à obtenir un rendement qui le compensera pour le taux d’inflation anticipé, le rendement réel et les diverses primes de risque d’un placement en actions, notamment les primes de risque dites marché, valeur, momentum et liquidité (dont il sera question dans un autre document). Les actions présentent davantage de facteurs de risque et une probabilité supérieure d’anticipations erronées. Il est aussi impossible de calculer leur rendement à l’échéance, puisqu’elles n’en ont pas et que les dividendes futurs sont inconnus. C’est pourquoi les investisseurs expriment souvent l’attrait relatif aux actions au moyen du ratio cours-bénéfices (RCB), soit le rapport du cours de l’action aux bénéfices de la société, et il existe plusieurs méthodes pour le calculer. L’indice boursier S&P 500, par exemple, peut se négocier à x fois le bénéfice des 12 derniers mois ou à x fois le bénéfice prévu pour les 12 prochains mois. Si le RCB est élevé, il est probable que les anticipations inflationnistes soient faibles, que le risque propre au marché des actions inquiète peu les investisseurs ou que les prévisions de croissance des bénéfices soient élevées.
Alors que si le RCB est faible, il reflète vraisemblablement des attentes contraires à l’égard de certains des facteurs mentionnés ci-dessus. Par conséquent, lorsque la conjoncture semble bonne, les investisseurs sont prêts à payer un prix multiple plus élevé, ils exigent donc un taux de rendement faible; et c’est exactement l’inverse lorsque la conjoncture semble mauvaise.
Voici un exemple qui illustre bien le rôle de la variation des attentes sur le rendement des actions ainsi que les sources du rendement de l’indice S&P 500 pendant deux périodes distinctes, mais instructives (de 1979 à 1999 et de 2000 à 2006).
En 1979, les investisseurs n’étaient prêts à payer que 7,40 $ par dollar de bénéfice de l’indice S&P 500, tandis qu’en 1999, ils étaient prêts à débourser 33,30 $, soit plus de quatre fois plus. Cette situation a pris fin abruptement par la suite alors qu’en 2006 les investisseurs n’étaient prêts à payer que 18,20 $. Qu’est-il arrivé ? Une variation du RCB équivaut à une modification du rendement exigé, ce qui reflète les changements d’attentes des investisseurs. En 1979, les investisseurs exigeaient un rendement important sur leurs actions, car ils anticipaient un taux d’inflation élevé et s’inquiétaient du risque de marché. En 1999, les anticipations inflationnistes étaient très faibles et les investisseurs – à tort ou à raison – s’inquiétaient peu des risques. Par conséquent, le rendement exigé sur les actions était faible, et le RCB des actions, élevé. Le vent a tourné lorsque les investisseurs ont commencé à s’inquiéter des risques liés au secteur des nouvelles technologies, dont ils revoyaient leurs prévisions de croissance à la baisse. Encore une fois, cela illustre bien que la justesse des attentes influe fortement sur le rendement futur des actions. Des attentes trop optimistes (comme à la fin des années 1990) peuvent entraîner les rendements futurs à la baisse, et vice-versa.
Facteurs qui déterminent la covariance entre les actifs
Les principaux facteurs de rendement des actifs financiers ayant été expliqués, il apparaît clairement que deux actifs seront fortement corrélés si la fluctuation de leurs prix est causée par des facteurs similaires. Par ailleurs, la corrélation sera plus faible si les facteurs de fluctuation des prix des actifs diffèrent. Il est bien connu, par exemple, que le rendement des actions et des titres à revenu fixe était fortement corrélé dans les années 1970, 1980 et 1990, alors que la corrélation était faible dans les années 2000. Puis, pendant la crise financière, la corrélation entre les actions et les obligations du Trésor est devenue fortement négative.
Pourquoi ?
• Dans les années 1970, 1980 et 1990, les variations des anticipations inflationnistes étaient importantes et jouaient un rôle dominant dans l’évolution des rendements. Le fait que tant les actions que les titres à revenu fixe bénéficiaient d’une importante diminution des anticipations inflationnistes a entraîné une forte corrélation du rendement de ces deux catégories d’actifs.
Au début des années 2000, le RCB a chuté parce que les investisseurs – ayant réalisé que les attentes en matière de croissance des bénéfices du secteur des nouvelles technologies étaient irréalistes – exigeaient une prime de risque beaucoup plus élevée pour l’achat d’actions. Comme les taux d’intérêt ont chuté en réaction aux politiques monétaires et aux inquiétudes concernant la croissance, les corrélations étaient faibles.
• En 2008, presque toutes les catégories d’actifs risquées affichaient un faible rendement, et la diversification ne semblait pas fonctionner. L’année 2008 fut marquée par une crise de liquidité, provoquée par de graves problèmes de crédit à l’échelle mondiale. La contagion fut telle qu’elle entraîna une réévaluation majeure de la croissance économique partout dans le monde. Comme les investisseurs exigeaient une compensation plus grande pour les risques courus dans toutes les régions du monde, tous les actifs risqués ont été touchés en même temps.
Seuls les actifs jugés réellement sûrs, comme les obligations du Trésor, ont été épargnés et ont procuré des avantages liés à la diversification. Les prix des obligations du Trésor ont connu une hausse rapide, non seulement à cause de la diminution des anticipations inflationnistes, mais aussi parce que les actifs risqués inquiétaient tellement les investisseurs que ces derniers se sont tournés vers les obligations du Trésor, qui leur semblaient constituer une valeur refuge. Cela a provoqué une baisse importante du rendement réel et, conséquemment, une forte appréciation des obligations du Trésor. C’est pourquoi la corrélation entre les actifs risqués et les obligations du Trésor a été fortement négative pendant cette période.
La diversification consiste à combiner des actifs dont les prix et les rendements exigés sont influencés par des ensembles différents de facteurs. Deux actions du secteur bancaire sont plus susceptibles d’être influencées par des facteurs similaires qu’une action du secteur bancaire et une action du secteur technologique. C’est la même chose pour les actions et les titres à revenu fixe, pour les matières premières et les actions ou les obligations, ou pour l’or et le blé.
Il existe toutefois des facteurs qui, dans certaines circonstances, ont une incidence similaire et simultanée sur plusieurs titres, des catégories d’actifs et même sur des régions géographiques, ce qui réduit du même coup l’efficacité de la diversification. Une variation importante des anticipations inflationnistes et une diminution de la liquidité mondiale en sont deux exemples. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas diversifier un portefeuille. Il importe plutôt de procéder à une diversification judicieuse et même alors, l’efficacité de la diversification peut varier avec le temps.
Enfin, certains investisseurs ont des attentes irréalistes à l’égard de la diversification. L’exemple précédent montre bien la volatilité très supérieure du rendement des actions par rapport à celle des obligations. Cette volatilité peut aisément atteindre le double, en moyenne; et en situation de crise (comme en 2008), le rendement des actions peut temporairement être quatre fois plus volatil, voire davantage, que le rendement des obligations. Lors d’une crise, un investisseur possédant un portefeuille composé d’actions et d’obligations dans un ratio de 60/40 verra la volatilité de son portefeuille total être largement dominée par l’effet de la composante en actions. Dans de telles circonstances, l’allocation aux actions expliquerait plus de 90 % du risque global du portefeuille. Il est donc impératif que les investisseurs diversifient judicieusement leur portefeuille, qu’ils tiennent compte de leur aversion au risque (non seulement en temps normal, mais également en période difficile) et qu’ils envisagent même d’adopter certaines stratégies d’atténuation des risques dont il sera question dans un autre document.