La rétroactivité d’une mesure fiscale mine la stabilité, la sécurité et la visibilité : trois piliers de la fiscalité qui permettent aux entreprises d’investir et de fonctionner dans la transparence.
La France a d’ailleurs adoptée une charte de non-rétroactivité fiscale en fin d’année 2014. Le ministre des Finances français, Michel Sapin, soulignait :
« […] dans la mesure où elles (les entreprises) n’ont pas la certitude du traitement fiscal réservé à une opération au moment où celle-ci est effectuée, les projets d’articles législatifs ou amendements gouvernementaux ne devront plus s’appliquer aux revenus perçus au cours de l’année d’adoption de la loi et ne pourront s’appliquer qu’aux exercices ouverts à compter de la publication de celle-ci, sauf mesures favorables au contribuable. »
Or, le ministre des Finances canadien, William Francis (Bill) Morneau, n’a pas cru bon de limiter son intervention à des mesures dont l’application serait prospective.
Voici les commentaires énoncés dans le budget concernant le cadre fiscal actuel :
« Lorsque le titulaire d’une police dispose d’un intérêt dans une police d’assurance vie en faveur d’une personne avec laquelle il n’a pas de lien de dépendance, la juste valeur marchande de toute contrepartie est incluse dans le calcul du produit de la disposition. Par contre, si le titulaire d’une police dispose d’un tel intérêt en faveur d’une personne avec laquelle il a un lien de dépendance, une règle spéciale (la « règle du transfert des polices ») répute le produit de la disposition de l’intérêt du titulaire d’une police, et le coût de la personne qui l’acquiert, comme étant le montant auquel le titulaire de la police aurait droit si la police était rachetée (la « valeur de rachat de l’intérêt »). Lorsque la règle du transfert des polices s’applique, le montant d’une contrepartie versée pour l’intérêt qui dépasse la valeur de rachat de l’intérêt n’est pas imposé à titre de revenu en vertu des règles qui s’appliquent aux dispositions d’intérêts dans les polices d’assurance vie. De plus, cet excédent finira par être pris en compte dans la prestation reçue en vertu de cette police. Si la prestation prévue par la police est reçue par une société privée, elle peut être versée libre d’impôt aux actionnaires de cette société. Lorsque c’est le cas et que la contrepartie versée pour acquérir l’intérêt n’a pas été reconnue en vertu de la règle du transfert des polices, le montant de l’excédent est effectivement extrait de la société privée une deuxième fois comme montant libre d’impôt, plutôt qu’à titre imposable […]. »
Exemple du transfert d’une assurance vie d’un individu à une société selon les règles antérieures
Patrice détient une assurance vie ayant les caractéristiques suivantes :
– Capital versé en cas de décès : 500 000$
– Juste valeur marchande (ou JVM): 100 000 $
– Valeur de rachat : 25 000$
– Coût de base rajusté (ou CBR) : 30 000 $
Selon les règles antérieures, Patrice était présumé avoir disposé de sa police d’assurance vie pour un montant égal à sa valeur de rachat, soit 25 000 $. Puisque cette somme est inférieure au CBR de 30 000 $, le transfert de la police d’assurance vie détenue par Patrice à sa société pouvait s’effectuer sans impact fiscal. De plus, il était également possible pour Patrice de retirer l’excédent de la JVM sur la valeur de rachat, soit 75 000$ dans notre exemple, de la société de Patrice et ce, libre d’impôts.
Modification rétroactive des règles du compte de dividendes en capital (« CDC »)
« Le budget de 2016 propose (…) de modifier les règles du compte de dividendes en capital (« CDC ») pour les sociétés privées et les règles du prix de base rajusté pour les participations dans des sociétés de personnes. Cette modification s’appliquera lorsqu’un intérêt dans une police d’assurance vie a fait l’objet d’une disposition avant la date du budget en échange d’une contrepartie qui dépasse le montant du produit de la disposition déterminé en vertu de la règle du transfert des polices. Dans ce cas, le montant de la prestation prévue par la police qui pourrait autrement être ajouté au compte de dividendes en capital d’une société, ou le prix de base rajusté d’une participation dans une société de personnes, sera réduit par le montant de l’excédent. De plus, lorsqu’un intérêt dans une police d’assurance vie a fait l’objet d’une disposition avant la date du budget en vertu de la règle du transfert des polices à une société ou à une société de personnes comme contribution de capital, toute augmentation du capital versé à l’égard d’une catégorie d’actions de la société ou du prix de base rajusté des actions ou d’une participation dans la société de personnes qui pourrait autrement être permise se limitera au montant du produit de la disposition.
Cette mesure s’appliquera à l’égard des polices en vertu desquelles des prestations prévues par la police sont reçues en raison de décès qui ont lieu à la date du budget ou par la suite. »
Impact des nouvelles règles lors du décès de l’assuré
Dans notre exemple, si Patrice décède le 23 mars 2016, sa société encaissera le capital-décès de 500 000$. De ce montant, 400 000$ fera l’objet d’une inclusion au CDC, soit l’excédent du capital-décès sur la contrepartie reçue de 100 000$. La succession de Patrice pourrait alors recevoir un dividende libre d’impôts pouvant atteindre 400 000$ et l’excédent de liquidités détenu dans la société, soit 100 000$ sera versé sous la forme d’un dividende imposable à un taux pouvant atteindre 43.84%. Pour la succession de Patrice, cette nouvelle règle rétroactive représente des impôts supplémentaires pouvant atteindre 32 880$ (1).
Modification des règles sur le produit de disposition lors d’un transfert
« Le budget de 2016 propose des modifications afin de s’assurer que des montants ne sont pas reçus libre d’impôt de façon inappropriée par un titulaire de police en raison d’une disposition d’un intérêt dans une police d’assurance vie. Aux fins de l’application de la règle du transfert des polices, la mesure inclura la juste valeur marchande de toute contrepartie versée pour un intérêt dans une police d’assurance vie dans le produit de disposition du titulaire de la police et le coût de la personne qui l’acquiert. De plus, si la disposition survient à la suite d’une contribution de capital à une société ou à une société de personnes, toute augmentation du capital versé à l’égard d’une catégorie d’actions de la société qui en découle, et le prix de base rajusté des actions ou d’une participation dans la société de personnes, se limiteront au montant du produit de la disposition.
Cette mesure s’appliquera aux dispositions qui entrent en vigueur à la date du budget ou par la suite.
Exemple du transfert d’une assurance vie d’un individu à une société selon les nouvelles règles
Si nous reprenons l’exemple de Patrice dans le cadre d’un transfert effectué à partir du 22 mars 2016, celui-ci sera présumé avoir disposé de sa police d’assurance vie pour un montant égal à sa JVM, soit 100 000 $. Rappelons que cette valeur est généralement déterminée dans le cadre d’un rapport actuariel émis par un actuaire détenant le titre de fellow de l’Institut canadien des actuaires. Puisque la JVM est supérieure au CBR de 30 000 $, le transfert de la police d’assurance vie détenue par Patrice à sa société déclenchera une plus-value imposable de 70 000$. Cette plus-value n’est pas par ailleurs admissible à un traitement de gain en capital. Par conséquent, Patrice pourrait se retrouver avec une facture fiscale de 37 317$ selon le nouveau taux marginal d’imposition de 53.31% instauré par le gouvernement Trudeau pour les revenus dépassant 200 000$.
Malgré ces nouvelles règles, il demeure néanmoins pertinent de transférer une police d’assurance vie à une société lorsque l’objectif est de réduire le coût net des primes. En effet, considérant que les primes ne sont généralement pas déductibles, les primes payées par une société admissible à la déduction pour petite entreprise (« DPE ») auront un coût net d’impôt de 123$ (2) pour chaque tranche de 100$ alors que les primes payées par un individu auront un coût net d’impôt pouvant atteindre 214$ (3).
* * * *
(1) Soit (100 000$ moins 25 000$) * 43.84% ou (contrepartie reçue moins ancienne valeur de rachat)*taux marginal applicable à un dividende imposable ordinaire.
(2) Soit (100$ / (1-18.5%). Selon le nouveau taux d’imposition pour le revenu admissible à la DPE. Anciennement 19%.
(3) Soit (100$/ (1-53.31%).