Dans son récent jugement, R. v. O’Brien, 2023 ONCA 197 (« O’Brien« ), la Cour d’appel de l’Ontario conclut que le droit au silence protège les suspects contre la divulgation forcée de leurs mots de passe. Ce faisant, la Cour désavoue la pratique des autorités de demander aux suspects de divulguer les mots de passe de leurs appareils électroniques dans le feu de l’action lors de perquisitions. Cette pratique, selon la Cour, profite indûment de l’impact psychologique de la perquisition pour faire parler les suspects, viciant le consentement du suspect à la divulgation de ses mots de passe.
O’Brien marque un développement significatif dans le domaine des perquisitions électroniques. Les principes reconnus dans l’arrêt pourraient mener à l’exclusion de la preuve saisie à l’aide de mots de passe divulgués sous la pression d’une perquisition.
Aperçu des faits
L’accusé a été réveillé par les martèlements de policiers à la porte de sa résidence. Munis d’un mandat de perquisition visant notamment des appareils électroniques, les policiers ont aussitôt demandé à l’accusé de divulguer les mots de passe de son téléphone intelligent et de son ordinateur personnel, sans informer l’accusé de ses droits – y compris son droit de garder le silence, de contacter son avocat et de quitter les lieux de la perquisition.
L’accusé s’est plié à la demande des policiers et a divulgué ses mots de passe en croyant être obligé de le faire, sans savoir qu’il renonçait, ce faisant, à son droit de garder ses mots de passe secrets. Ces mots de passe ont ensuite permis aux policiers de fouiller le téléphone intelligent et l’ordinateur personnel de l’accusé, laquelle fouille a mené à la saisie d’éléments de preuve incriminants. C’est cette preuve, obtenue en violation des droits fondamentaux de l’accusé, qui finira par être écartée par la Cour.
Violation grave des droits de l’accusé
La décision dans O’Brien affirme que la pratique des enquêteurs en cybercriminalité d’exiger des suspects leurs mots de passe, en pleine perquisition, sans se soucier de leur consentement libre et éclairé, constitue une violation de la protection contre les fouilles abusives – une violation de gravité maximale. Cela est d’autant plus grave considérant le caractère systémique de la pratique, alors qu’il est bien connu que des intérêts accrus de vie privée se rattachent au contenu des appareils électroniques personnels.
La décision tient compte également de l’impact psychologique que l’exécution d’un mandat de perquisition peut avoir sur des individus. En effet, la Cour reconnaît que des individus visés par une perquisition peuvent raisonnablement penser qu’ils sont alors en état de détention vu, notamment, la prise de contrôle, par les agents de police, des lieux perquisitionnés et des individus qui s’y trouvent. On en retient que la Cour s’attend à ce que les enquêteurs désamorcent cette impression de détention en commençant par expliquer au suspect ses droits plutôt que de profiter de l’effet de surprise de la perquisition pour lui soutirer ses mots de passe en violation du droit à ne pas s’auto-incriminer.
Au final, la Cour exclut les données saisies sur le téléphone intelligent et l’ordinateur personnel de l’accusé à l’aide des mots de passe obtenus illégalement. Elle refuse toutefois d’exclure les données contenues sur une clé USB accessible sans mot de passe et des documents papier saisis à la même occasion.
Des principes applicables aux appareils des professionnels
O’Brien s’inscrit dans une lignée de décisions qui reconnaissent le caractère privé des données contenues sur les appareils électroniques[1].
Plusieurs principes ont été établis en ce sens au cours de la dernière décennie, comme l’exigence d’obtenir un mandat spécifique pour fouiller des appareils électroniques[2]. Or, O’Brien enjoint les autorités à faire davantage pour s’assurer qu’elles ne profitent pas du choc de la perquisition électronique pour soutirer des mots de passe en violation du droit fondamental au silence et à la garantie contre l’auto-incrimination.
Ces principes pourraient également s’appliquer aux appareils électroniques qui sont utilisés à des fins à la fois professionnelles et personnelles, à condition de pouvoir raisonnablement entretenir une expectative de vie privée selon les politiques et usages des employeurs et des fournisseurs de service Internet.
Il existe cependant divers tempéraments aux principes susmentionnés. D’abord, l’arrêt O’Brien a été rendu dans le contexte où l’accusé était un individu. Les situations concernant des personnes morales soulèvent des considérations différentes. Ensuite, le Code criminel prévoit la possibilité que soient émis des mandats accompagnés d’ordonnances d’assistance. Ceux-ci peuvent avoir pour conséquence de rendre obligatoire la collaboration avec les policiers afin de rendre des systèmes technologiques accessibles.
avec la collaboration de Me Gabriel Querry et de Me Nicole Camacho
Le présent article ne constitue pas un avis juridique.
[1] R. v. Morelli, 2010 SCC 8; R. v. Vu, 2013 CSC 60; R. v. Fearon, 2014 CSC 77.
[2] R. c. Boudreau-Fontaine, 2010 QCCA 1108.