Non, selon la cour divisionnaire de l’Ontario. Dans l’affaire Boal c. International Capital Management[1] (ci-dessous « l’affaire Boal »), un appel d’un jugement de la Cour supérieure de l’Ontario, la Cour divisionnaire affirme que les normes réglementaires de l’intérêt supérieur ne créent pas automatiquement une obligation fiduciaire entre le conseiller et le client. En cause sont les exigences réglementaires de l’intérêt supérieur, qui imposent à un conseiller de faire passer les intérêts de son client avant ses propres intérêts. Ainsi, la détermination d’une obligation fiduciaire doit être faite au cas par cas, en considérant si le conseiller avait un « pouvoir discrétionnaire »de faire des investissements sans l’approbation du client.
Rebecca Lee Boal était une cliente d’International Capital Management (ICM), un membre de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM). Elle était une « investisseuse accréditée » avec plus de 1 M$ d’actifs nets réalisables et elle prenait ses propres décisions d’investissement sur la base de conseils d’ICM. Les investissements en cause concernaient des billets à ordre émis par une société dont la majorité des actions étaient détenues par ICM et ses conseillers.
La demanderesse a tenté d’obtenir l’autorisation d’exercer une action collective contre ICM pour des pertes d’investissement. En particulier, elle a allégué qu’ICM n’avait pas pleinement divulgué son intérêt dans un investissement particulier ou les commissions qu’il a reçues. Selon elle, ICM avait violé son obligation fiduciaire, étant donné qu’il s’engage à agir avec loyauté et dans l’intérêt supérieur de ses clients lorsqu’il recommande des produits d’investissement, comme le requièrent les règles de l’ACFM. À la Cour supérieure[2], le juge Perell a refusé d’autoriser l’action collective, en notant qu’il n’y a pas une relation fiduciaire commune avec tous ou partie des membres potentiels de l’action collective proposée. Le juge Perell a constaté qu’il était incontesté qu’ICM avait une obligation de diligence avec ses clients, et qu’il y avait une base factuelle aux allégations selon lesquelles ICM avait violé les règles professionnelles de l’ACFM. Mais il a ordonné que, du fait que la violation d’une obligation fiduciaire découle d’une relation spécifique et non d’une relation commune, une telle violation ne peut être faite sur une base collective.
En appel, la majorité de la Cour divisionnaire a tranché que les normes réglementaires de l’intérêt supérieur, telles que celles de l’ACFM, ne créent pas automatiquement une obligation fiduciaire entre le conseiller et le client.
La Cour divisionnaire confirme que l’existence d’une obligation fiduciaire doit être prouvée au cas par cas selon les facteurs établis par la Cour d’appel[3]. Ces facteurs tiennent compte de la nature de la relation avec le client, en considérant le degré de vulnérabilité de celui-ci, de la confiance que le client accorde au conseiller, de la mesure dans laquelle le conseiller dispose d’un pouvoir discrétionnaire sur le compte du client et de tout règlement ou code de conduite applicables. En l’espèce, l’appel de Rebecca Lee Boal échoue, car elle n’a pas plaidé un de ces facteurs, soit qu’ICM avait un « pouvoir discrétionnaire » relativement à son compte.
Il y a trois points utiles à retenir de l’affaire Boal. Tout d’abord, étant donné que la Cour divisionnaire a déclaré que l’évaluation d’une obligation fiduciaire doit être faite au cas par cas, il peut être plus difficile d’établir une question commune, qui est nécessaire à l’autorisation d’une action collective.
En second lieu, la Cour divisionnaire détermine que l’imposition d’une obligation fiduciaire à des conseillers en investissement qui ne sont soumis qu’aux règles de l’intérêt supérieur aurait un effet négatif sur l’accès du public aux marchés des capitaux. De telles limitations restreindraient les courtiers qui fournissent un accès contrôlé aux marchés financiers.
Enfin, la Cour divisionnaire souligne que l’absence d’une relation fiduciaire ne diminue pas les autres obligations que les conseillers ont envers leurs clients, notamment la bonne foi ainsi que le devoir de diligence, de confidentialité et de divulgation.
Julie-Martine Lorange est associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. avec la collaboration de Me Kevin Pinkoski Le présent article ne constitue pas un avis juridique.
[1] 2022 ONSC 1280 (CanLII)
[2] Boal v. International Capital Management Inc., 2021 ONSC 651
[3] Hunt v. TD Securities, 2003 CanLII 3649 (ON CA)