Il est souvent trop tôt pour accorder la détention directe des actions ordinaires de la société, vu l’âge et l’expérience des dirigeants de demain et le peu d’historique quant à leur capacité de mener le projet à terme. Qui plus est, en présence d’une famille comptant des enfants qui ont d’autres intérêts, la décision d’avantager dès lors ceux qui ont joint l’entreprise peut s’avérer prématurée, et qui sait inéquitable.
Dans ce contexte, une pratique courante lors d’un gel est d’opter pour une flexibilité supplémentaire en créant une fiducie familiale discrétionnaire afin de détenir les nouvelles actions ordinaires. Cette structure est très répandue dans le cadre de la relève en entreprise familiale depuis plusieurs années, en particulier lorsqu’un successeur n’a pas été encore désigné et que la propriété directe des nouvelles actions de croissance par un ou des enfants est trop contraignante et risquée pour les parents propriétaires. En résumé, un gel successoral permet le verrouillage de la valeur actuelle des actions et donc de « geler » l’impôt à payer à ce moment dans le temps. Un gel successoral permet au propriétaire successeur, en l’occurrence la fiducie, de devenir un actionnaire avec un apport de capital minimal et de participer à la croissance de l’entreprise dans l’avenir. Dans le cas où le propriétaire fondateur de l’entreprise a plus d’un enfant, ce dernier peut inclure tous les enfants comme bénéficiaires discrétionnaires de la fiducie. Puisque ce dernier agit à titre de fiduciaire, il pourra déterminer comment les actions de l’entreprise devront être réparties selon la participation de chaque enfant dans l’entreprise. L’attribution future des parts de la société aux divers bénéficiaires résidant au Canada pourra se faire sur une base d’imposition différée en vertu du paragraphe 107(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »), et ce, avant le 21e anniversaire de la fiducie.
De façon à ce que la structure soit durable, une planification de la retraite est recommandée pour le ou les propriétaires de manière à déterminer si la valeur des actions de gel et des autres actifs financiers ainsi que les revenus envisagés dans les années qui les séparent de la remise des actions de croissance détenues par la fiducie aux bénéficiaires élus procurent l’indépendance financière souhaitée.
Quoiqu’au moment du gel on ait l’impression d’avoir beaucoup de temps devant soi pour prendre des décisions, l’expérience nous a démontré que bien des événements peuvent survenir au cours de ces 21 ans, d’où la précaution additionnelle de prévoir à l’acte de fiducie la création de sociétés privées à contrôle canadien à titre de bénéficiaires potentiels ou encore la société de portefeuille créée lors du gel ou au préalable.
Ce préambule sert d’entrée en matière pour illustrer des stratégies de gestion de risques au moyen de l’assurance vie. Rappelons-nous d’abord que les règles sur les biens en immobilisations ne s’appliquent pas à l’assurance vie, que cet instrument financier n’est pas visé par les règles de disposition réputée au paragraphe 70(5) L.I.R. ni par la disposition réputée après 21 ans applicable à certaines fiducies.
Prenons l’exemple de la Société BCD d’une valeur marchande de 10 M$ au moment du gel successoral. Monsieur et Madame alors âgés de 48 ans sont actionnaires à 50 % chacun. Parents de trois enfants dont deux ont fait leurs débuts à temps complet dans la société depuis la fin de leurs études et un troisième terminant des études d’ingénieur; ils ont confiance en leur relève.
Vingt ans ont passé… et voyons les quatre hypothèses suivantes :
- La relève est établie et le transfert des actions est imminent (tous les enfants sont impliqués dans la société).
- La relève est établie, un des enfants n’est pas impliqué dans la société.
- Pas de relève, les deux enfants impliqués dans la société lors du gel ont quitté celle-ci et il n’y a aucun bénéficiaire apte à recevoir les actions.
- Un bénéficiaire non résident est bénéficiaire de la fiducie.
L’approche de la gestion des risques
Il est d’usage lors d’un gel d’évaluer l’impôt latent sur la disposition réputée desdites actions et de souscrire une assurance vie au premier ou second décès selon la situation matrimoniale du ou des actionnaires. Cette protection de nature permanente est souvent souscrite par la société de portefeuille des parents. Dans le cas où ces derniers envisagent un épuisement de leurs actions privilégiées au fil du temps à titre de revenu de retraite, il est possible que le produit d’assurance vie soit en partie de nature temporaire ou dégressive. Il en va des objectifs de chacun quant à l’usage des actions de gel dans le futur. La prudence est de mise en ce qui concerne la planification des avoirs à la retraite.
Mais qu’en est-il de la situation fiscale des bénéficiaires de la fiducie, une fois les 21 ans révolus?
Notre premier réflexe est de se rappeler le but premier de cette structure, soit de différer l’impôt sur le gain en capital des nouvelles actions ordinaires émises au nom de la fiducie discrétionnaire en les attribuant aux bénéficiaires désignés au moment opportun.
1) Si tout se passe comme prévu, les enfants actifs au départ seront toujours au rendez-vous et désireux de prendre la relève. Les parents seront à l’aise avec le transfert des actions de croissance à ces derniers et l’objectif aura été atteint de procéder à la remise en franchise d’impôt. Cependant, si un décès prématuré survenait parmi les enfants devenus actionnaires, non seulement l’impôt sur le gain en capital serait-il exigible que des liquidités pour financer la convention entre actionnaires mise en place lors du transfert seraient requises. En effet, il est primordial qu’une convention entre actionnaires aille de pair avec le transfert, de manière à garder les actions dans l’actionnariat familial direct afin que la succession des enfants ne se départisse des actions en faveur des autres actionnaires.
2) ll va sans dire que, si les parents ont attribué des actions à l’enfant inactif dans la société, ce dernier cherchera à les vendre ou du moins à obtenir un revenu de dividendes. Une assurance au premier décès sur la vie des parents permettrait de créer des liquidités dans la société pour que les deux enfants actifs puissent racheter les parts de l’autre ou récupérer les sommes qu’ils auront versées dans le temps pour le rachat graduel des actions. Qui plus est, une telle protection pourrait servir à compenser le legs des actions à certains enfants en générant des liquidités pour l’enfant non impliqué dans la société.
3) et 4) Si, à l’approche de l’anniversaire de la fiducie, les enfants actifs au départ ont changé de carrière et que certains ont quitté le pays pour de bon, les actions de croissance pourront être attribuées à la société de portefeuille, bénéficiaire de la fiducie dont les actionnaires sont les parents, toujours canadiens. On revient tout de même à la case départ puisqu’au dernier décès des parents, l’impôt sur le gain en capital sera exigible. Dans cette situation par contre, il est possible que l’entreprise soit vendue à des tiers en cours de route.
Quoi qu’il en soit, il est préférable de prévoir les coups au moment du gel et de se projeter dans le temps en tenant compte des objectifs successoraux de la famille.
Étant donné la durée de la fiducie, de la possibilité que les actions de croissances aillent aux parents, que les enfants aient à financer une convention entre actionnaires, une assurance vie temporaire de 20 ans ou encore une protection permanente pourvue d’une table de mortalité renouvelable annuellement pourrait être mise en place sur la vie de tous les intervenants alors qu’ils sont vraisemblablement assurables.
Dans l’hypothèse où les nouvelles actions ordinaires sont remises aux parents après 20 ans, que la valeur de ces actions s’élève à 10 M$ et que les actions de gel n’ont pas été épuisées, les parents auront à leur décès une facture d’impôt de plus de 5 M$ selon le taux d’imposition actuel sur le gain en capital. Ces derniers pourraient souscrire, au moment du gel, une assurance vie permanente de 2,5 M$ et une assurance temporaire du même montant au cas où ils retiendraient l’actionnariat. Autrement, cette protection pourra servir à équilibrer la succession comme on l’a vu précédemment. Compte tenu de l’évolution de la situation au cours des 20 ans, la protection temporaire pourra être transformée en protection permanente selon la tournure des événements.
Il est probable que la protection visant le paiement des impôts latents sur les actions de gel soit détenue dans la société de portefeuille des parents et que les assurances sur la vie des enfants soient détenues dans la société en exploitation pour le rachat des actions et la protection des personnes clés.
En gestion de patrimoine, la diversification parmi les catégories d’actifs s’étend aussi au mode de détention desdites catégories d’actifs. Selon le régime ou la structure juridique utilisée pour détenir les biens, l’incidence fiscale sera au cœur de la stratégie de placements.
L’assurance vie comme instrument de diversification pourrait servir divers besoins dans le temps. Dans le cas où la souscription d’une protection temporaire n’a pas eu lieu au moment du gel ou encore que la transformation en assurance permanente est de mise, il y aura lieu de se questionner sur le mode de détention de la police.
Si des liquidités sont disponibles de manière personnelle, on pourrait utiliser les avantages de la désignation de bénéficiaires pour partager le capital-décès et le compte d’accumulation en fonction des besoins. On pourra louer le capital-décès à la société en exploitation ou à la société de portefeuille qui présente un besoin de liquidités au décès. En effet, la détention individuelle des polices d’assurance vie n’empêche pas la désignation corporative du produit d’assurance vie afin de financer une convention entre actionnaires, par exemple. La répartition des coûts entre le titulaire et le bénéficiaire serait établie en fonction de la durée estimative du besoin. (T10-20-30 viager), et ce, en gardant à l’esprit que le coût de base rajusté est attribué à la société bénéficiaire aux fins du calcul du compte de dividendes en capital. Ainsi, en diversifiant le portefeuille de placement personnel au sein des valeurs accumulées de la police, on continue de détenir personnellement les placements et d’y avoir accès en partie du vivant par voie d’emprunt ou de levier. Qui plus est, en cas de perte d’autonomie physique et/ou cognitive, les valeurs accumulées sont souvent accessibles en franchise d’impôt directement dans les mains de l’assuré.
Conclusion
De par sa nature flexible, l’assurance de personnes est au cœur de toute planification financière en vue de la retraite et de la succession auprès des familles et des entrepreneurs qui souhaitent disposer de liquidités au moment où l’implanifiable survient.
EXERGUES
- De façon à ce que la structure soit durable, une planification de la retraite est recommandée pour le ou les propriétaires de manière à déterminer si la valeur des actions de gel et des autres actifs financiers ainsi que les revenus envisagés dans les années qui les séparent de la remise des actions de croissance détenues par la fiducie aux bénéficiaires élus procurent l’indépendance financière souhaitée.
- Quoi qu’il en soit, il est préférable de prévoir les coups au moment du gel et de se projeter dans le temps en tenant compte des objectifs successoraux de la famille.
- En gestion de patrimoine, la diversification parmi les catégories d’actifs s’étend aussi au mode de détention desdites catégories d’actifs. Selon le régime ou la structure juridique utilisée pour détenir les biens, l’incidence fiscale sera au cœur de la stratégie de placements.
Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, Volume 23, no 1, mars 2018.