Selon le dernier Global Sustainable Investment Review, datant de 2018, le marché de l’investissement responsable a augmenté de 25 % mondialement entre 2016 et 2018. Le même rapport indique qu’au Canada, la réduction du risque, suivie des bonnes performances et de la demande croissante des détenteurs de fonds pour des investissements plus durables sont les principales raisons de l’augmentation de ce type d’investissement.
De nombreuses agences de notation extra-financières se sont développées pour répondre à la demande de quantification des facteurs d’évaluation comme MSCI ou Sustainalytics par exemple.
Dès 2014, Novethic, média référence de l’économie responsable, dressait un état des lieux de 40 d’entre elles en fonction des domaines de spécialité et des types d’activités, soit un grand nombre d’agences dont les notations ne sont pas toujours corrélées ou convergentes, au contraire des agences de notation de crédit traditionnelles. Aujourd’hui, il n’existe donc pas encore d’indices globaux génériques mais plutôt une série de critères que chacun interprète en fonction de sa zone géographique et du type d’entreprise qu’il analyse.
Dans ce contexte, l’Institut canadien des dérivés a parlé à Vincent Beaulieu, Chef Risque et Investissements Responsables chez Fiera Capital qui nous a partagé l’expérience de la société de gestion de placement gérant plus de 171 milliards de dollars au 30 juin 2020 sur l’utilisation de ces indices et les défis actuels du secteur.
Chez Fiera Capital, « les clients s’attendent de plus en plus à un minimum d’intégration des facteurs Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) ». Vincent Beaulieu est responsable de faire un suivi de performance et risque des investissements avec une approche centralisée afin de s’assurer que les gestionnaires aient les bons outils et les bonnes formations pour prendre leurs décisions d’investissement.
Lors d’une analyse fondamentale, une équipe peut par exemple choisir d’étudier l’investissement au travers de deux volets. Il y aurait d’abord la revue financière traditionnelle de la firme, mais aussi « toute une analyse des vents de face, et de dos pour la compagnie en question […] et c’est souvent à cet endroit que les critères E, S et G vont être considérés » dans cet exemple de Vincent Beaulieu. Et d’ajouter que chez Fiera, à titre de membre signataire de l’UNPRI (United Nations Principles for Responsible Investment) la société de gestion de placement exige un minimum d’intégration des facteurs ESG au sein de ses équipes et doit rapporter chaque année ses efforts sur l’étendue de sa plateforme d’investissement.
Par ailleurs, selon les objectifs et valeurs du client, il est possible d’ajouter tout un éventail de stratégies d’investissement responsable, qui peuvent aller du filtre négatif (exclusion des entreprises qui génèrent plus de 10 % de leurs revenus dans les secteurs comme l’armement, la pornographie, les jeux, l’alcool, le tabac…) en s’affinant jusqu’à l’investissement d’impact, tout en passant par le filtre positif pour les entreprises dites « best-in-class ».
Quelle place prennent alors les agences de notation extra-financières dans l’élaboration de cette méthode ? Fiera Capital a opté pour l’approche MSCI ESG Research depuis 2016. Les gestionnaires de fonds utilisent les rapports de recherche ESG élaborés avec la méthodologie MSCI et peuvent également aller chercher la donnée brute sur certains facteurs. Selon Vincent Beaulieu, le choix de l’agence de notation extra-financière « se fait sur la couverture, le prix, et l’appréciation de la donnée par les gestionnaires », c’est-à-dire des données compatibles avec leurs méthodes et outils, comme Factset ou Bloomberg.
Pourquoi observe-t-on une convergence pour les agences de notation de crédit et pas pour les agences de notations extra-financières ? « Les agences de notation de crédit existent depuis plus longtemps et bien qu’elles aient commencé à intégrer les facteurs ESG dans leur notation de crédit, au final elles tentent toujours de répondre à une seule et même question : est-ce que la firme a la capacité de rembourser ses créanciers ? ».
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De l’autre côté, la convergence des notations extra-financières est compliquée à obtenir car les objectifs sont différents. Il faudrait d’abord s’accorder sur le choix des facteurs et ensuite sur leur incidence. Quelle sera alors l’importance relative d’un facteur ESG par rapport à un autre ? « Les agences utilisent des niveaux déclencheurs tellement différents que l’agrégation de tous ces facteurs ESG peuvent donner des scores ESG aussi extrêmement différents ». Les analyses mettent également souvent en avant la matérialité financière, mais il faut se rappeler que « si un critère ESG n’a pas de matérialité financière, cela ne veut pas nécessairement dire qu’il ne doit pas être considéré ».
La « temporalité » semble donc être un enjeu majeur pour le secteur. Par exemple, aujourd’hui, « l’accessibilité à l’information et la prolifération sur les réseaux sociaux font en sorte que certains enjeux ont plus d’incidences financières qu’autrefois ». On en a eu un aperçu récemment avec Ubisoft à Montréal, même si on évalue difficilement l’incidence sur la santé financière.
Finalement, les défis contemporains concernent aussi l’accessibilité aux données : mieux divulguer les informations pour les entreprises, mieux les agréger pour les agences de notation et éduquer les gestionnaires de fonds sur la signification et les incidences à long terme des informations mises de l’avant.
« C’est un effet cascade qui commence par le détenteur d’actif, celui-ci va nous donner des mandats de plus en plus précis en fonction de ses intérêts et des normes actuelles. La cascade continue ensuite au niveau des compagnies car on va avoir des dialogues plus fréquents avec les entreprises pour respecter les mandats et, au fur et à mesure des échanges, elles seront encouragées à se poser des questions, se mesurer et divulguer ».
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