Selon le récent rapport de statistiques de la Bank for International Settlements, il est en continuelle expansion et les titres représentent un bon effet de levier pour les investisseurs informés. Les dérivés météorologiques (ou climatiques), utilisés pour se prémunir des risques relatifs au climat et à ses fluctuations quotidiennes inévitables, ne font pas exception à la règle.

Tandis que la majorité de leurs échanges se fait de gré à gré, la Chicago Mercantile Exchange (CME) est à ce jour l’une des seules Bourses mondiales à encore transiger des produits dérivés météorologiques. Lancés en 1999, c’est aujourd’hui dans 3 continents, dont plus de 30 villes, que la Bourse de Chicago vend ses produits. En Europe, le marché à terme britannique London International Financial Futures and options Exchange (LIFFE) a transigé des produits dérivés climatiques dans le passé, appuyé par l’essor des organismes indépendants de calcul d’indices climatiques, comme Météo France ou Euronext. Cependant, au fil des années, la LIFFE a écarté le marché des dérivés climatiques, faute d’intérêt, bien qu’un gros volume de gré à gré soit toujours transigé à Londres.

Il faut dire que la demande d’entreprises dont l’activité est affectée par les risques liés au climat est bel et bien réelle, surpassant parfois les risques de change ou de matières premières, selon Jean-Louis Bertrand, spécialiste de la gestion des risques climatiques chez Metnext. De plus, la précision des moyens de mesure actuels, la fiabilité des historiques ainsi que la disponibilité des données climatiques recueillies ont démystifié l’approche du marché.

Les secteurs les plus concernés sont aujourd’hui ceux de l’agriculture et du tourisme, qui présentent de nombreux sites attractifs été comme hiver ; les compagnies de transport, car les flux aériens sont très impactés par le vent, la neige ou encore le gel ; et les municipalités, qui sont sujettes aux conditions météorologiques ponctuellement lorsqu’il s’agit d’accueillir des événements locaux ou de mettre en place les activités de service communales, telles que le déneigement des rues, par exemple. Au niveau mondial, environ un tiers du PIB dépend du climat, selon Pierre Saint-Laurent, Professeur à HEC Montréal et chargé de projet à l’Institut canadien des dérivés.

Alors malgré l’abondance d’acteurs potentiels, et la diversité des indices météo, pourquoi encore relativement peu de marchés, organisés ou non, développent-ils ces couvertures financières, notamment au Canada? 

Afin de mieux comprendre cet univers complexe, Alain Brisebois, le président de la société québécoise de trading d’électricité CWP Energy, a accepté de répondre à nos questions. Au quotidien, Alain. Brisebois est responsable du « trading d’électricité physique et financière dans les marchés non réglementés en Amérique du Nord ». Il nous explique que le trading d’électricité est « fortement impacté par les écarts de météo […], non seulement de température mais aussi l’ensoleillement, le vent, les tempêtes, etc. », impactant la génération de cette dernière. CWP Energy fait donc face à « des sauts de prix extrêmes, positifs ou négatifs », dans le but d’aligner l’offre à la demande, ce qui est l’un des enjeux principaux de cette activité.

Étant actrice directe des marchés financiers, la compagnie connaît bien les produits dérivés météorologiques. Néanmoins, elle n’est pas encore arrivée à en déterminer une utilisation propre, entre autres pour la simple et bonne raison que les contrats existants, très spécifiques et axés sur la température journalière uniquement, ne répondent pas à sa panoplie de besoins.

Cette problématique est l’une des raisons qui peut expliquer la réticence des entreprises à investir dans la couverture par les produits dérivés. En effet, selon Alain Brisebois, « la réalité des professionnels qui ont besoin de ces produits-là va au-delà des standardisations offertes par des marchés tels que le CME ». Bien que le marché OTC pourrait alors être une solution pour la personnalisation des transactions, il contribue toutefois à des primes plus élevées et au risque de contrepartie. Devant ce cercle vicieux du risque, peu d’acteurs s’aventurent sur le marché; sans oublier, nous rappelle Alain Brisebois, que les transactions de gré à gré entraînent un problème de valorisation de l’actif, un traitement spécial pour l’audit et des formalités supplémentaires pour répondre aux entités réglementaires.

Une autre raison qui pourrait représenter une barrière à l’entrée de ce marché, nous dit Alain Brisebois, est la complexité des produits, souvent mal expliqués pour les acteurs qui ne font pas directement partie du marché financier. Investir dans les dérivés climatiques devient alors une décision coûteuse et peu informée pour ces sociétés.

Alors devant ce manque d’éducation, comment les compagnies font-elles face à leur risque météorologique? Alain Brisebois nous répond qu’elles optent plutôt pour un type d’assurance adapté à leur business. Quant à CWP Energy, elle adopte une stratégie de « risk reduction »: exposée au risque, elle essaye activement d’en limiter les répercussions en contrôlant la grosseur de la perte potentielle et sa fréquence. En d’autres termes, les gestionnaires gardent les transactions à court terme afin d’avoir une certitude maximale sur la météo environnante, en plus d’encadrer de près leurs prix d’achat pour certains produits.

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Nous avons à présent vu que le marché des produits dérivés météorologiques était un marché peu liquide, qui admet plusieurs freins à l’utilisation, bien que le risque qui lui est sous-jacent est globalement reconnu et affirmé. Alain Brisebois souligne que cela requiert des professionnels un « niveau de sophistication » élevé pour pénétrer cette industrie, quand même des entreprises innovantes et éclairées telles que CWP Energy n’y arrivent pas complètement. Le critère numéro un pour que le marché lève au Canada est alors « l’accessibilité et l’amélioration de la facilité de compréhension de l’instrument, ce qui susciterait un meilleur intérêt ». Toujours est-il, si le marché devient bon et liquide, les assureurs pourraient également y voir une opportunité pour compenser le risque qu’eux-mêmes prennent pour assurer leurs clients, ces fameuses entreprises à risque climatique.

En résumé, nous pouvons conclure que les provinces canadiennes ne sont pas encore prêtes à développer ces instruments financiers. D’ailleurs, les contrats existants couvrent souvent uniquement les grosses villes américaines, comme New York ou Chicago. Il serait pourtant intéressant de se pencher sur le TMX qui transige déjà des contrats à terme agricoles et énergétiques. La Bourse canadienne envisagerait-elle de donner une chance aux dérivés météorologiques?

Alain Brisebois nous confie qu’une part de lui aimerait voir ce marché se développer, pour avoir des options canadiennes mais aussi des acteurs canadiens qui maîtrisent à la fois les « pricing point » canadiens et américains. « Cela nous permettrait de mieux agencer notre portefeuille d’électricité vis-à-vis des risques météo à certains endroits, et de façon liquide, sans que mes compétiteurs le fassent aussi. Même si, bien sûr, la liquidité vient avec les compétiteurs ».