Plus souvent qu’autrement, j’ai tenté de faire œuvre de pédagogie et de vous convaincre que la conformité peut avoir du bon, lorsque prise du bon côté, avec intelligence et pragmatisme.
J’ai cherché à vous donner des trucs, à démystifier les changements réglementaires à venir et à vous outiller pour améliorer votre pratique.
J’ai parfois défendu les régulateurs ou ai pris le temps de vous expliquer pourquoi on en demande autant aux professionnels que nous sommes.
Je crois ce que j’ai écrit et j’assume encore mes 52 chroniques précédentes. Celle-ci sera toutefois différente.
Voilà une dizaine d’années que, de près ou de loin, j’oeuvre dans notre industrie. D’abord en effectuant de la recherche, puis de la rédaction pour ensuite occuper des fonctions de conformité et devenir moi-même représentant de courtier.
Une dizaine d’années où les changements réglementaires ont été nombreux et substantiels en plus de se succéder à la vitesse grand V, du moins le croyais-je.
C’était sans compter sur nos régulateurs et leur hyperactivité réglementaire. Ce que j’appellerais désormais la vitesse de la lumière.
Vous croyez que j’exagère? Faisons la liste ensemble :
– Juin 2015 : dépôt du rapport d’application de la Loi sur la distribution des produits et services financiers par le ministre des Finances du Québec. Une importante réforme est envisagée avec, à la clé, la possibilité que les chambres disparaissent et l’imposition de l’ACCFM au Québec. Un projet de loi et des consultations sont attendus à l’automne 2016;
– Janvier 2016 : Avis de l’Autorité des marchés financiers sur le partage de commission rappelant aux inscrits en valeurs mobilières qu’il est interdit de partager une commission avec un cabinet non-inscrit en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières;
– Avril 2016 : Consultation 33-404 des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) sur le rehaussement des obligations des conseillers et des courtiers envers leurs clients. Cette consultation touche la question du devoir fiduciaire, les titres professionnels, les obligations dans la gestion de la relation avec le client ainsi que les questions touchant la convenance;
– Mai 2016 : Consultation du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance sur l’encadrement des fonds distincts;
– Juin 2016, les ACVM publient un avis annonçant à la fois leur intention de tenir une consultation sur la question de la rémunération dans les fonds communs de placement et leur position à l’effet que la rémunération intégrée, aussi appelée commission de suivi, devrait être abolie. Une consultation suivra à l’automne 2016;
– Juillet 2016, les ACVM ont lancé une consultation sur une proposition de modification au Règlement 31-103 touchant plusieurs éléments.
Notez que j’omets volontairement le livre blanc de l’OCRCVM ainsi que toutes les consultations ou modifications émanant d’OAR ou touchant d’autres secteurs de notre industrie.
Le chef de conformité en moi est fortement préoccupé par la cadence des réformes et des consultations actuellement en cours. Ma préoccupation est partagée par plusieurs et se décline en plusieurs volets.
Premièrement, chaque projet de consultation nécessite une lecture et une analyse approfondie afin d’estimer les impacts, positifs et négatifs, de tout changement proposé. Cette analyse requiert du temps et sollicite une expertise parfois pointue. Autant de ressources qui ne sont pas consacrées ailleurs.
Deuxièmement, chaque réforme réglementaire demande une implantation qui engendre un certain nombre de défis : modifications de règles, de procédures ou de formulaires, formation du personnel et des conseillers, accompagnement, suivis, analyse, mises au point, correction d’erreurs liées aux changements, etc.
Troisièmement, le fait que de nouvelles réformes ou projets se mettent en marche alors que nous n’avons même pas complété le cycle de réforme précédent me semble problématique, principalement sous deux angles : le risque de confusion et l’incapacité de faire un bilan ou d’établir un diagnostic. En effet, comment pouvons-nous évaluer si des modifications réglementaires sont nécessaires alors que nous ne savons pas précisément où nous en sommes et ce qu’ont donné concrètement les vagues de réformes précédentes?
Quatrièmement, l’abondance de consultations concurrentes qui, sous bien des aspects, se recoupent mutuellement ou ont un impact sur une même industrie et le court laps de temps pour les mener toutes risquent de nous donner un portrait erroné ou incomplet de la situation actuelle mais, surtout, une mauvaise évaluation des impacts résultant de l’implantation de telles réformes.
J’ai l’impression d’être client d’un restaurant où il n’existe pas de recette et où les cuisiniers ajoutent sans arrêt (et de plus en plus vite) des ingrédients sans prendre le temps de goûter pour savoir si l’assaisonnement est adéquat ou non.
Attachez votre tuque avec de la broche. Les prochains mois seront exigeants pour l’équipe de conformité de votre organisation, mais les prochaines années pourraient, si nous ne sommes pas entendus, être exigeantes pour tous les conseillers.
C’est à se demander quel est l’avantage réel du régulateur intégré qu’est l’AMF si la vision d’ensemble qu’il devrait permettre est fragmentée en autant de projets de réformes présentés avant même que le bilan des précédentes ne soit fait.
Au moins, on peut se dire que rien ne dort sur les tablettes puisque rien n’a le temps d’y être posé…
C’est d’autant plus ironique que la présidence des ACVM est assurée par le PDG de l’AMF, Louis Morisset, et que la présidence du CCRRA est assurée par son collègue Patrick Déry, surintendant à l’AMF.
Je les connais comme des hommes pragmatiques et intelligents. Espérons qu’ils sauront inscrire leur présidence sous ce signe et que ce qui est en marche aujourd’hui ne soit qu’une erreur de parcours.
Ceci dit, bien que mon inquiétude soit réelle et que je sois persuadé qu’elle soit fondée, il y a, dans certains de ces projets, des idées qui méritent d’être débattues et peut-être d’être adoptées. Je pense entre autres à la réglementation des fonds distincts et aux titres professionnels.
Il serait simplement temps de prendre un pas de recul, une pause, de faire un vrai bilan complet et réaliste pour ensuite déterminer ce qu’on doit faire afin d’assurer la protection du public ainsi que l’efficience et la concurrence de notre industrie. Car sans efficience ou concurrence, la protection et l’intérêt du public pourraient fort bien être en danger.
Si vous m’avez suivi jusqu’ici, malgré cette chronique un peu longuette, et que vous partagez ma vision, rendez-vous service à vous, à moi, à l’industrie et au public. Faites entendre votre voix. Prenez la plume et participez aux consultations. Prenez la parole et exprimez-vous. Utilisez des arguments, pas des coups de gueule. Ne recopiez pas en centaines de copies une lettre, prenez du temps pour faire la vôtre.
Si nos clients, notre industrie, notre gagne-pain et tout ce qui vient avec n’en vaut pas la peine à vos yeux, restez assis bien confortablement… jusqu’à ce que votre siège ne soit justement plus du tout confortable.
La partie n’est pas terminée mais la balle est en jeu.