Pourtant, s’il fallait se coller à cette logique, le monde serait une spirale infinie d’incohérences et de reculs. Alors prenons ce bâton de pèlerin et attaquons-nous à celui qui nous afflige en ce moment : la « saison des REER ».
Au fonds, c’est un peu notre Frankenstein à nous.
Alors qu’on prône la discipline financière et la rigueur budgétaire, on met tous nos efforts marketing et de communication à inciter, pendant quelques semaines, nos clients à investir dans leur REER. Certains en viennent même à penser que c’est pour un temps limité seulement!
Alors qu’on prône les vertus de l’épargne systématique, on invite nos clients à donner un grand coup avant le 1ermars, y allant même de prêts-REER ou d’opération de grattage de fonds de tiroirs.
Alors qu’on cherche à optimiser le traitement fiscal de nos clients et leur littéracie financière, on met de l’avant le sacro-saint REER sur la scène bien en évidence et on passe trop rapidement sur tellement d’autres options intéressantes.
Oui, je sais, c’est une caricature. Tous les conseillers et tous les courtiers ne vont pas aussi loin et la plupart ont même une approche beaucoup plus axée sur les besoins réels du client, son éducation et sa santé financière.
Mais collectivement, comme industrie, nous sommes prisonniers de ce monstre que nous avons créé et que plusieurs joueurs entretiennent parce qu’on veut connaître une « bonne saison REER » et atteindre nos objectifs.
Comme si, sans cela, l’année sera vraisemblablement fade et décevante. Comme si l’argent qui n’aurait pas été investi dans cette période critique se volatiliserait comme par magie. Comme si nos clients ne peuvent entendre parler de leurs finances que pendant cette période critique.
Si vous êtes un conseiller organisé qui a su insuffler discipline et rigueur à ses clients en vantant les vertus de l’épargne systématique, vous lirez cette chronique avec le sourire amusé de celui qui sait être au-dessus de la mêlée.
Vous êtes aussi un spécimen beaucoup trop rare.
Car l’essentiel de vos collègues travaillent actuellement d’arrache-pied (et n’auront malheureusement pas le temps de lire cette chronique) pour faire la tournée de leurs clients ou répondre à leurs nombreux appels et réussir à franchir la ligne d’arrivée du 1ermars prochain avec honneur (et la langue à terre).
Cette course folle, en plus de concentrer des énergies considérables qui auraient pu être déployées sur une période plus longue avec, possiblement, de meilleurs résultats, a aussi des conséquences moins connues qui sont pourtant tout aussi importantes.
En effet, toute industrie qui doit vivre avec des fluctuations de volumes importantes au cours d’une année vous dira que cela emmène son lot de défis et de problèmes.
Quand cette industrie doit composer avec la météo ou les saisons, on sait qu’on n’y peut pas grand-chose.
Mais nous? Oh que si.
En cessant d’agir et de communiquer comme si c’était LA saison des REER. En mettant les efforts nécessaires pour que les conseillers accompagnent leurs clients de manière plus régulière tout au long de l’année et promeuvent de saines habitudes d’épargne et d’investissement. En cessant de mettre sur un piédestal le REER alors que, dans beaucoup de cas, d’autres régimes sont mieux adaptés à la situation des clients.
Ce ne sera pas magique, mais avec le temps, les clients arrêteront peut-être de vouloir « s’acheter un REER » et voudront plutôt se donner les moyens d’atteindre leurs objectifs financiers.
Ça sera mieux pour eux.
Mais aussi pour nous.
Car si un conseiller choisi de s’imposer ces cycles de hauts et de bas en mettant toute la gomme dans « sa saison REER », il croit peut-être que son choix n’engage que lui.
Pourtant, ces périodes de pointe artificielles ont des conséquences importantes sur les organisations qui les chapeautent, courtiers et agents généraux, et sur tout le dévoué personnel qui donne vie à ces organisations.
Qui dit période de pointe dit embauche temporaire, formation accélérée, stress, fatigue et risque d’erreurs accru.
On se félicite d’avoir une « bonne saison REER » mais on calcule peu les coûts indirects que cela entraîne.
Pourtant, cela fait partie de notre travail : gérer, planifier, prévoir.
Une chance que l’ironie n’est pas mortelle. Ça nous permettra de survivre à une autre saison REER…