À la seule lecture de cette expression, « fatigue réglementaire », je me suis extasié : enfin un nom pour qualifier le sentiment ambiant et, surtout, le sentiment qui m’habite depuis un certain temps.
Clarifions tout de suite un point ici : ceci n’est pas une complainte ou une tentative d’être pris en pitié. Ceci est un drapeau rouge levé pour rappeler qu’un éléphant se mange une bouchée à la fois.
Un troupeau d’éléphants, c’est encore plus vrai.
Voilà quinze années que le rythme des réformes réglementaires est effréné. Une réforme n’attendant pas l’autre et l’autre n’attendant pas forcément le bilan de l’une.
Je ne doute pas que la volonté des régulateurs est de répondre à l’évolution constante de la réalité des affaires. Je ne doute pas non plus de sa volonté de protéger le public.
Ce dont je doute parfois, c’est de leur capacité à évaluer correctement le niveau d’effort requis de la part de l’industrie pour participer aux consultations, analyser les changements proposés, mettre en œuvre ces changements et en assurer l’application dans le temps.
J’ai parfois l’impression que les régulateurs associent l’industrie à Obélix dans Astérix et les douze travaux. Vous vous souvenez de cette épreuve où Obélix doit manger tout ce que Mannekenpix, le cuisinier des Titans, lui servira?
Bien entendu, Obélix réussit haut la main et en redemande même! Mais c’est une œuvre de fiction. Personne, dans la réalité, ne pourrait en faire autant. Tout comme l’industrie commence à être saturée de la cadence réglementaire actuelle.
J’ai déjà appelé à plusieurs reprises dans le passé à marquer un temps d’arrêt, à prendre le bénéfice que nous offre la réflexion et la concertation pour en arriver à un encadrement adapté au monde moderne et changeant.
Cet appel comprenait implicitement un encouragement à l’Autorité des marchés financiers d’assumer pleinement son rôle de régulateur intégré et à le faire, au besoin, avec audace en tenant le fort face à la réglementation en silo poussée par les autres régulateurs.
Cet appel avait pour seul but d’en arriver à un modèle plus cohérent entre les disciplines, plus cohérent pour l’industrie et, surtout, plus cohérent pour le consommateur.
Car pendant qu’on débat des structures d’encadrement des OAR, le client se demande encore (si on est chanceux) la différence entre un conseiller en sécurité financière, un représentant de courtier, un gestionnaire de portefeuille et un planificateur financier.
Pendant qu’on débat de réformes axées sur le client, le client se dépêtre encore dans une tonne de documents, de divulgations et de communications qui sont parfois si intimidants ou redondants qu’elles restent bien sagement dans une enveloppe qui ne sera jamais décachetée.
Pendant qu’on débat de structures de rémunération, encore trop de gens n’ont pas accès aux conseils et à l’accompagnement d’un professionnel qualifié et encadré pour les aider.
Oui, l’encadrement, la communication et la rémunération sont importants. D’autres sujets le sont également.
Mais en les traitant en silo, un par un, on perd de vue l’ensemble de la situation. On porte flanc à des intérêts ciblés et corporatistes. On étire à l’infini les processus de consultation, de modification et d’implantation des réformes où l’un suit l’autre de manière rapprochée dans le temps de sorte que ce n’est pas un marathon, c’est un ironman.
Et encore, l’analogie est faible.
Cela peut encore passer pour les grandes organisations qui ont au moins le bénéfice d’avoir des équipes dédiées à cela. Pas que cela doit leur faire plaisir d’y investir autant de ressources mais, au moins, elles ont ces ressources. De sorte que, pour ces grandes organisations, c’est un ironman à relais.
Pour les organisations de taille modeste, c’est le même athlète qui couvre la distance seul bien souvent, ou presque.
C’est pour cela qu’on parle de fatigue réglementaire.
Dans un monde semi-confiné qui lutte contre un virus sournois et où nous commençons à peine à prendre la mesure des effets de tout cela sur la santé, mentale et physique, des individus, plusieurs associent le sentiment ambiant à une charge mentale qui s’alourdit chaque jour qui passe.
La fatigue réglementaire, c’est une charge mentale qui dure depuis 15 ans.
Ça serait bien qu’on en parle…