En effet, si nous avons tous été étourdis par l’ampleur et la rapidité de la chute en plus d’apprivoiser le monde pandémique qui se dessinait devant nos yeux, la vigueur et l’aplomb de la reprise boursière aura, elle, créé une euphorie qui ne s’estompe pas encore aujourd’hui.
Ces jours-ci plus que jamais, de nombreux investisseurs cherchent à augmenter sensiblement le niveau de risque de leur portefeuille et recherchent des rendements toujours meilleurs et rapides, malheureusement souvent au détriment de la qualité.
Comme si la dernière année leur avait donné la preuve que rien ne peut les arrêter, que l’on peut tout surmonter rapidement et facilement sans trop de dommage à condition de garder la foi.
Après tout, certains ont fait fortune dans la dernière année parce qu’ils ont été visionnaires et avisés. Alors pourquoi pas eux?
Et voilà que cette idée se répand rapidement dans la rue grâce, entre autres, aux réseaux sociaux et même à certains médias plus traditionnels.
Les conseillers consciencieux se seront donné la mission de tempérer les ardeurs de ceux qui sont trop téméraires, tout comme, il y a un an, ils s’efforçaient de rassurer leurs clients et de les convaincre de ne pas prendre de mauvaises décisions sous le coup de l’émotion.
Mais voilà, tous les investisseurs ne bénéficient pas des conseils d’un conseiller compétent, certifié et professionnel.
Certains investisseurs qui en ont un sont, eux, tentés de le mettre en sourdine pour tendre l’oreille aux chants des sirènes qui résonnent un peu partout et tous les jours un peu plus fort. Pourquoi se contenteraient-ils d’un portefeuille où tous les titres ne surperforment pas autant que la saveur du jour sur Reddit?
Le conseiller consciencieux risque donc de paraître trop conservateur et de perdre l’adhésion de certains de ses clients… et ce sont ces derniers qui seront les premiers perdants.
Les plus expérimentés d’entre nous soutiendront, avec raison, que ce n’est pas la première fois que cela se produit. L’histoire financière est riche de ces périodes où des investisseurs de salon, surfant sur une mode ou étant convaincus d’avoir trouvé l’Occasion du siècle se ruent vers un titre ou un secteur, le faisant ainsi gonfler jusqu’à l’éclatement.
Ce qui différencie cette fois-ci des autres, c’est que le recours aux outils technologiques et aux médias sociaux rend le tout beaucoup plus accessible au commun des mortels à un coût plus abordable que jamais.
Les ruées d’investisseurs suivant le chant des sirènes sont plus rapides et massives en plus d’avoir des conséquences directes sur les marchés.
Le récent exemple de l’affaire GameStop nous l’a démontré.
Personnellement, mon sujet d’inquiétude dépasse les contrecoups que ce genre de mouvements créent sur les marchés.
Ma pensée première est plutôt pour l’investisseur de salon qui n’est pas motivé par de mauvaises intentions, qui veut juste essayer d’avoir sa part de gâteau.
Ce n’est pas lui qui joue à la sirène et qui chante.
Ce n’est pas lui qui initie les mouvements.
Ce n’est pas lui qui est dans le peloton de tête.
Ce n’est pas lui qui a les moyens de perdre beaucoup.
Non.
C’est lui qui veut y croire parce qu’il aura de la difficulté à réaliser ses objectifs financiers et ses rêves autrement.
C’est lui qui se fait influencer par les amis, les collègues, la famille et tout ce qu’il trouve sur le web.
C’est lui qui misera beaucoup trop, proportionnellement à sa situation, sur la saveur du jour.
C’est lui qui entrera trop tard dans la danse, au moment où la fête prend fin, et qui devra se farcir le ménage.
Un peu comme la dernière victime qui se joint à un schéma pyramidal que la police démantèlera, il n’aura jamais le temps d’en profiter et perdra, en plus de ses illusions, beaucoup trop d’argent pour ce qu’il pourrait se permettre.
Quand on observe cette scène, on comprend mal pourquoi il n’y a pas plus de mises en garde de la part des régulateurs et des gouvernements.
On comprend mal également que les plates-formes de courtage à escomptes puissent faire des publicités aussi agressives qui amplifient le chant des sirènes sans être inquiété d’aucune manière.
On comprend mal que des changements réglementaires viennent mettre en péril l’accessibilité au conseil pour le marché de masse, pour l’investisseur de salon.
Mais ce que je comprends, moi, c’est que le conseil n’a jamais eu autant de valeur, même s’il est largement sous-estimé, quoiqu’en disent les gouvernements et les régulateurs.
Gardons espoir : on finira bien par prouver que les sirènes n’existent pas. Entretemps, il faut garder le fort et résister aux assauts grâce à notre professionnalisme, nos compétences et notre rigueur.