Bien que je n’aie personnellement pas connu cette époque, j’ai cessé de compter le nombre de fois où on m’a raconté qu’il fut un temps où les courtiers et représentants n’avaient même pas à demander pour recevoir des cadeaux et avantages qui dépassent aujourd’hui nos rêves contemporains les plus fous : voyages à travers le monde pour des conférences tous frais payés, ordinateurs, mobilier de bureau, etc.
Avec nos yeux de 2018, ce genre de pratique est clairement répréhensible et on a du mal à imaginer qu’à une époque pas si lointaine, il s’agissait d’une réalité beaucoup mieux acceptée par plusieurs joueurs de l’industrie.
C’est que l’intervention des ACVM a tellement encadré les pratiques commerciales des organismes de placement collectifs (OPC, également appelés compagnies de fonds) qu’on a longtemps cru que la question était réglée. L’industrie s’était pliée aux règles établies qui balisent clairement ce qui est permis ou pas en basant les avantages autorisés sur le principe de la raisonnabilité.
C’était sous-estimer l’appétit commercial de certains joueurs et l’absence très claire de principes moraux qui auraient pu agir comme remparts à cet appétit.
Alors, comme le jour de la marmotte, certaines pratiques sont revenues : loge au Grand prix du Canada, conférences à l’étranger avec soirée mondaine à 1000$ par personne, iPad à tous les participants d’une conférence, machines à expresso pour tout le monde et la liste continue.
S’il est admis qu’un cadeau modeste ne conduira pas à l’existence d’un conflit d’intérêts, il est assez facile d’imaginer qu’on puisse se sentir redevable lorsqu’on est invité en Californie pour une conférence, qu’on vous y sert du Dom Pérignon, qu’on vous offre des bijoux de Tiffany et une foule d’autres avantages!
Ce sentiment de redevabilité est plutôt intéressant lorsque vous êtes une compagnie de fonds à la recherche de clients et d’actifs. Encore plus quand les temps sont difficiles, ce qui peut mener à être plus souple sur les principes.
Alors, d’une règle très bien comprise et appliquée par tous, certains ont commencé à étirer l’élastique. Petit à petit, les avantages ont grossi. Un peu comme la grenouille dans l’eau dont on fait tranquillement monter la température, ils ne se sont rendu compte de rien. Ça a pris quelqu’un de l’extérieur pour dire à la grenouille que quelque chose n’allait pas.
Et devinez quoi? La grenouille a été mise à l’amende. De grosses sommes, dans les sept chiffres. Du genre qui fait mal et qui fait perdre la face.
Du genre qui fait aussi revenir au-devant de la scène le débat sur l’encadrement des avantages consentis par les OPC envers les courtiers et représentants. Dans les circonstances, il est de bon ton d’appeler à un encadrement plus strict, à couper dans le gras et à mettre au pas une industrie qui carburerait aux conflits d’intérêts.
Si la résurgence de ce débat peut être utile afin de mettre fin aux excès, il faut éviter d’en faire une inquisition et d’être plus catholique que le Pape. Il faut également placer cet enjeu dans le contexte d’une industrie qui n’évolue pas en silo.
Réglons tout de suite un point : un weekend au Grand prix du Canada tous frais payés, des bijoux ou un iPad, ce sont clairement des cadeaux d’une valeur qui excède toute raisonnabilité. Là-dessus, la réglementation actuelle est claire – les récentes sanctions le prouvent – et il ne reste qu’à faire de l’encadrement et de « l’enforcement ».
Maintenant, posons-nous les questions sur la réglementation qui encadre les pratiques commerciales des OPC : un resserrement est-il nécessaire? Que reste-t-il à restreindre si les écarts inacceptables sont clairs? Quelles pratiques mettent en situation de conflit d’intérêts les courtiers et représentants?
Un repas au restaurant? Si le repas est raisonnable et dans un cadre d’affaires, il n’y a aucun problème si la pratique ne se répète pas à l’excès. Si un courtier ou un représentant voit son indépendance professionnelle mise à mal par une invitation à un dîner d’affaire, le problème n’est pas le dîner mais la personne qui accepte l’invitation!
Une sortie à un spectacle ou un match sportif? Bien qu’une telle pratique soit dans une zone plus grise, il ne faut pas oublier qu’on ne peut désincarner la pratique des affaires des relations humaines, lesquelles ne peuvent se développer uniquement à coup de colloques, de formations ou de rencontres. Ceci dit, il est possible qu’il soit opportun de baliser la valeur ou la fréquence de tels avantages afin d’éviter les excès.
Le matériel promotionnel? On aura beau offrir un plein camion de stylos-billes que ça ne risquerait pas d’influencer qui que ce soit. Mais qu’en est-il des objets de plus grande valeur? À partir de combien le jugement d’un inscrit peut-il être affecté? À quelle fréquence est-ce raisonnable de remettre de tels objets promotionnels?
Toute évaluation de ces enjeux doit considérer que c’est la dose qui fait le poison. Une simple clarification pourrait régler bien des maux sans pour autant virer le monde à l’envers.
Car un renforcement substantiel de l’encadrement des pratiques commerciales des OPC pourrait avoir pour effet collatéral d’augmenter l’écart, déjà abyssal, entre les pratiques commerciales en valeurs mobilières et celles dans l’industrie de l’assurance.
Un agrandissement de cet écart pourrait augmenter l’avantage concurrentiel dont jouissent déjà certains groupes où les valeurs mobilières et l’assurance de personnes sont intégrées dans une structure corporative sœur et mener à un arbitrage réglementaire pour certains inscrits recherchant un maximum d’avantages.
Cette réalité s’articule autant au niveau des conseillers que des cabinets ou courtiers qui peuvent trouver un avantage certain dans les pratiques commerciales de certains assureurs qui offrent des congrès, voyages, cadeaux ou un soutien financier généreux à leurs bons producteurs.
Les régulateurs, à plus forte raison l’Autorité des marchés financiers de par son statut de régulateur intégré, ont tout avantage à considérer ces éléments s’ils estiment qu’une intervention est requise. Le traitement équitable du consommateur est en jeu.