Commençons par définir ce « nous ». Question épineuse s’il en est une, car elle implique forcément la définition de deux clans. Pour les fins de cette chronique, ce « nous » englobera tout ce qui n’est pas un joueur institutionnel pancanadien en valeurs mobilières.
Car si vous êtes un de ces joueurs, un courtier, filiale d’une institution financière ou d’un assureur quelconque, votre réalité est différente. Vous avez la force du nombre, le poids de vos actifs, le soutien d’une société mère et l’expertise d’une armée de professionnels, d’avocats et… de lobbyistes.
Tout cela est de nature à vous ouvrir les portes, les oreilles et les esprits des décideurs. C’est parfaitement logique.
Sans que les dés soient jetés d’avance, il est certainement plus facile d’être entendu lorsque vous avez, par exemple, des salariés dont le boulot consiste à effectuer des représentations auprès des gouvernements et des autorités, à écrire des mémoires, colliger des données et vous concerter avec les autres joueurs de l’industrie.
Là où certains agissent à temps pleins avec des ressources, nous le faisons sur des heures supplémentaires, en plus de nos tâches de conseiller et de dirigeants tout en conjuguant vies personnelles et familiales.
Au jeu des comparaisons, il est aussi difficile pour nous de faire le poids. Nos quelques centaines de conseillers ou nos quelques milliards de dollars d’actifs sous gestion pèsent peu, statistiquement, face aux milliers et aux dizaines de milliards des autres.
Quand les régulateurs analysent d’un point de vue quantitatif, nous sommes une valeur aberrante.
Quand les régulateurs analysent les impacts d’un changement réglementaire, nous sommes un dommage collatéral.
Nous subissons les contrecoups de décisions que nous devrons nous aussi appliquer et mettre en œuvre malgré nos ressources moins importantes. Nous voyons des sources de revenus disparaître et des coûts s’ajouter.
Bien sûr, on nous dit qu’il n’y a pas de complot pour nous faire disparaître et c’est sans doute vrai.
Mais sans qu’il y ait complot, la négligence peut mener à un résultat parfaitement similaire avec l’œuvre du temps. Ce qui apparait comme un dommage collatéral marginal devient, lorsqu’on l’additionne à tous les autres, une blessure qui marque.
Alors que nous reste-t-il? Quand la force de nos arguments ne fait pas le poids? Quand nos chiffres ne peuvent rivaliser avec ceux de mastodontes? Quand il est évident que nous n’aurons jamais autant d’heures dans une journée à consacrer à influencer ceux qui tiennent le crayon de la réglementation?
C’est là que la tentation de déchirer sa chemise se fait sentir. C’est là que le danger de sortir de la zone de l’argumentaire raisonnable et appuyé se manifeste. C’est là qu’il devient séduisant de crier plus fort, de frapper plus fort sur la table et de tout dépeindre de manière caricaturale afin de mettre en exergue les failles qui existent.
Comme si nous y étions condamnés.
Pourtant, c’est faire injure à notre intelligence, à notre expérience, à nos compétences. Nous avons choisi le chemin difficile de l’entreprenariat et de l’innovation, de la prise de risques et de l’investissement de soi pour bâtir des entreprises qui créent des emplois et de la richesse localement.
Depuis plusieurs années, nous avons vu nombre de changements réglementaires se succéder et s’additionner à une cadence qui en a poussé certains à lancer la serviette.
Tous ces changements ne sont pas mauvais, mais ils arrivent toujours à la pièce, sans vue d’ensemble et à un rythme que tous peinent à suivre.
Dernièrement, nous avons appris que nous aurons un nouvel OAR qui regroupera l’ACFM et l’OCRCVM et qui sera reconnu au Québec. Voilà un changement structurel majeur qui a le potentiel de redéfinir le portrait de toute l’industrie.
Pour être honnête, il faut avouer qu’il y a des opportunités dans ce projets.
Pour rester honnête, il faut reconnaître qu’il y a aussi beaucoup d’écueils et de dangers.
Pour être toujours honnête, je dois avouer qu’il est difficile de garder foi dans le processus qui nous mènera à naviguer entre ces écueils.
Après le débat sur les commissions intégrées et la disparition des frais de vente différés, après le rythme réglementaire qui ne s’essouffle pas, après cette annonce de nouvel OAR dans laquelle on sent tout le poids des intérêts des grands courtiers institutionnels pancanadiens, je suis méfiant et je crains d’être encore dans la colonne des dommages collatéraux dont la quantification ne fait pas le poids face aux milliers et aux milliards.
Mais je suis incapable de laisser tomber. Je continue de croire qu’il y a une place de choix pour tout le monde autour de la table. Je persiste à espérer qu’on ne soit pas seulement entendus mais écoutés et crédibilisés. Pas seulement en paroles, mais en actions et que ce nouveau changement protège la diversité de notre industrie qui garantit sa compétitivité.
En continuant d’espérer que ce soient les idées aient du poids plutôt que celui qui les professe.
Ça pourrait maintenir la discussion à un niveau intéressant et sauver quelques chemises.