Je viens de terminer la lecture du dernier livre de Michael Lewis « Flash Boys » qui parle des cambistes qui utilisent des stratégies de transactions à hautes fréquences ( « High Frequency Trading » ou HFT). Michael Lewis explique notamment la stratégie de « front running », c’est-à-dire le fait de devancer les commandes des investisseurs traditionnels, souvent son propre client, pour soutirer un profit sans risque grâce à l’arbitrage entre les différentes places boursières.
Profiter de l’information contenue dans les commandes de transactions des clients est une pratique qui a toujours existé, même si celle-ci n’a jamais été considérée comme désirable. Les firmes de courtage ont historiquement toujours trouvé des façons de contourner la réglementation ou de dissimuler ces pratiques dans un labyrinthe de complexité.
Aujourd’hui, la clé du succès pour transiger profitablement à court terme est la vitesse de transaction qui est, de nos jours, calculée en microseconde. Évidemment, les participants les plus lents dans l’exécution de leurs commandes sont les investisseurs traditionnels. Pourtant, si on demande à l’investisseur moyen si la probabilité qu’il enregistre un profit en transigeant à court terme a augmentée, il répondra par l’affirmative.
En effet, les frais de transactions ont fortement diminué à la suite de la baisse des commissions et de la réduction de l’écart entre le prix offert et le prix désiré à la suite de la décimalisation. Auparavant, le plus petit écart était un huitième de dollar, soit 12,5 cents, mais maintenant il peut être d’un seul et maigre sou. De plus, la durée moyenne de détention d’un titre a chuté d’environ sept ans durant les années 70 à environ dix mois aujourd’hui.
Pourtant, quand on regarde plus en profondeur, on peut être porté à croire que les stratégies de transactions à hautes fréquences ne sont pas nécessairement garantes de profits. Premièrement, Michael Lewis, cite des études qui démontrent que les coûts des stratégies de transactions à hautes fréquences sont loin d’être négligeables. Pour une seule stratégie, le coût annuel dépasse 1 G$. Ces sommes vont engraisser les poches de ces firmes spécialisées dans le HFT qui sont aujourd’hui parmi les mieux rémunérées à Wall Street, et ce, aux dépens de l’investisseur traditionnel.
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Photo : GuySie
En effet, il ne faut pas oublier que les marchés financiers sont ce qu’on appelle des jeux à sommes nulles, c’est-à-dire que ce qui est gagné par un investisseur est nécessairement perdu par un autre. Les profits des stratégies de transactions à hautes fréquences viennent donc par définition du reste du marché.
Les firmes spécialisées en HFT se sont quand même multipliées et attirent les meilleurs cerveaux à cause de la rémunération faramineuse qui y est versée. Elles représentent aujourd’hui plus de 50% de toutes les transactions sur les marchés américains.
On voit donc que la perception que réussir en placement en transigeant à court terme n’est pas aussi certaine que l’on croyait, les coups auparavant visibles sont maintenant des coûts cachés. De plus, il est préférable de se baser sur des arguments plus traditionnels qui défavorisent l’activité excessive et qui s’avèrent depuis toujours des incontournables.
Mathématiquement, la probabilité que le résultat d’une transaction soit aléatoire donc influencé uniquement par la chance, avec une probabilité de 50% de succès et de 50% d’échec, augmente à mesure que l’horizon de temps diminue.
C’est ce que Nicolas Nassim Taleb prouve dans son livre « Fooled by Randomness ». De plus, une décision de transaction en implique deux, soit un achat et une vente. On dit en général que si un investisseur a raison 60% du temps, il est vraiment extraordinaire. Puisqu’une transaction implique en réalité deux décisions, il y a donc une probabilité de 36 % que l’investisseur ait raison à la fois lors de l’achat et de la vente.
Quelle est la conséquence pour l’investisseur traditionnel quelle que soit sa taille? Selon moi, tout investisseur dont le modèle est base sur des horizons de placements de court terme doit sérieusement se questionner, car le système est rempli de biais qui le désavantagent par rapport aux intervenants de marché qui opérationnalisent leurs transactions. On peut même dire qu’avec la façon dont le système fonctionne actuellement, les intermédiaires qui sont sensés travailler pour les investisseurs traditionnels ont maintenant assez d’incitatifs pour plutôt faire le contraire.
Je conseillerais à tous de s’interroger à savoir si leur capacité opérationnelle est proportionnelle aux besoins nécessaires pour faire compétition dans le monde du court terme. Si ce n’est pas le cas, ils devraient confier leur gestion à des experts qui peuvent le faire là où la clé du succès ne repose pas sur l’exécution de la transaction, mais sur la valeur ajoutée à long terme. Je vous parlerai plus de ce type de stratégies lors de ma prochaine chronique.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Pascal Duquette.