L’intention gouvernementale est de renflouer ces caisses et d’accélérer l’élimination des déficits. C’est effectivement une intention louable, surtout que Québec est ultimement responsable des finances municipales. Puisque la situation fiscale de Québec n’est déjà pas reluisante et que l’on connait la réaction presque viscérale des payeurs de taxes qui ne veulent plus d’augmentation, quelle qu’en soit la forme, il semble qu’il y a peu de solutions possibles pour régler cette situation.
Loin de moi de vouloir ici statuer sur qui a raison et qui a tort, car on doit aussi sympathiser avec le sentiment de colère qu’une renégociation, de ce qu’on croyait être des conditions de rémunération acquises, peuvent générer. Ayant passé une grande partie de ma vie professionnelle dans le monde des caisses de retraites, je voudrais faire une série d’observations qui vont dans le sens d’aider les gens à se faire une opinion dans un débat qui est dominé par les émotions et qui, parfois manque d’objectivité des deux côtés.
Les rendements ne suffiront pas
Il serait surprenant que la situation se règle uniquement grâce aux rendements de marchés. Effectivement, seul un optimiste pourrait croire qu’il sera facile de battre les rendements déjà inclus dans les hypothèses d’évaluation actuarielles des caisses. Le reste des hypothèses me semblent au mieux raisonnables, mais clairement pas pessimistes.
Trop d’optimisme dans le passé
Une grande part de responsabilité dans les déficits actuels revient à des hypothèses passées beaucoup trop optimistes. Plusieurs conséquences résultent de cet optimisme excessif. Les contributions des deux groupes (employeurs et employés) ont été trop faibles. On s’est servi des caisses de retraite pour éviter des négociations ardues en bonifiant les conditions (partage, indexation, etc.).
En effet, pour des employeurs qui ont souvent une vision à court terme, cela permettait de « pelleter » le problème en avant et de régler les conflits dans un contexte où leurs moyens financiers étaient limités. On pourrait parler ici de manque de vision de long terme.
L’improbable exactitude et la probable approximation
Une caisse de retraite est essentiellement une activité incertaine, car elle dépend d’un grand nombre de variables sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle. On a qu’à penser, entre autres, aux rendements des marchés futurs, à la longévité des participants, aux taux d’intérêts, à la conditions financière de l’employeur ainsi qu’aux changements technologiques et de compétitivité qui peuvent affecter le nombre d’emplois nécessaires et même la valeur intrinsèque de ces emplois.
Avec l’aide de calculs complexes, les actuaires tentent d’évaluer les coûts annuels des promesses faites, et ce, pour les employés et les employeurs. Clairement, personne ne doit croire que ces évaluations ne sont plus que ce que les anglophones appellent des « educated guess ».
On tombe ici dans le monde de l’improbable exactitude versus la probable approximation. Peu importe la quantité de données et la sophistication des méthodes de prévisions, cela reste un résultat au mieux incertain. Trop de promesses se sont faites sur ces prévisions qui sont assises fondamentalement sur des fondations peu solides.
Désirable versus trop coûteux
Il est important de comprendre que, pour une organisation, une caisse de retraite à prestations déterminées est une activité risquée et incertaine parmi tant d’autres comme l’achat d’équipements, la recherche etc. Ces activités sont en compétition pour des ressources limitées et ce sur une base d’analyse coûts-bénéfices espérés.
L’employé veut recevoir ses bénéfices avec la plus grande certitude possible. L’employeur veut contrôler le coût du programme. Plus on donne de certitude a l’employé, plus le programme est coûteux, donc moins désirable. Les seules façons d’arriver à une situation acceptable pour les deux parties sont de négocier le partage des coûts ou de négocier les conditions de bénéfices (âge de retraite, rente de survivant, pénalité pour retrait hâtif, etc.).
Plus on pousse un employeur qui a des capacités financières limitées, plus on risque que le programme soit jugé non-désirable. Dans le secteur privé, il ne se crée plus de régimes a prestations déterminées et la tendance est à la fermeture et au remplacement des régimes existants par des régimes à cotisations déterminées. Seul le secteur publique semblait, jusqu’à récemment, immunisé.
Le très mauvais état de nos finances publiques crée la remise en question actuelle. Le risque que les gouvernements ne puissent pas arriver à ce qu’ils jugent une situation acceptable et que, pour des raisons politiques, ils décident de suivre l’exemple du privé est réel. La négociation actuelle est donc cruciale et pourrait être analysée dans l’avenir comme un point charnière dans l’histoire du modèle québécois.
Les évènements actuels s’inscrivent en marge de la grande tendance que les pays industrialisés vont vivre suite au vieillissement de la population. Je donne une conférence en octobre sur l’effet de la démographie sur l’économie et le placement. Je focuserai donc mes prochaines chroniques sur ce sujet. En attendant, profitez bien de la bonne performance des marchés.
Photo Bloomberg
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Pascal Duquette.