Cette faiblesse de la reprise s’explique par la quantité astronomique de dette encore existante dans l’ensemble de l’économie, ce qui agit un peu comme un excès de bagages réduisant la capacité d’un avion à rester en l’air. Il existe plusieurs méthodes pour réduire l’endettement public, qui ont été utilisées à travers l’Histoire. La «répression financière» en est une.
L’idée de départ est de maintenir les taux d’intérêt au niveau le plus bas possible pour que le taux de croissance de l’économie soit supérieur au taux d’intérêt de la dette. Ceci permet une diminution graduelle du taux d’endettement en pourcentage du produit national brut (PNB). C’est, pour les autorités de réglementation et les politiciens, bien préférable aux autres solutions, car ils évitent ainsi des chocs dramatiques. C’est un peu comme un menuisier qui donnerait 1 000 coups de marteau sur un clou pour l’enfoncer plutôt que trois. Le résultat est le même, mais le processus est plus spectaculaire.
Il n’y a pas de méthode parfaite, et c’est aussi vrai pour celle-ci. Ses mérites sont de préserver le mieux possible la paix sociale et politique et de permettre à nos institutions financières de gagner du temps pour rebâtir leur bilan. Par contre, ce n’est pas une méthode qui plaît à tout le monde.
En effet, en conservant des taux d’intérêt très bas, on pénalise les gens qui ont épargné en favorisant ceux qui ont emprunté. Les retraités sont particulièrement touchés, puisqu’ils se retrouvent subitement avec un revenu insuffisant pour subvenir à leurs besoins malgré un comportement d’épargne passé souvent exemplaire. C’est un important transfert de richesse des créditeurs vers les débiteurs qui est jugé par plusieurs comme moralement discutable.
De plus, en conservant des taux anormalement bas, on crée des distorsions dans la répartition de l’argent dans l’économie. Il est reconnu qu’en ne laissant pas le libre marché décider de la répartition des investissements, on se retrouve tôt ou tard avec des distorsions et des résultats suboptimaux. En intervenant sur les taux d’intérêt par la méthode d’assouplissement monétaire (QE), nous ne sommes plus dans une économie de marché.
Il y a aussi un effet pervers pour les investisseurs. En effet, les titres à revenu fixe ont performé beaucoup mieux que prévu, car ils ont été maintenus artificiellement. Mais ils devront un jour retrouver un niveau de prix qui est normal dans une économie de marché. Il y a donc un risque nouveau à détenir ces actifs souvent considérés sans risque. On a vu un peu ce qui pourrait arriver cette année, avec la remontée des taux de 10 ans de plus de 100 points de base.
On se retrouve donc devant le dilemme suivant : pour performer à court terme, il est assez logique de posséder des obligations de long terme, mais si on les garde trop longtemps, il y a un important risque de perte de capital dans une catégorie d’actif jugée peu risquée. Pour ceux qui investissent pour des tierces parties, la façon dont ils aborderont cette problématique peut être la différence entre le succès et l’échec. Pour moi, la réponse est simple. Je n’achète rien qui comporte un terme de plus de deux ans, car je ne crois pas qu’avec des taux de moins de 4 à 6 %, je sois rémunéré pour le risque de détenir des obligations de 10 ans.
* Gestionnaire de portefeuille, jusqu’en 2012. Maintenant directeur général de la Fondation HEC Montréal.
ARTICLE TIRÉ DE LA ZONE EXPERTS
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