En général, les ex-participants à un régime de retraite privé sous législation québécoise peuvent, sous certaines conditions, transférer les sommes accumulées vers un compte de retraite immobilisé (CRI) ou un fonds de revenu viager (FRV). Généralement, en cas de rupture, leurs ex-conjoints mariés, en union civile ou de fait qui acquièrent des droits sur ces sommes — en raison d’une entente ou d’un jugement de partage — peuvent aussi le faire. Plusieurs régimes de retraite gouvernementaux québécois, tels le RREGOP1, le RRPE2, le RRAS3 et le RRMAN4 permettent aussi ce transfert à la cessation d’emploi, alors que presque tous le permettent en cas de rupture. Une énorme portion des sommes en provenance des régimes de retraite termineront ainsi leur parcours dans un FRV, avant d’être versées au rentier.
Le décaissement des avoirs d’un individu ou d’un couple est actuellement un casse-tête sans équivalent. Le résoudre de façon efficiente ou optimisée n’est pas à la portée du commun des mortels. Pour ce faire, l’aide d’un planificateur financier rompu à cette problématique est d’un grand secours. Parmi les solutions proposées, certaines reviendront souvent (lorsque la situation s’y prête), soit le report du début du versement des rentes du Régime de rentes du Québec (RRQ) et de la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV). Sans reprendre ici l’intégralité des arguments sur les bienfaits de ces reports (lesquels ont été abondamment traités par des actuaires, notamment Martin Dupras, Nathalie Bachand et Mélanie Beauvais), mentionnons que ces arguments convergent souvent vers un revenu de retraite global plus élevé et garanti qui réduit l’épargne nécessaire à la protection contre le risque de survie, lorsque les rentes du RRQ et de la PSV sont reportées le plus tard possible.
Il semble aussi que Retraite Québec voit d’un bon œil le report du début de la rente du RRQ, puisque le report de chaque mois après l’âge de 65 ans augmente maintenant la rente de 0,7 % (maximum de 58,8 % à 72 ans).
Lorsqu’une personne moyenne reporte le début de la rente du RRQ, elle doit souvent décaisser en premier ses placements pour combler le manque et financer sa retraite.
D’où viendra l’argent? De ses régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) ou de ses fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR), de son régime de retraite à cotisation déterminée (sous forme de prestations variables), de son compte d’épargne libre d’impôt (CELI), ses comptes non enregistrés, de sa société de gestion ou de son FRV?
Tous les futurs retraités ne sont pas aussi bien pourvus et nantis et ces options ne sont donc pas toutes disponibles. Entre autres, une grande portion des actifs de retraite d’un individu est souvent détenue dans un régime de retraite à cotisation déterminée et dans des CRI et FRV. Les sommes contenues dans un CRI ou un FRV sous législation québécoise5, comme celles dans les régimes de retraite québécois, sont soumises à l’immobilisation, i.e. qu’elles ne peuvent en être retirées que sous certaines conditions assez restrictives. Bref, l’immobilisation de ces régimes peut entrer en conflit avec la volonté de l’État québécois de favoriser le report du début de la rente du RRQ.
Il y aurait donc lieu de réduire radicalement l’immobilisation de ces régimes.
Modification à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite et projet de règlement actuellement à l’étude
Afin de permettre une plus grande flexibilité de retrait des sommes immobilisées, la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (LRCR) (R-15.1) a été modifiée le 31 mai 2023 afin de permettre les retraits sans plafonds à partir d’un régime complémentaire de retraite à cotisation déterminée en mode prestation variable. Ces modifications à la LRCR sont entrées en vigueur le 31 mai 2023, mais ne peuvent pas être appliquées sans qu’un règlement qui traite aussi du sujet soit adopté.
De plus, un projet de règlement modifiant le Règlement sur les régimes complémentaires de retraite (RRCR) a été publié pour consultation le 27 décembre 2023. Ce projet de règlement n’est pas encore adopté et le sera possiblement, avec ou sans modifications, afin qu’il entre en vigueur le 1ier juillet 2024, du moins pour les articles qui nous intéressent.
Ce projet de règlement aurait pour effet, s’il est adopté tel quel et mis en vigueur, de modifier le RRCR sur ces plans :
- Les changements introduisent un nouveau type de versement en provenance du FRV: le paiement de tout ou une partie du solde du fonds en un ou plusieurs versements. Les trois retraits normaux d’un FRV sont donc maintenant :
- Le revenu viager, soit le retrait entre le minimum et le maximum, qui peut être fait à tout âge, mais pour lequel il n’est pas clair si un versement quelconque effectué à partir de 55 ans sera ou non qualifié comme tel);
- Le revenu temporaire (pour les moins de 55 ans);
- Le retrait en un ou plusieurs versements (pour les 55 ans et plus).
Ainsi, le titulaire d’un FRV, âgé de 55 ans ou plus, ne sera plus soumis à l’immobilisation. Ceci signifie qu’il pourra retirer du FRV la somme qu’il désire (à moins que le terme des certains types de placements ne soit pas échu (ex. CPG)), le tout en un seul ou plusieurs versements. Il devra tout de même retirer au moins le minimum requis (car un FRV est fiscalement un FERR et est en conséquence assujetti au minimum prescrit FERR prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu). Le revenu viager maximum (le plafond) sera estimé sur son relevé. Soyons clairs : il ne s’agit que d’une estimation et le retrait du titulaire ne sera donc plus limité à ce montant.
- Modifications corrélatives pour les personnes de 55 ans dues à l’abolition de la limite des retraits :
- Le revenu temporaire pour les 55 ans et plus sera aboli, n’étant plus utile considérant qu’il n’y a plus de limite de retrait pour cette tranche d’âge.
- Le retrait unique à 65 ans (valeur des comptes égale ou inférieure à 40 % du MGA6) est aboli pour le FRV.
- Pour un participant (de 55 ans ou plus) non actif à un régime de retraite à cotisations déterminées, il sera possible de recevoir tout ou partie du solde en un ou plusieurs versements. L’immobilisation disparait.
- Pour les 55 ans et plus, les sommes retirées du FRV ne pourront pas être transférées dans un REER, un FERR ou dans le compte non immobilisé d’un RVER.
- Le revenu temporaire pour les moins de 55 ans sera légèrement augmenté (50 % du MGA au lieu de 40 % et 100 % du revenu estimé au lieu de 75 %). Notez que le revenu temporaire est une option et, de ce fait, n’est pas automatiquement incluse dans tous les contrats FRV.
- Le retrait unique applicable à une personne qui est non-résident canadien depuis 2 ans ou plus est éliminé pour le FRV, mais est maintenu pour le CRI.
- Pour les moins de 55 ans, les sommes retirées du FRV en revenu viager ou en revenu temporaire ne pourront plus être transférées vers un REER, un FERR ou dans le compte non immobilisé d’un RVER. Par le passé, il existait une légère controverse concernant la possibilité de transférer en 12 fois les 12 versements mensuels du revenu temporaire de l’année dans un REER. Cette controverse n’en sera plus une!
L’immobilisation des sommes sous ses formes actuelle et nouvelle
Si le projet de règlement est adopté sans modification, les options de retrait passées et nouvelles seront les suivantes :
CRI sous législation québécoise
- Jugement de saisie pour dettes alimentaires (29(7.1°) RRCR6)
- Retrait unique à 65 ans si valeur des comptes égale ou inférieure à 40 % du MGA (sans permission du conjoint) (29(9.1°) RRCR)
- Retrait unique si non résident depuis 2 ans (sans permission du conjoint) (29(8.1°) RRCR)
- Transfert vers un autre régime de retraite ou un autre CRI ou FRV (sans permission du conjoint) (29(2° et 8°) RRCR)
- Retraits unique ou multiples si espérance de vie réduite par invalidité (sans permission du conjoint) (29(9°) RRCR)
FRV sous législation québécoise
- Revenu viager (sans permission du conjoint). Retrait soumis à :
- Un plancher de décaissement (aussi appelé « le minimum FRV »), à savoir le plancher applicable aux FERR selon la législation fiscale, puisqu’un FRV est fiscalement un FERR). Le minimum de retrait obligatoire est de zéro l’année de l’établissement du FRV. (19(2°) RRCR)
- Un plafond de décaissement (aussi appelé « le maximum FRV ») en vertu du RRCR. (En vertu du projet de règlement, le plafond obligatoire ne s’appliquera qu’au constituant de moins de 55 ans) ;
- Jugement de saisie pour dettes alimentaires (19(6.0.1°) RRCR)
- Transfert vers un autre régime de retraite ou un autre CRI ou FRV (sans permission du conjoint) (19(7°) RRCR)
- Revenu temporaire (payé mensuellement) pour les moins de 55 ans (sans permission du conjoint). Plafond (ramené sur base annuelle) du revenu temporaire : 40 % du MGA moins 75 % des revenus des 12 prochains mois. (19.2 RRCR) (modifié par le projet de règlement : le 40 % devient 50 % et le 75 % devient 100 %)
- Paiement de tout ou partie du solde du FRV en un ou plusieurs versements pour les détenteurs de 55 ans ou plus.
- Le projet de loi vient éliminer les éléments suivants :
- Retrait unique à 65 ans, si valeur des comptes égale ou inférieure à 40% du MGA;
- Retrait unique si non résident depuis 2 ans (sans permission du conjoint);
- Revenu temporaire pour les 55 à 64 ans (sans permission du conjoint).
Nous verrons dans un autre texte (Plafond de retrait des FRV : les effets sur vos clients) les effets de ces ajustements sur les clients avant et pendant la période de décaissement.
* Serge Lessard, avocat, pl. fin., FLMI, Vice-président adjoint régional pour le Québec (Investissements), Service de fiscalité, retraite et planification successorale, Gestion de placements Manuvie
Cet article a été rédigé à titre informatif et qu’il ne constitue pas une opinion juridique, fiscale, de placement ou de planification financière. Tout client ou conseiller qui est dans une telle situation devrait s’assurer de bien comprendre les notions applicables à sa situation propre. Il devrait aussi obtenir des conseils d’un professionnel pour savoir si le contenu s’applique ou non à sa situation. De plus, cet article est basé sur un projet de règlement non encore adopté. Les commentaires sont donc hypothétiques.
1 – Régime de retraite du personnel employé du gouvernement et des organismes publics (RREGOP)
2 – Régime de retraite du personnel d’encadrement (RRPE)
3 – Régime de retraite de l’administration supérieure (RRAS)
4 – Régime de retraite des membres de l’Assemblée nationale (RRMAN)
5 – À moins de mention contraire, les CRI, FRV et régimes de retraite dont cet article fait l’objet sont sous législation québécoise et non pas sous législation fédérale.
6 – MGA = Maximum des gains admissibles en vertu du RRQ