Il vous arrive régulièrement dans votre pratique de traiter des dossiers de personnes qui ne sont pas légalement habilitées à prendre des décisions elles-mêmes. Dans plusieurs de ces cas, le régime de la simple administration s’applique. Ces cas feront l’objet d’un prochain article. Pour le moment, retenons que la personne qui administre les biens de la personne inapte (ex.: le tuteur) doit, lorsque le régime de la simple administration s’applique, choisir des placements faisant partie de la liste des placements présumés sûrs du Code civil du Québec. Cette obligation se retrouve à l’article 1304 C.c.Q. :
1304. L’administrateur est tenu de placer les sommes d’argent qu’il administre, conformément aux règles du présent titre relatives aux placements présumés sûrs.
Cette liste des placements présumés sûrs se retrouve à l’article 1339 C.c.Q. Voici le texte reproduit au long :
1339. Sont présumés sûrs les placements faits dans les biens suivants:
1° Les titres de propriété sur un immeuble;
2° Les obligations ou autres titres d’emprunt émis ou garantis par le Québec, le Canada ou une province canadienne, les États-Unis d’Amérique ou l’un des États membres, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, une municipalité ou une commission scolaire au Canada ou une fabrique au Québec;
3° Les obligations ou autres titres d’emprunt émis par une personne morale exploitant un service public au Canada et investie du droit de fixer un tarif pour ce service;
4° Les obligations ou autres titres d’emprunt garantis par l’engagement, pris envers un fiduciaire, du Québec, du Canada ou d’une province canadienne, de verser des subventions suffisantes pour acquitter les intérêts et le capital à leurs échéances respectives;
5° Les obligations ou autres titres d’emprunt d’une société dans les cas suivants:
a) Ils sont garantis par une hypothèque de premier rang sur un immeuble ou sur des titres présumés sûrs;
b) Ils sont garantis par une hypothèque de premier rang sur des équipements et la société a régulièrement assuré le service des intérêts sur ses emprunts au cours des 10 derniers exercices;
c) Ils sont émis par une société dont les actions ordinaires ou privilégiées constituent des placements présumés sûrs;
6° Les obligations ou autres titres d’emprunt émis par une société de prêts constituée par une loi du Québec ou autorisée à exercer son activité au Québec en vertu de la Loi sur les sociétés de prêts et de placements (chapitre S-30), à la condition que cette société ait été spécialement agréée par le gouvernement et que son activité habituelle au Québec consiste à faire soit des prêts aux municipalités ou aux commissions scolaires et aux fabriques, soit des prêts garantis par une hypothèque de premier rang sur des immeubles situés au Québec;
7° Les créances garanties par hypothèque sur des immeubles situés au Québec:
a) Si le paiement du capital et des intérêts est garanti ou assuré par le Québec, le Canada ou une province canadienne;
b) Si le montant de la créance n’est pas supérieur à 80% de la valeur de l’immeuble qui en garantit le paiement, déduction faite des autres créances garanties par le même immeuble et ayant le même rang que la créance ou un rang antérieur;
c) Si le montant de la créance qui excède 80% de la valeur de l’immeuble qui en garantit le paiement, déduction faite des autres créances garanties par le même immeuble et ayant le même rang que la créance ou un rang antérieur, est garanti ou assuré par le Québec, le Canada, une province canadienne, la Société canadienne d’hypothèques et de logements, la Société d’habitation du Québec ou par une police d’assurance hypothécaire délivrée par une société titulaire d’un permis en vertu de la Loi sur les assurances (chapitre A-32);
8° Les actions privilégiées libérées, émises par une société dont les actions ordinaires constituent des placements présumés sûrs ou qui, au cours des cinq derniers exercices, a distribué le dividende stipulé sur toutes ses actions privilégiées;
9° Les actions ordinaires, émises par une société qui satisfait depuis trois ans aux obligations d’information continue définies par la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1), dans la mesure où elles sont inscrites à la cote d’une bourse reconnue à cette fin par le gouvernement, sur recommandation de l’Autorité des marchés financiers, et où la capitalisation boursière de la société, compte non tenu des actions privilégiées et des blocs d’actions de 10% et plus, excède la somme alors fixée par le gouvernement;
10° Les titres d’un fonds d’investissement ou d’une fiducie d’utilité privée, à la condition que 60% de leur portefeuille soit composé de placements présumés sûrs et que le fonds ou la fiducie satisfait depuis trois ans aux obligations d’information continue définies par la Loi sur les valeurs mobilières.
(1991, c. 64, a. 1339; 2002, c. 19, a. 7; 2002, c. 45, a. 159; 2004, c. 37, a. 90; 2006, c. 50, a. 112; 2007, c. 16, a. 4.)
Une question qui revient régulièrement est celle de déterminer si les fonds distincts sont des placements présumés sûrs. Nous allons tenter d’y répondre. Notez qu’il ne s’agit que d’une opinion personnelle et que d’autres juristes peuvent avoir une opinion différente.
La question n’est pas de savoir si un fonds distinct est un placement sûr ou non. Ceci est une question purement financière relevant directement de la compétence d’un conseiller en sécurité financière.
La question est plutôt de savoir si l’article 1339 C.c.Q. vise les fonds distincts. L’article 1304 C.c.Q. oblige l’administrateur à choisir parmi les placements énumérés à l’article 1339 C.c.Q. Si un placement n’y est pas, on ne peut pas le choisir. Que le placement soit financièrement sûr ou non n’est pas pertinent; il ne peut pas être choisi s’il n’est pas mentionné à l’article 1339 C.c.Q. Un point c’est tout.
Une lecture rapide de l’article 1339 C.c.Q. nous permet de constater que les contrats de rente ne sont pas mentionnés. Or, les fonds distincts sont juridiquement des contrats de rente à capital variable basés sur des unités de fonds distincts (CRCVFD) (appelés communément « fonds distincts »). Les fonds distincts ne font donc pas partie de la liste de l’article 1339. Les « CPG » des compagnies d’assurance (aussi appelés « CIG ») sont des rentes d’accumulation à intérêts garantis. Elles sont aussi absentes de la liste. Toutes les rentes en service sont également absentes de la liste.
Les conseillers me disent souvent : « Pourtant, les rentes en service sont très sûres! », « Un CIG d’un assureur n’est pas moins sûr qu’un CPG d’une banque! », « Ben voyons donc! Plusieurs fonds communs de placement peuvent se qualifier en vertu de cette liste et vous ne viendrez pas me dire qu’un fonds commun de placement est plus sûr qu’un fonds distinct! Bien au contraire! ».
Quelle est la logique derrière tout cela me direz-vous? Aucune! Ce qui n’est pas visé par la liste de l’article 1339 C.c.Q. ne peut pas être vendu. Est-ce un oubli du législateur? Nous l’ignorons.
La solution réside dans une éventuelle modification de l’article 1339 C.c.Q. Le soussigné espère qu’une telle modification se fera le plus tôt possible.