Le 10 avril 2024, nous avons publié un article sur le projet de loi no 56 concernant l’union parentale en précisant qu’il s’agissait d’un projet de loi québécois et qu’il pouvait subir des modifications avant son adoption. Le 4 juin 2024, la Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale a été sanctionnée (ce qui signifie que le projet de loi est devenu une loi) avec quelques modifications. Nous allons donc traiter de ces modifications dans le présent article. Nous vous recommandons fortement de lire l’article cité plus haut qui traitait des subtilités du projet de loi avant de continuer la lecture.
L’union parentale est un nouveau statut de droit de type matrimonial qui s’appliquera automatiquement aux conjoints de fait dont un enfant commun naît, ou est légalement adopté, après le 29 juin 2025. Si le couple a déjà des enfants nés avant cette date, il n’est visé que si un nouvel enfant naît après cette date, et l’union parentale ne prendra effet qu’à partir du moment de cette nouvelle naissance, sans rétroactivité.
Dès que les conjoints acquièrent le statut de conjoints en union parentale, il y a création d’un patrimoine d’union parentale. Selon le projet de loi, donc avant les modifications présentées ci-après dans le présent texte, ce patrimoine prévoit, en cas de cessation de la vie commune ou en cas de décès, le partage de la valeur de la résidence familiale, les meubles qui garnissent ou ornent la résidence familiale et qui servent à l’usage du ménage et les véhicules automobiles utilisés pour les déplacements de la famille.
Rappelons qu’il ne sera pas possible de s’exclure de l’union parentale, mais qu’il sera possible de s’exclure de l’application du patrimoine d’union parentale.
- Modifications apportées au projet de loi et adoptées
Assujettissement
Le ministre avait déclaré que les personnes qui ne se qualifient pas pour l’union parentale alors qu’ils ont des enfants, mais qu’aucun n’est né après le 29 juin 2025, pourront effectuer un choix de s’assujettir volontairement à l’union parentale. En effet, la version finale du projet de loi inclut maintenant cette possibilité. Les conjoints pourront s’y assujettir par un acte notarié en minute ou par un acte sous seing privé en présence de deux témoins. Est-il vraiment nécessaire de préciser qu’il est toujours préférable de le faire devant notaire ?
Les personnes qui utiliseront l’assujettissement volontaire pourront s’exclure de l’application du patrimoine d’union parentale (et non pas de l’union parentale elle-même) ou en exclure certains biens précis de la valeur partageable. Toutefois et dans un tel cas, lorsqu’il y a naissance (ou adoption) d’un enfant après l’assujettissement volontaire, ces types d’exclusion ne continuent à avoir effet après cette naissance que s’ils sont confirmés devant notaire dans les 90 jours après cette naissance.
Biens visés par le patrimoine d’union parentale
Le projet de loi numéro 56 prévoyait que les conjoints en union parentale seraient soumis à un patrimoine d’union parentale. Ce patrimoine, dont la valeur serait partageable à la cessation de la vie commune ou au décès, devait inclure la résidence familiale, les meubles qui garnissent ou ornent la résidence familiale et qui servent à l’usage du ménage et les véhicules automobiles utilisés pour les déplacements de la famille.
Cet élément a été modifié et l’article 521.30 du Code civil dans sa nouvelle forme inclura les résidences de la famille ou les droits qui en confèrent l’usage, les meubles qui les garnissent ou les ornent et qui servent à l’usage du ménage et les véhicules automobiles utilisés pour les déplacements de la famille.
Le patrimoine d’union parentale contiendra tous les éléments mentionnés ci-devant, et il ne s’agit plus de « la résidence familiale », mais plutôt « des résidences de la famille ». Cette définition relative aux résidences est donc identique à celle du patrimoine familial pour les conjoints mariés. Ceci signifie que la valeur de la résidence principale ainsi que celles toutes les résidences secondaires (Chalets, condos en Floride, etc.) de la famille seront partageables. Il en va de même pour les biens qui les garnissent ou les ornent.
Sont toutefois exclus du patrimoine d’union parentale les biens qui sont échus à l’un des conjoints par succession ou donation avant ou pendant la durée de l’union.
Conjoint héritier d’une succession sans testament (Ab Intestat)
En l’absence de testament, les biens d’une personne sont dévolus à ses héritiers légaux. Le conjoint marié est un héritier légal prévu par le Code civil et, à ce titre, il a droit à une part de la succession. Le conjoint de fait n’est pas un héritier légal et, en l’absence de testament, il n’hérite pas. Le projet de loi 56 prévoyait que le conjoint en union parentale depuis un an se qualifierait d’héritier légal au même titre que le conjoint marié. À la suite des changements avant l’adoption, la nouvelle version de l’article 653 du Code civil du Québec prévoit que le conjoint en union parentale se qualifiera comme héritier légal dès l’acquisition du statut de conjoint en union parentale, et non pas seulement après un an.
À titre d’exemples :
- Lorsqu’un conjoint en union de fait décède sans testament et avec des enfants, 100 % de la succession est dévolue aux enfants.
- Lorsqu’un conjoint en union de fait et en union parentale décède sans testament, un tiers de la succession est dévolue au conjoint et deux tiers aux enfants.
- Lorsqu’un conjoint marié décède sans testament, un tiers de la succession est dévolue au conjoint et deux tiers aux enfants.
Pour obtenir un résultat différent, il faudra faire son testament !
Notez que dans les deux derniers exemples le tiers qui sera versé au conjoint sera le tiers de la succession après paiement des dettes. La créance du patrimoine familial et celle du patrimoine d’union parentale constituent des dettes. Le tiers qui ira au conjoint sera donc calculé sur le solde de la succession, après paiement de cette créance. Donc, dans certains cas, le conjoint recevra plus que le tiers de la succession totale.
Autres éléments
Cet article ne traite pas de tous les impacts du statut de conjoints en union parentale (ex. : La mise en place d’un mécanisme de prestation compensatoire, la protection de la résidence, la violence judiciaire, etc.). En effets, certains impacts ont moins d’importance pour le travail des conseillers du domaine financier.
- Modifications au projet de loi proposées, mais rejetées
Plusieurs suggestions de modification au projet de loi ont été faites, mais n’ont pas été adoptées, i.e. elles ne se produiront pas. En voici quelques-unes.
L’article 2457 du Code civil du Québec stipule que la désignation révocable du conjoint marié ou uni civilement, d’un ascendant ou d’un descendant du titulaire rend insaisissables les types de produits suivants : une assurance de personnes (dont l’assurance vie), une rente en service, un compte à intérêts garantis d’assureur (CIG) ou un contrat de fond distinct. Il a été proposé de modifier cet article afin d’inclure le conjoint en union parentale. Cette proposition a été rejetée et ne se réalisera pas.
L’article 2459 prévoit, entre autres, que le divorce et la dissolution de l’union civile rendent la désignation du conjoint caduque (ce qui signifie « sans effet »). Il a été proposé de modifier cet article afin d’inclure la fin de l’union parentale produise cette caducité. Cette proposition a été rejetée et ne se réalisera pas.
L’union parentale s’applique automatiquement aux conjoints de fait dont un enfant commun naît, ou est légalement adopté, après le 29 juin 2025. Il a été proposé de modifier cette condition pour que l’union parentale s’applique aux conjoints qui ont déjà un enfant en date de la sanction de la loi. Cette proposition a été rejetée et ne se réalisera pas.
- Le fiscal suit-il le légal ?
Chaque fois qu’une personne est un conjoint en union parentale, il est aussi à la fois un conjoint en union de fait au sens fiscal. Ceci signifie qu’en cas de fin de la vie commune ou de décès, la loi fiscale permet déjà les partages appropriés sans impact fiscal.
- Éléments de réflexion dont les réponses viendront probablement plus tard…
Je n’ai pas pu me retenir de me questionner sur une des conditions d’assujettissement à l’union parentale qui consiste en la naissance d’un enfant commun après le 29 juin 2025. Beaucoup de questions juridiques sont soulevées dans cette condition.
Une première lecture de cette condition nous oblige à la séparer en deux : il ne suffit pas qu’il y ait naissance, il faut aussi que ce soit un enfant. Évident, me direz-vous ? Scientifiquement oui, juridiquement pas tant que ça…
Or, les tribunaux ont jugé que, pour avoir la personnalité juridique, il faut être né vivant et viable. On naît vivant lorsqu’on respire complètement après être sorti du sein de sa mère1. Le fait de naître vivant amène la présomption qu’on est viable. Si, pour une raison quelconque l’enfant n’est pas viable (pour cause de malformation d’organes ou autres raisons), il faudra faire la preuve scientifique de la non-viabilité. Sans cette preuve, l’enfant acquière la personnalité juridique et est un enfant. Mais l’enfant doit-il acquérir la personnalité juridique pour être un enfant ? Nous laissons le soin à d’autres juristes d’émettre une opinion juridique sur l’ensemble de ces questions. Nous nous contentons d’alimenter la réflexion.
Il semble que le décès d’un enfant né vivant et viable après le 29 juin 2025 ne change rien au fait qu’il soit né. L’union parentale devrait s’appliquer. Cependant, est-il possible (les tribunaux nous éclaireront là-dessus) qu’un enfant mort-né ou un enfant né vivant, mais non viable n’ait jamais eu d’existence juridique et que les parents ne soient pas assujettis à l’union parentale ?
Lorsque la connaissance de l’existence ou non du statut d’union parentale (ou la date de début de l’union parentale) est pertinente ou exigée par le travail du conseiller il faudra poser des questions supplémentaires. La question traditionnelle « Avez-vous des enfants ? » n’est plus suffisante. Elle est maintenant un peu « auto-piégée ». Il faudra aussi poser la question « Avez-vous eu des enfants, naturels ou par adoption, encore vivants ou non, nés ou adoptés après le 29 juin 2025 ? ». Sans une question aussi précise, il est fort peu probable que les conjoints vous parlent d’un enfant décédé à l’âge de 6 mois.
Force est de constater qu’un événement (un décès) qui s’est produit possiblement il y a bien des années pourrait avoir un impact sur la date de début de l’union parentale et le partage de la valeur des résidences et d’autres biens.
- Début d’application
L’union parentale entre essentiellement en vigueur le 30 juin 2025. Personne n’acquerra le statut de conjoint de fait en union parentale avant cette date.
D’ici là, il y aurait lieu :
- De revoir la planification successorale
- De mettre en place des procédures d’ouverture de comptes distincts en cas de naissance après le 29 juin 2025. Ceci permettra d’identifier ce qui est gagné avant le début d’union parentale au cas où l’on voudrait l’appliquer une somme à l’achat d’une résidence ou lors d’un remboursement d’hypothèque.
- De rédiger des modèles de clauses à insérer dans les planifications financières.
- De prévoir des assurances vie pour couvrir les conséquences au décès.
- De recommander aux clients visés de consulter leur juriste préféré.
- D’ajouter aux questionnaires de prise de données des planificateurs financiers une question du genre « Avez-vous eu des enfants, naturels ou par adoption, encore vivants ou non, nés ou adoptés après le 29 juin 2025 ? »
Il est clair que l’union parentale n’est pas un concept facile à assimiler pour les clients. Néanmoins, une énorme portion de la population du Québec sera progressivement assujettie à ce régime. Il s’agit d’un bouleversement majeur et aucun(e) conseiller(ère) ne pourra se permettre d’en ignorer les grandes lignes, pour ses clients ou pour lui-même (elle-même) !
Cet article a été rédigé à titre informatif et il ne constitue pas une opinion juridique, fiscale, de placement ou de planification financière. Tout client ou conseiller qui est dans une telle situation devrait s’assurer de bien comprendre les notions applicables à sa situation propre. Il devrait aussi obtenir des conseils d’un professionnel pour savoir si le contenu s’applique ou non à sa situation.
- Voir : GOUBEAU, Dominique, « Le droit des personnes physiques », Éditions Yvon Blais, 6ièmeédition, page 18, note 29